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Nouvelle Shoah

NOUVELLE SHOAH : La controverse suscitée par la manifestation organisée à Bruxelles le 11 janvier contre l’agression israélienne et les massacres perpétrés à Gaza a été à la mesure de son succès. Une banderole brandie par les manifestants «Gaza, la nouvelle Shoah» qui procède à côté d’autres slogans à la «nazification» d’Israël a suscité nombre d’indignations. Comme l’écrit sur son blog Henri Goldman http://blogs.revuepolitique.be/henrigoldman/index.html, billet du 11 janvier, «Gaza : sortir du cycle sans fin de la vengeance» , «la solidarité doit être ferme et la dénonciation des crimes israéliens sans aucune ambiguïté, mais il est contre-productif de se polariser sur des mots et sur des symboles». Tom Goldschmidt, dans le forum de discussion de ce même blog, attribue l’usage de ce type de slogans à l’ignorance de ce que fut le nazisme. Mais en même temps écrit-il, ceux qui les brandissent «reconnaissent que la Shoah ou Auschwitz étaient des horreurs (même si ces jeunes n’en réalisent pas l’ampleur) et condamnables». Il ajoute : «Il n’est pas criminel (mais bête, nocif et désolant) de croire que l’on peut comparer Gaza et Shoah, ce qui n’est pas comparable à des slogans antisémites». Une vraie discussion peut s’engager ainsi sur la compréhension de l’histoire et sur la solidarité envers le peuple palestinien. Pour d’autres, à l’instar du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), la manifestation se réduit à une démonstration antisémite et xénophobe. L’asbl RésistanceS animée par Manu Abramowicz demande de son côté au Centre pour l’égalité des chances de porter plainte en justice pour négationnisme. Dans une carte blanche publiée par Le Soir «Le pouvoir aux ‘barbus’ ? Non merci !», 14 janvier 2009 , Manuel Abramowicz, Claude Demelenne et Sam Touzani dénoncent «la touche très communautariste de la manifestation» et son instrumentalisation par «les islamistes réactionnaires». L’assimilation des manifestants aux «barbus», la criminalisation des manifestants amalgamés aux casseurs de fin de cortège s’inscrit dans un récit des événements qui substitue l’opprobre jeté sur les manifestants à la protestation contre l’agression israélienne. Le travail historique sur la Shoah est incontestablement une leçon adressée au monde pour empêcher la répétition de l’horreur. Que les Juifs qui l’ont subi et l’Europe en aient conservé et transmis le traumatisme est tout à fait légitime. Peut-on réduire pour autant l’histoire du judaïsme à l’extermination ? L’utilisation obsessionnelle de la Shoah pour asseoir la politique d’Israël et en faire le ciment du nouveau nationalisme israélien permet toutes les dérives. «Que sait-on des Juifs à part leur extermination», se demandait bien avant la guerre de Gaza, Esther Benbassa. Elle ajoutait : «Aujourd’hui, à l’image de l’extermination se superpose celle de la puissance d’Israël dans la guerre qui l’oppose aux Palestiniens. On retient les deux images, toutes deux réductrices. Les Juifs n’ont pas été que des victimes et ne sont pas que des bourreaux» Libération, 30 août 2004. La «nazification» scandaleuse d’Israël va de pair avec «l’hitlérisation» d’Arafat, «le plus grand tueur de Juifs après Hitler» et la «nazification» de l’islamisme. Les amalgames opérés par certains manifestants sont faux, contre-productifs et parfois scandaleux. Mais le débat et l’argumentation ne sont-ils pas la meilleure arme pour les contrer ? Quitter les manifestations, n’est-ce pas céder le terrain à ceux précisément qui le minent ? Ne doit-on pas au contraire se réjouir que la population d’origine maghrébine qui est aussi, soit dit en passant, celle des quartiers populaires, forme une part importante des manifestants ? Au lieu de proférer des banalités comme «il ne faut pas importer le conflit», ne faudrait-il pas être nombreux à manifester avec les «arabo-musulmans» contre l’inacceptable ? À moins que la dénonciation de ces slogans ne serve qu’à l’instrumentalisation de la mémoire pour transformer ceux qui manifestent leur solidarité avec les victimes de Gaza en agresseurs dans les rues de Bruxelles. N’est-ce pas alors la cause de la propagande israélienne et celle du CCOJB, qui prétend représenter la communauté juive, que l’on sert ? Malheureusement, les «arabo-musulmans» sont loin d’avoir le monopole du communautarisme.