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Populistes de gauche

On a beau le dire et le redire, l’écrire et le faire savoir dans des dossiers spéciaux consacrés entièrement à la question, l’idée que le populisme puisse être de gauche a toujours du mal à passer. Le simple fait de relier la notion de « populisme » et la notion de « gauche », avec en filigrane la justice sociale et la lutte contre les inégalités, pose immédiatement problème ! L’explication est simple : le « populisme » est tellement étiqueté négativement et si souvent associé à l’extrême droite qu’il devient presqu’impossible d’évoquer le populisme pour parler d’individus ou de partis aussi différents qu’Hugo Chavez, le PTB ou Jean- Luc Mélenchon sans susciter un malaise (à gauche bien entendu). Et pourtant il faut s’y risquer, car l’histoire est faite d’individus ou de partis qui ont pu combiner une rhétorique populiste, parfois démagogique, et un réel souci d’amélioration des conditions de vie des plus démunis, des plus fragiles et des laissés pour compte. Les États-Unis, pays peu connu pour être une terre de justice sociale, témoignent richement de ce mélange apparemment contre-nature mais en réalité tout à fait fonctionnel et efficace dans certains cas. Il y a par exemple le révérend Jesse Jackson (1941), activiste des droits civils, défenseur d’Hugo Chavez, figure emblématique de l’aile gauche du parti démocrate et champion de la défense du peuple contre les élites, contre Washington, contre le système ! Sur fond de religiosité, de relations raciales (au sens américain : race relations) et de dénonciation des élites, Jackson a su mobiliser les masses contre les « gros » et les « parvenus » qu’il faut taxer au maximum car ils exploitent les travailleurs, et notamment les afro-américains. Il y a aussi le People’s party, fondé en 1892 à Saint Louis. Ce parti est encore aujourd’hui unanimement considéré comme une des principales figures historiques du populisme. Le mouvement naît d’une protestation populaire exprimée par ceux qui feront l’essentiel de sa base électorale, c’est-à-dire les petits exploitants agricoles de l’Ouest, mais aussi les mineurs, les socialistes chrétiens, les femmes des milieux modestes et quelques autres encore (tous issus de couches les plus défavorisées). Au People’s party, on dénonce les fermiers qui travaillent dur quand d’autres font les lois, on affirme que les gens de ce pays sont des esclaves alors que le monopole de Wall Street est le maître[1.M. Canovan, Populism, London, Junction Books, 1981, pp. 26 et 33.]. L’opposition entre le peuple et l’élite politique et/ou financière est omniprésente dans la rhétorique populiste. Il y a enfin un personnage qui mériterait d’être étudié en profondeur dans nos contrées et qui incarne sans doute le mieux non seulement le populisme de gauche qui défend les « petits » contre les « gros » mais qui a aussi été très loin dans la mise en place de techniques permettant une relation directe entre le leader et le peuple sans passer par les « intermédiaires » jugés peu fiables et à la solde du « capital ». Surnommé « The Kingfish », Huey Long a été gouverneur de Louisiane et sénateur national entre 1928 et 1935 (car il est assassiné). Défenseur de la gratuité des ouvrages à l’école, d’une université publique accessible pour tous, de cours du soir pour les adultes analphabètes, artisan d’un système permettant la vente du gaz à un prix bon marché, Long était aussi connu pour ses attaques contre les privilégiés jugés comme autant de parasites nuisibles à la société. Le peuple est bon, affirmait Long quelques années après le crash boursier de 1929 : « Si vous croyez que la Louisiane peut être dirigée par le peuple, que le pauvre est aussi bon que le riche, que la Louisiane est un État où chaque homme est un roi mais où personne ne possède de couronne, alors votez pour moi »[2.Ibidem, p. 155.]. Tout ce qui précède rappelle à quel point le populisme joue un rôle central dans la vie politique aux États-Unis et qu’à bien des égards, il est possible de parler de populisme de gauche sans faire l’amalgame avec l’extrême droite.