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Plus banalisé que cela, tu votes

Imaginez la scène: une chaîne de télévision de service public, une émission d’information et de débat, en direct et en public, le présentateur prenant une mine réjouie: «Notre invité vient tout juste d’être condamné pour racisme. Mesdames et messieurs, je vous demande d’accueillir…» L’invité apparaît, tout souriant. Et le public d’applaudir comme un seul homme… Inimaginable? Pourtant, c’est ce qui s’est passé le dimanche 25 avril sur la VRT, dans l’émission «De Zevende Dag». L’invité était Frank Vanhecke, président du Vlaams Blok, quelques jours après que la Cour d’appel de Gand ait clairement reconnu et condamné le caractère raciste de sa propagande, en infraction à la loi de 1981 Loi qui réprime les actes inspirés par le racisme et la xénophobie. Applaudi à son arrivée, F. Vanhecke paraissait très à l’aise. Certes, le journaliste lui posait quelques questions incisives — mais pas plus rudes que quand il a en face de lui Steve Stevaert ou Karel De Gucht. L’invité, donc, avait tout loisir de déployer sa plainte sur la liberté d’expression bafouée, d’en appeler à l’opinion publique et à l’Europe… avant de repartir sous une nouvelle salve d’applaudissements, après que le journaliste l’ait très aimablement remercié «pour cette conversation». S’il y a eu des sifflets, ils ne sont pas passés à l’antenne. Le public du «Zevende Dag» est plutôt du genre qui ne s’en laisse pas conter. Le même dimanche, la ministre de l’économie Fientje Moerman affrontait un syndicaliste ACV (CSC flamande) sur le projet d’élargissement des horaires d’ouverture dans les commerces. La ministre jouait sur la corde «moderne» et le syndicaliste tenait vaillamment son rôle de dinosaure agrippé aux droits acquis. Match complètement déséquilibré, semblait-il. Or, après le débat, le même public, de manière assez surprenante, a « voté » à 74~% contre une mesure qui paraissait pourtant populaire, alors qu’il comprenait probablement plus de consommateurs que de travailleurs des grands magasins… On savait que les médias flamands avaient rompu depuis belle lurette le «cordon sanitaire» autour du Blok. Mais l’accueil du public est d’autant plus inquiétant. Il s’agissait de bien autre chose que de simple politesse. Un homme politique condamné pour, supposons, des faits de corruption, aurait-il été accueilli avec autant de bienveillance? Ou, pour le dire autrement: est-ce le Vlaams Blok qui est banalisé, ou la racisme? D’accord, statistiquement une personne sur cinq présente dans le public ce jour-là votera pour l’extrême droite. Mais où diable étaient les autres…? 15 mai 2004