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Nature, culture et extrême droite

Il est particulièrement difficile de marquer le cœur de l’idéologie d’extrême droite. Établir sa doctrine et ses objectifs fondamentaux est un véritable défi face à la diversité de ses manifestations en Belgique francophone, en Flandre, en France, en Italie, en Autriche, en Suisse, et depuis peu en Pologne, en Slovaquie, en Russie, en Roumanie et en Bulgarie. Il est même impossible d’en systématiser les projets et le répertoire tant les contextes politiques, nationaux, régionaux et électoraux favorisent la pluralité et la différence au niveau des priorités des uns et des autres. Xénophobie, racisme et antisémitisme, hostilité aux immigrés, rejet de l’Europe et de la mondialisation, culte du chef, du clan, de la famille, du village et de l’ordre en général, les marqueurs potentiels sont nombreux et parfois contradictoires d’une formation politique à l’autre. Une empreinte singulière permet néanmoins d’identifier, d’enfermer et même de contenir dans une seule catégorie la diversité des partis, mouvements et groupuscules qui animent l’univers de l’extrême droite : l’idée que nous vivons dans un monde ordonné dont l’état de nature est la seule et unique référence susceptible de guider notre action, et partant, l’organisation concrète de la société. La nature est au cœur de l’idéologie d’extrême droite. C’est elle qui est utilisée inlassablement pour afficher des différences fortes entre les hommes, entre les ethnies, entre les sexes et entre les prétendues «races», c’est elle qui permet de justifier la hiérarchie entre les forts et les faibles, les méritants et les parasites, les bons et les mauvais, les purs et les impurs. C’est encore elle qui doit permettre à l’extrême droite de nier le principe d’égalité entre les individus. C’est la nature qui selon la métaphore biologique du corps humain aurait poussé les hommes à se rassembler autour d’une identité ethnique, culturelle, linguistique et raciale prétendument homogène : un corps social qui est la réplique du corps biologique. C’est la nature qui, à partir de cette métaphore, justifie la méfiance vis-à-vis de l’immigré, cet imposteur qui ne respecte pas la nation, ses frontières, et sa pureté, ce «parasite», ce «microbe», cette «bactérie» qu’il faut neutraliser pour des raisons de santé publique. La nature est au cœur de l’idéologie d’extrême droite.

Nature et ordre hiérarchique

À l’appui d’un ordre qu’elle prétend déterminé par la nature, l’extrême droite active une hiérarchie radicale entre ce qui mérite d’exister et ce qui doit être méprisé. À l’appui d’un ordre ethnique qu’elle prétend déterminé par la nature, à l’appui d’un ordre national fort et soutenu qu’elle revendique sans cesse, l’extrême droite pousse à son paroxysme l’obligation de chacun dans la société, l’obligation de chacun au sein de la cellule familiale. L’extrême droite répartit les rôles entre l’homme et la femme et balaie dans la foulée tous ceux qui ne rentrent pas correctement dans la marque : les couples non mariés, les homosexuels mariés, les célibataires, etc. Elle refuse tout ce qui menace la reproduction de la race : avortement, contraception, homosexualité et féminisme. L’extrême droite ne cherche pas à protéger la dignité humaine, les femmes ou la famille, elle convoite simplement une vision du monde où une élite de chefs virils et machistes pourraient imposer son agenda au reste de la collectivité sociale, au nom de la nature, et donc au nom de quelque chose de présenté comme indiscutable ! À l’appui d’un ordre qu’elle prétend déterminé par la nature, l’extrême droite justifie le rôle exclusif de reproduction de la race attribué à la femme qui doit être féconde et fertile, et partant, les élus et les militants de l’extrême droite exècrent le féminisme et toutes ces «détraquées» qui cherchent à établir l’égalité entre les sexes, une égalité forcément «contre-nature». À partir de l’ordre naturel, l’extrême droite affirme la position dominante de l’homme : c’est-à-dire le point de départ incontournable de la nation, de la force et de la virilité chevaleresque. A partir de l’ordre indispensable et nécessaire, l’extrême droite abomine les homosexuels qui défient les lois naturelles. Ces «sous-hommes» pornographes ne méritent que mépris et humiliation. Utiliser la nature comme référence ultime implique un danger colossal qui menace directement le régime démocratique. Cette posture permet à l’extrême droite de prétendre parler au nom de ce qui est naturel et d’affirmer au passage qu’elle détient la vérité sur la nature. Or ce n’est pas la nature qui nous donne des droits dans notre environnement mais notre culture, c’est-à-dire nos conventions établies en connaissance de cause, dans un cadre délibératif et sur une base strictement humaine, sans référence exclusive à la race, à Dieu, à l’ordre naturel ou à quoi que ce soit. Ce n’est pas la nature qui nous protège de la violence et du chaos mais notre culture, c’est-à-dire notre constitution nationale, nos conventions, nos lois, nos principes et nos valeurs. Ce n’est pas la nature qui protège les plus faibles mais nos systèmes de protection sociale et nos mécanismes de redistribution des richesses. Ce n’est pas la nature qui assure le respect de la dignité humaine, c’est notre attachement au principe d’égalité entre les hommes indépendamment de leurs origines, leurs religions ou leurs conceptions philosophiques. Un principe d’égalité catégoriquement rejeté par l’extrême droite.

Extrême droite et culture démocratique

En Belgique, pour des raisons complexes qu’il faudra bien un jour étudier de près, l’alternative politique ne semble plus représenter un intérêt aux yeux de nombreux électeurs. Le changement politique au sein d’un parti ou entre les partis n’apparaît plus comme une évidence pour exprimer sa colère et soutenir au passage un autre parti, de nouveaux projets, ou d’autres élus au sein d’une même formation. On pourrait presque penser que l’électeur mécontent ou en colère passe directement à l’extrême droite sans tenter la ou les alternative(s). Ce fait, s’il se confirme à l’analyse, affiche certainement les limites du système politique belge qui multiplie les coalitions à tous les niveaux de pouvoir. Des coalitions dont les composantes sont variées et nombreuses et qui donnent parfois l’impression que c’est toujours les mêmes qui dirigent le pays. Une impression correcte dans l’absolu mais totalement erronée dans la réalité concrète et quotidienne, une impression qui repose notamment sur la mise en scène du politique à la télévision et le jeu grotesque auquel se livre une poignée d’élus dans ce domaine, tous partis confondus. Depuis les dernières élections, l’extrême droite a augmenté son score de façon significative au niveau communal et plus particulièrement dans le nord du pays où un seul parti bien implanté a réussi à déposer des listes dans la plupart des communes de la région. Le Vlaams Belang augmente de façon significative le nombre de ses élus au niveau local en 2006 au moment où il prépare les élections législatives de cette année. Le Vlaams Belang place l’ordre naturel et hiérarchique de «l’ethnie flamande» au cœur de son programme. L’ordre ethnique flamand légitimé par la nature (dont on ne peut défier les principes) justifie une série impressionnante de politiques hostiles au bon fonctionnement de la démocratie. Il mobilise l’idée de pureté et d’homogénéité, il décline un nombre considérable de parasites qu’il faut neutraliser, il remet en question les derniers piliers qui assurent l’unité de l’État belge et rejette l’intégration européenne sous toutes ses formes. Le Vlaams Belang refuse l’égalité et cherche à démanteler tous les mécanismes qui permettent de diminuer les inégalités au sein de la société belge, au sein de la région flamande. Le succès de l’extrême droite flamande et le soutien dont ce parti bénéficie auprès de la population rend davantage délicate la question déjà ancienne du financement public de ses structures. En effet, depuis mai 2006, une demande a été introduite au Conseil d’État par plusieurs parlementaires afin «d’établir qu’entre le 28 mars 1999 et l’introduction de la requête, le parti politique Vlaams Blok, aujourd’hui Vlaams Belang, a montré, par son propre fait et/ou par celui de ses composantes, de ses listes ou de ses mandataires élus, de manière manifeste et à travers plusieurs indices concordants, son hostilité envers les droits et libertés garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et par les protocoles additionnels à cette convention en vigueur en Belgique» Moniteur belge, 2 juin 2006.

Argent public et Vlaams Belang

Si l’hostilité de l’extrême droite flamande envers ces droits et libertés est établie, le Conseil d’État peut décider de supprimer la dotation accordée au parti pour une période déterminée. L’enjeu touche le cœur du régime démocratique belge : Quelle liberté faut-il accorder à ceux que l’on considère comme des ennemis de la liberté ? Et quel parti, et sur base de quels critères, peut sérieusement être considéré comme hostile à la démocratie ? Le financement public des partis politiques a pour objectif de permettre aux partis en présence de fonctionner en tant que structure, de promouvoir leur programme auprès de la population, et d’assurer leur existence dans l’espace public et dans l’esprit des électeurs. Le financement est un outil qui favorise la vitalité démocratique, il limite le pouvoir des grands partis traditionnels et octroie un subside aux petits partis qui se lancent en politique et qui ont au moins un député dans chaque chambre du parlement fédéral (la Chambre et le Sénat). Le Vlaams Belang a su saisir cette opportunité pour promouvoir son implantation électorale et diffuser au passage son programme raciste et xénophobe. Le Conseil d’État doit aujourd’hui établir si d’une certaine manière l’extrême droite à utiliser les libertés en démocratie contre ses principes et ses valeurs les plus fondamentales.