Retour aux articles →

Pour en finir avec le yoyo

 

La déroute électorale d’Écolo aux élections du 25 mai a fait inévitablement ressurgir la métaphore du yoyo. Et pour cause : les fluctuations électorales du parti multipliant puis divisant ses voix par deux à chaque élection font image. Comment échapper à la malédiction ?

Un tel comportement électoral n’a aucune équivalence ailleurs, du moins dans les familles politiques qui font partie du paysage depuis un certain temps, ce qui est bien le cas des partis verts apparus il y a près de 40 ans. En règle générale, une variation de 20 ou 30% d’un score électoral serait considérée selon le cas comme un triomphe ou comme une catastrophe. Mais des variations à répétition de 50%, ça ne s’est vu nulle part.

Cette insensibilité en dit long sur la dégradation d’une relation dont la richesse était, il y a vingt ans, un des traits distinctifs de cette « autre manière de faire de la politique ».

Le yoyo d’Écolo le singularise aussi par rapport à d’autres partis verts placés dans des situations comparables. De fait, en Europe, il n’y en a pas beaucoup. Parmi eux, peu ont connu une existence relativement stable depuis 20 ans. Et peu opèrent dans des contextes politiques proches caractérisés comme en Belgique par un système électoral proportionnel ainsi que par la présence simultanée d’une social-démocratie classique et d’un parti démocrate-chrétien garantissant la prépondérance de l’ « économie sociale de marché ». Les Verts flamands (Agalev puis Groen) ont partagé avec Écolo le premier cycle du yoyo (1995-2004), quoiqu’avec des effets moins dévastateurs, mais pas le second. Si on fait abstraction de l’anomalie de 1999, Groen apparaît plutôt en croissance lente qui lui permet d’égaler, pour la première fois en 2014, le score d’Écolo. Les Verts allemands ont partagé avec Écolo le deuxième cycle, mais dans des proportions infiniment moindres. Quand aux Verts autrichiens, ils y ont échappé à cause d’un calendrier électoral décalé.[1.Les scores de Die Greng au Luxembourg sont similaires aux chiffres allemands et autrichiens, sans aucun effet yoyo. On ne reprend pas les chiffres des Pays-Bas, vu la grande instabilité générale du paysage politique, ni de France, à cause, notamment, du système électoral majoritaire.]. La comparaison de ces quatre situations suggère que, dans les pays du capitalisme rhénan, l’écologie politique dispose désormais d’un socle électoral situé entre 8 et 12%. Ce n’est pas rien. Ceci devrait réconforter les membres d’Écolo : les scores de leurs défaites sont, par comparaison, absolument normaux. Ce sont les victoires qui sont tout à fait exceptionnelles. Elles ont été la conséquence de circonstances extérieures sur lesquelles personne n’avait prise. Inutile de rêver à retrouver de tels scores. Un objectif plus réaliste consisterait modestement à stabiliser son ancrage social et électoral – ce qui implique d’abord d’être capable de l’identifier –, puis de l’élargir dans des directions précises en cessant de vouloir « ratisser large », certains intérêts sociaux étant rigoureusement contradictoires. Sinon, à ce jeu malheureusement trop pratiqué, Écolo restera éternellement premier au hit parade… des seconds choix.

Société civile : le divorce

Avec le recul, les victoires de 1999 et de 2009 semblent avoir fait plus de mal que de bien. Elles ont semé l’illusion qu’Écolo pouvait devenir à court terme la troisième pointe d’un « trinôme » avec les socialistes et les libéraux, le déclin des chrétiens-humanistes étant considéré comme acquis. Cette illusion a eu un effet dévastateur : Écolo s’est mis à faire de la politique comme les autres, en calibrant en permanence son discours sur les attentes supposées d’une « opinion publique » formatée par le système médiatique à coup de sondages et d’enquêtes d’opinion. Cet « aplatissement » de la complexité ne convient pas aux écologistes. L’articulation de l’urgence sociale et de l’urgence environnementale, priorités indissociables de tout écologiste de gauche, ne va pas de soi et l’analyse systémique chère à Écolo ne se laisse pas réduire à des affrontements binaires. C’est pourquoi une relation étroite avec la société civile leur est tellement indispensable. Sauf circonstances exceptionnelles, ils auront toujours du mal à s’adresser directement au « peuple ». Pour l’atteindre, ils devront passer par cette couche décisive composée de milliers de citoyens organisés en syndicats et en associations. Ceux-ci ont accumulé des trésors d’expériences au contact d’un autre « peuple » que celui qui est invoqué quand on agite l’ « opinion publique ». Écolo devrait lucidement reconnaître que ses succès tiennent largement à son lien privilégié avec un des tissus associatifs les plus serrés d’Europe. Or, ce lien a été rompu deux fois. La première en 1999, quand les Verts sont entrés dans les majorités arc-en-ciel. L’épisode mérite d’être rappelé. Entre 1996 et 1998, sous le label des Egep (états généraux de l’écologie politique), Écolo avait mené une vaste opération de dialogue avec les forces vives de cette société civile. Ce dialogue avait musclé son programme et l’avait enraciné dans le meilleur terreau social. La victoire, imprévue dans cette ampleur, aux élections de 1999 lui ouvrait les portes des majorités à côté de partis perdants (socialiste et libéral). Mais ceux-ci, pas nés de la dernière pluie, lui imposèrent un programme jugé unanimement insuffisant par les Verts et leurs alliés. Qu’est-ce qui motiva ce choix de participation ? Les responsables écologistes étaient pourtant conscients que la grande majorité de leurs partenaires des Egep se sentiraient trahis par cette signature. Mais, d’un autre côté, « les électeurs n’auraient pas compris » qu’Écolo refuse un pouvoir qui semblait s’offrir à lui. Un troisième argument, quelque peu subliminal, fit sans doute la décision : la génération politique qui avait créé Écolo aspirait désormais à autre chose, y compris en termes de statut et de reconnaissance sociale. Même si les conditions politiques n’étaient pas idéales tant la complicité culturelle et personnelle de ses futurs partenaires crevait les yeux, elle n’allait pas rater l’occasion de s’inviter à la table du pouvoir. À la suite de quoi la société civile des Egep se retira sous sa tente, un peu déçue d’avoir servi de marchepied à une opération de promotion politique qu’elle n’approuvait pas. Elle n’en sortira plus, comme la tentative ratée de rééditer l’opération Egep en 2011 le démontra.

TSCG

Quant à la deuxième rupture, elle est plus récente. Il s’agit, en 2013, de la véritable pantalonnade d’Écolo à propos du TSCG (le traité européen dit de la règle d’or qui constitutionnalisait l’austérité) dont la ratification fut soumise au vote de toutes les assemblées du pays. Écolo s’y opposa au niveau fédéral, là où il siégeait dans l’opposition, et le vota partout ailleurs, là où il participait aux majorités. L’argumentation pour justifier cette curieuse polyphonie fut un superbe exercice de langue de bois technocratique qui ne pouvait convaincre personne… sauf, à la rigueur, des partenaires gouvernementaux qu’on souhaitait manifestement rassurer avant toutes choses[2.Cette question est également évoquée dans les contributions d’Arnaud Zacharie, de Felipe Van Keirsbilck, d’Olivier Starquit et de Philippe Lamberts.]. On peut supposer que cette question, effectivement assez technique, n’a pas influencé massivement le vote des électeurs. Mais il se trouve qu’elle avait mobilisé toutes les organisations de la société civile avec lesquelles Écolo se piquait d’avoir des relations privilégiées. Leur opposition résolue n’eut aucun effet sur la décision du parti vert, totalement absorbé par une petite cuisine politicienne. Cette insensibilité en dit long sur la dégradation d’une relation dont la richesse était, il y a vingt ans, un des traits distinctifs de cette « autre manière de faire de la politique ». Il y a un lien entre cette dégradation et l’effacement progressif d’un autre trait identitaire de la pratique politique écologiste. À partir de 1999, on a vu se constituer petit à petit une « caste politique » au sein d’Écolo, y compris avec quelques effets de dynastie. Ce phénomène n’est encore qu’embryonnaire en comparaison avec les partis concurrents. Mais le flux d’échanges entre le personnel politique écolo et la société civile a été rompu. On fait désormais carrière au parti directement, sans la légitimité acquise ailleurs qui faisait la richesse du parti à ses débuts. La démonstration de l’utilité sociale d’un parti comme Écolo passe par la reconstruction de ces liens brisés et par l’invention d’une forme inédite de partenariat où personne n’instrumentalise personne. Vaste programme. Trop vaste ?