Je ne sais plus à quelle commission me vouer. Le 28 février, la RTBF a dû se partager : sur la Une, la commission dite Dutroux (ce qui est faire beaucoup d’honneur à ce triste sire), sur la Deux, la commission Rwanda. Zapping affolant : j’avais peur de rater un incident, un aveu, un lapsus, une larme, une bourde, un de ces événements inattendus (ou trop attendus) qui font tout le charme de la télévision en direct.

Invraisemblable Belgique. Voilà un pays dont les citoyens méprisent souverainement les politiciens tout en votant systématiquement pour les mêmes à chaque élection. Un pays où c’est toudi les ptits qu’on spotche. Et ce même pays est celui où des dizaines voire des centaines de milliers de téléspectateurs sont collés à leur poste dès qu’apparaît le panneau « dans quelques instants, reprise des travaux de la commission parlementaire« . Kroll a bien observé que ce panneau magique nous fait tout avaler : du Mozart, du Chostakovitch, du Zap Mama, du Open d’Australie, du Peu importe pourvu qu’au bout du compte on se retrouve entre soi, entre habitués, avec Monsieur Verwilghen et Monsieur Mahoux, Monsieur Lesage et Madame Lotin. Notre attirance pour ce spectacle ne relève pas seulement de la curiosité plus ou moins saine, elle répond à un besoin, elle manifeste ce que peu de Belges osent avouer : un désir de politique.

Par le truchement de la télévision, nous nous retrouvons de plain pied avec ces politiciens, ces magistrats, ces commandants, ces gens haut placés dont nous sommes convaincus qu’ils passent leur temps à nous écraser de leur dédain. Rien que pour ça, ces commissions nous font du bien. Mais elles servent à beaucoup d’autres choses. Elles nous éclairent (en même temps que les parlementaires qui ont souvent l’ai aussi étonné que nous) sur les rouages de l’État, les rapports entre les différents pouvoirs, les relations entre ces mêmes pouvoirs et les citoyens. Elles nous apportent toutes sortes d’informations, souvent accablantes, sans épargner quiconque. Même pas la sacro-sainte monarchie. C’est ainsi qu’on a appris, à la Commission Rwanda, que le roi n’avait jamais daigné recevoir les parents des Casques bleus belges tués à Kigali ! Quand l’exemple vient d’aussi haut… Je parie d’ailleurs que cet oubli sera vite réparé. Rien que pour ça, encore une fois, vive les commissions télévisées.

Lors de la première séance de la commission Rwanda, le ton était proprement incroyable. C’était celui de la conversation attentive, de la dignité. Pour la première fois, des gens traités depuis 3 ans comme moins que rien avaient droit à la parole : ils l’ont prise sans arrogance, sans effets de manche, ils ont donné une leçon de politique à des parlementaires soudain humanisés. A la commission dite Dutroux, c’est un peu différent dans la mesure où les commissaires ont le pouvoir d’enquête, ce qui les embrouille parfois la tête. Mais l’important est ailleurs, l’intérêt des commissions est presque philosophique. Censées dire la vérité, elles nous la livrent peu à peu sous sa forme la plus courante, c’est-à-dire relative. Les personnages eux-mêmes qui animent leur travaux évoluent, changent à nos yeux : bien peu y restent tout blanc ou tout noirs, beaucoup finissent pas se retrouver dans les gris, plus ou moins foncés. Ceci ne satisfait sans doute pas l’exigence de pureté (pour les autres surtout) et le désir absolu qui nous taraudent souvent, mais les commissions ont ceci d’irremplaçable qu’elles nous renvoient à nos propres responsabilités. A nos mensonges, à nos lâchetés. A cette grisaille qui nous attire – et nous assigne le seul combat qui vaille, le seul en tout cas où nous ayons quelque chance de triompher : celui qui nous oppose quotidiennement à la tentation de l’ambiguïté et du renoncement.