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Ne rien savoir sur tout !

Si on passe beaucoup de temps à s’informer, qu’on lit des journaux, qu’on les compare, qu’on dévore souvent des livres, des enquêtes, des entretiens, qu’on surfe sur toutes sortes de blogs pour découvrir des points de vue variés et originaux et qu’on essaie de consulter la presse étrangère… Si on regarde régulièrement Euronews et TV5, mais aussi CNN et la BBC, avec leurs journalistes, issus de nombreux pays différents, qui couvrent le Canada, les États- Unis, de nombreux pays africains, la Russie, mais aussi l’Europe de l’Est… Si on parle politique et économie avec des amis et qu’on se rend régulièrement dans des débats, des conférences et des colloques… Si on s’abonne à des newsletters issues d’associations, de partis, de syndicats et de lobbies en tous genres… Si on consulte parfois des ouvrages plus anciens, rédigés dans les années 70 ou 80, sur toutes sortes de sujet, pour voir comment nos aînés envisageaient le futur… Et surtout si on prend des notes à chaque fois et qu’on laisse son cerveau digérer toutes les données, et reconstruire le puzzle, si on le laisse se frayer un chemin et faire le tri entre le vrai et le faux, l’opinion tranchée, le point de vue engagé, l’analyse absurde, l’enquête bâclée, l’info louche, l’étude rigoureuse, la mise en perspective, l’approche comparative… Si on parvient à faire tout cela, on peut se risquer à regarder le JT du soir. On peut compléter nous-mêmes l’analyse des informations, faire des liens, écarter ce qui nous parait sans intérêt, découvrir la naïveté d’un présentateur, se préserver contre le choc que produit l’image d’un enfant déchiqueté avant de voir une star qui se jette un seau d’eau à la figure. Si on consacre du temps pour comprendre le monde, pour comprendre l’Ukraine, Gaza, les écoutes de la NSA, l’amende record de BNP et le visage blême de Julian Assange, on peut se risquer à regarder le JT du soir sans avoir le vertige et sans devenir cynique, ou débile. Mais si le JT est notre seule fenêtre sur le monde, la nausée est immédiate, le dégout n’est jamais très loin et l’étourdissement ne se fait pas attendre. Si le JT est ma seule lumière contre l’obscurité, je ne sais pas pourquoi les Européens soutiennent le nouveau régime en Ukraine, je ne sais même pas qui a tiré sur l’avion rempli de Hollandais et dont on ne parvient pas à retrouver tous les corps, et je ne sais pas non plus s’il faut aimer ou avoir peur des Russes. Je ne sais pas pourquoi les Kurdes sont nos amis et qu’on soutient les Peshmergas, ni pourquoi l’Irak est dans un chaos tragique. J’ignore pourquoi une des plus grosses banques de notre pays, dont la Belgique est le principal actionnaire, peut tromper la justice américaine si longtemps et j’ignore surtout pourquoi personne n’était au courant, et pourquoi personne n’est puni ou sanctionné aujourd’hui. Avec le JT comme source unique d’information, je ne sais pas pourquoi l’islam radical pose problème dans certains cas (Irak, Hezbollah, Syrie, Hamas, Iran, Al-Qaïda…) et pas dans d’autres, notamment en Arabie Saoudite et dans les pays riches du Golfe comme le Qatar où aura lieu la coupe du monde, pourquoi d’ailleurs ? Je ne sais pas non plus ce qui motive les Égyptiens à fermer leur frontière avec Gaza alors qu’on dit que les Arabes sont solidaires contre les Juifs, je ne sais pas non plus pourquoi on n’en parle jamais, ni pourquoi le Hamas lance des roquettes sur Israël alors que le retour de bâton semble terrifiant. J’ignore pourquoi Barack Obama refuse de parler de coup d’État en Égypte et je ne sais pas pourquoi Julian Assange est accusé de viol, ni si c’est vrai, ni pourquoi l’Équateur le protège dans son ambassade de Londres. Si le JT, ce sont mes yeux, je ne saurai jamais pourquoi la NSA nous espionne tous et que personne n’ose sanctionner ni les États-Unis, ni Google, ni Facebook. Ni pourquoi l’ambassade américaine est toujours si proche du Bundestag à Berlin. Au final, si je considère que le JT, c’est suffisant pour s’orienter dans la vie, c’est que je suis devenu con .Dans la même veine de ce texte voir .cette analyse de Bruno Dayez, parue en 2011…