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Nouvelles figures du racisme et de l’antiracisme. Quand les minorités prennent la parole. (Présentation)

Mauvaise nouvelle : le racisme, cette insulte à l’intelligence humaine, se porte bien. Bonne nouvelle : pour le contrer, l’antiracisme déploie de nouvelles stratégies. Nouvelles stratégies ? Plutôt nouveaux acteurs. Aujourd’hui, l’iconographie dominante du racisme et de l’antiracisme vient toujours des États-Unis et d’Afrique du Sud, deux États multiraciaux avec une population noire dominée. Les héros sont noirs : Martin Luther King, Rosa Parks, Malcolm X, Steve Biko, Nelson Mandela. Rien d’équivalent dans cette Europe des Lumières qui expérimenta la théorie et la pratique de l’inégalité des « races » humaines à distance, à travers l’entreprise coloniale. Dans les métropoles, la population pouvait se permettre d’ignorer les crimes épouvantables commis en son nom à des milliers de kilomètres de chez elle.

Un nouvel antiracisme émerge, qui trouve sa source dans des minorités ethnoculturelles conscientes d’elles-mêmes.

Tandis qu’aux États-Unis, le logiciel antiraciste est directement issu des luttes des Afro-Américains, l’Europe – et tout particulièrement la France – élabora un antiracisme abstrait en l’absence physique des peuples réputés inférieurs qui n’étaient rencontrés qu’en outremer. Tout changea quand l’immigration postcoloniale et celle du travail transplantèrent par milliers des Noirs, des Arabes et des Turcs sur le sol européen. Il fallut ensuite quelques décennies pour que ces enfants de gastarbeiters deviennent des citoyens à part entière capables de prendre en main la défense de leurs droits. Nous y sommes aujourd’hui. Le nouvel antiracisme qui émerge peut s’appuyer sur des minorités ethnoculturelles majeures et conscientes d’elles-mêmes. Leurs revendications et leur agenda ne coïncident pas forcément avec celui de l’antiracisme historique. Avec de nombreux malentendus à la clé. Après un cadrage historique d’Henri Goldman, Michaël Privot dessine la carte de ce nouvel antiracisme européen et justifie l’efflorescence de nouveaux signifiants (islamophobie, négrophobie, antitsiganisme…) : il y a aussi des enjeux symboliques de reconnaissance à nommer les racismes spécifiques. Sur ce terrain, le monopole de l’antisémitisme n’est pas justifiable. Jérôme Jamin expose les stratégies lexicales de l’extrême droite, délaissant la stigmatisation raciale qui tombe désormais sous le coup de la loi pour s’en prendre aux musulmans à travers un procès fait à leur religion. Le procédé fonctionne et fait des ravages bien au-delà du périmètre de l’extrême droite. En contrepoint, Marc Jacquemain (pour la laïcité) et Irène Kaufer (pour le féminisme et le mouvement LGBT) montrent comment des mouvements émancipateurs peuvent en venir à nourrir l’islamophobie en lui fournissant des alibis. À rebours des auteurs précédents, Marco Martiniello relève le danger potentiel d’un fractionnement des luttes identitaires antiracistes qui feraient le lit d’une concurrence des victimes au détriment d’une lutte convergente. Jean Vogel lui donne-t-il raison ? Il met en évidence la vitalité d’un nouvel antisémitisme où le vieux mythe de la toute-puissance juive trouve un écho auprès des populations musulmanes ulcérées par l’impunité dont jouit l’État d’Israël avec le soutien apparemment sans faille des communautés juives. Si celles-ci donnent de la voix, ce n’est pas le cas des Roms qui, comme le relève Corinne Torrekens, ne disposent pas d’un leadership légitime pour les armer face aux discriminations massives – sans doute les pires en Europe – qui les visent. Du côté des populations négroafricaines, avec retard, on commence à prendre son sort en charge. Sarah Demart et Nicole Grégoire mettent en évidence l’importance des enjeux de mémoire pour ces descendants de colonisés. Enfin, prenant acte de l’émergence de la prise de parole autonome des groupes discriminés, Henri Goldman trace la perspective stratégique d’un « antiracisme de convergence » où des mouvements de minorités s’articuleraient avec des combats plus globaux pour l’égalité. Ce Thème a été coordonné par Henri Goldman.