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Pour une gauche antiproductiviste

Si le 25 mai, nous voterons Ecolo, c’est avant tout par adhésion au courant de l’écologie politique, que ce parti incarne le mieux. Quiconque observe le fossé qui sépare le caractère radicalement nouveau des défis à affronter du simplisme ressassé des propositions politiques ne peut être que saisi de vertige. Ce qui nous apparaît comme l’enjeu majeur de notre temps n’y est ni débattu ni même évoqué. Nous voulons parler de la nécessaire sortie du productivisme, ce système qui soumet nos sociétés et notre environnement à des tensions insoutenables à un terme de plus en plus court. La croissance n’est pas le remède à la pauvreté ou aux inégalités : les trente dernières années l’ont démontré. Fort de ce constat, le projet de société de l’écologie politique poursuit comme but la transformation radicale d’un modèle de développement consumériste et inégalitaire. Là où d’autres s’affrontent sur les meilleures manières d’assurer la croissance et d’en repartir les fruits, l’écologie politique explore la voie qui peut garantir une société meilleure. Le productivisme procède d’une confusion entre moyens et fins. La croissance n’a aucun sens comme fin. Comme moyen, elle s’avère socialement inefficace et environnementalement insoutenable.

La gauche est plurielle. Ecolo incarne une gauche de rupture au capitalisme, au consumérisme et au productivisme, mais qui ne se limite pas à la dénonciation et propose des moyens pour en sortir.

Les modalités de mise en place d’une transition juste vers une prospérité sans croissance, les divergences autour des moyens d’organiser cette sortie, les promesses et les limites de la technologie pour y parvenir, toutes ces questions devraient être centrales dans la présente campagne. En lieu de quoi nous assistons à un rituel fatigué dont les protagonistes semblent paralysés par la crise et moins enhardis que jamais à profiter des occasions qu’elle offre pour sortir de leur zone de confort idéologique. Dans ce paysage maussade, Ecolo se distingue par l’idéologie radicale dont il est le vecteur et qu’il a récemment réaffirmée en adoptant un manifeste, ainsi que par une action orientée vers le durable et le long terme. Certes, les nécessaires compromis de toute participation gouvernementale, les couacs de communication et la difficulté de parler de transformation peuvent obscurcir l’image des Verts. Mais derrière la difficulté des discours, que disent les faits ? Ecolo dans les gouvernements ou les parlements, c’est la tarification progressive de l’électricité, réclamée à cor et à cri par les mouvements de gauche depuis trente ans et mise en place grâce au volontarisme de Jean-Marc Nollet ; c’est la limitation des bonus des banquiers, obtenue par Philippe Lamberts, qui peut s’enorgueillir à juste titre de l’étiquette de « pire ennemi de la City », que lui ont décernée Le Monde et le Financial Times ; c’est le sixième pôle de compétitivité du Plan Marshall, consacré aux technologies vertes, dont aucun des partenaires gouvernementaux ne voulait, et qui s’avère, ex post, la plus grande réussite dudit Plan ; c’est la mise en place des Alliances Emploi-Environnement qui constituent une manière à la fois innovante, juste et efficace de concevoir l’intervention publique en matière économique ; c’est la dénonciation par Zakia Khattabi de l’élargissement de la transaction pénale et, plus généralement, de l’approfondissement de la justice de classe auquel a procédé le gouvernement Di Rupo ; c’est le travail colossal mené par Zoé Génot à la Chambre pour lutter, seule à gauche, contre la réforme du chômage et la politique d’expulsion des sans-papiers. Nous ne continuerons pas la litanie. Elle ne sert qu’à démontrer la capacité des ministres et parlementaires écologistes à « délivrer » et à transformer le programme de parti en programme de gouvernement ou en contre-feux parlementaires.

L’Égalité partout

Cette vision se traduit également dans un programme dont le point cardinal nous semble être la globalisation des revenus en matière de fiscalité. Elle permet de s’assurer que le principe de progressivité ne s’applique pas uniquement aux revenus du travail mais à l’ensemble des revenus, mettant de facto un terme au traitement de faveur dont bénéficient les revenus du capital. Il semble désormais acquis qu’une réforme fiscale majeure sera – enfin ! – au menu des négociations des prochains gouvernements. Si Ecolo devait ne pas en être partie prenante, ce principe de bon sens et de justice sociale qu’il est le seul à porter serait vraisemblablement passé au bleu des petits arrangements entre amis (« Tu ne touches pas à mes voitures de société, je te laisse la norme d’augmentation des soins de santé au profit des plus faibles et des multinationales pharmaceutiques »). Autre axe majeur du programme qui traduit et matérialise cette gauche antiproductiviste : la réduction collective du temps de travail. Tant de sacrifices ont été imposés aux travailleurs par les coalitions social-libérales au nom du tout à l’emploi : chasse aux chômeurs, dégressivité accrue des allocations de chômage, stagnation salariale et diminution des cotisations patronales pour soutenir la compétitivité, recul de l’âge effectif de départ à la retraite… Et ce, alors que la productivité des travailleurs n’a jamais été aussi élevée. La réduction collective du temps de travail est seule à même de répondre par le haut au drame lancinant du chômage. De manière transversale, le programme écologiste se distingue des autres par une lecture genrée des politiques. L’égalité entre hommes et femmes ne se limite pas aux questions, fussent-elles centrales, des différences salariales ou de composition des assemblées parlementaires. En raison du type d’emploi qu’elles occupent, les femmes sont souvent les premières victimes des mesures d’austérité. Elles sont aussi les oubliées de l’aménagement de l’espace public. Leur sous-représentation dans les milieux académiques et patronaux est alimentée par les règles de promotion. C’est aussi dans cette optique féministe qu’Ecolo défend l’individualisation des droits sociaux, c’est-à-dire la reconnaissance pour chaque individu de droits propres, ouverts par des cotisations sociales individuelles et indépendants de la situation familiale.

Être ce que l’on dit

L’écologie politique, c’est un programme, mais aussi une volonté d’adopter dans le fonctionnement interne du parti ce qui est réclamé ailleurs. Ainsi, la parité était une pratique récurrente sur les listes Ecolo, bien avant son instauration légale. L’application sans exception du « principe de la tirette » se retrouve également à tous les échelons de l’organisation jusqu’à la coprésidence. Le parti se caractérise également par sa démocratie interne. Le choix de la coprésidence, des candidats et de la participation gouvernementale demeurent entre les mains des militants. La rétrocession large du traitement des mandataires et la limitation des cumuls sont d’autres exemples concrets d’une volonté d’entretenir un rapport sain à la politique et d’éviter la concentration du pouvoir. S’appliquer les politiques qu’on préconise est le premier élément de la construction d’une crédibilité politique. Oui, à Ecolo, la culture politique est différente. Oui, les affaires, le népotisme et le clientélisme demeurent étrangers aux Verts. Et oui, la grande majorité des mandataires et cadres du parti ne font pas de la politique une carrière professionnelle. La gauche est plurielle. Ecolo incarne une gauche de rupture au capitalisme, au consumérisme et au productivisme, mais qui ne se limite pas à la dénonciation et propose des moyens pour en sortir. La spécificité d’Ecolo est d’envisager les enjeux majeurs de notre organisation sociale dans leur ensemble et leurs interactions. Au sein du projet écologiste, le social, l’économique et l’environnemental sont articulés plutôt qu’opposés ou hiérarchisés. La protection de l’environnement ne peut être reportée à plus tard, à une hypothétique sortie de crise. Elle doit être bien plus qu’un chapitre d’un programme électoral. La prise en compte des limites de notre planète doit être au centre de tout programme de gauche. Car les victimes de la pollution et des dérèglements environnementaux sont également les plus fragilisés sur le plan socio-économique. Car si l’on ne fait rien aujourd’hui pour organiser une transition socialement juste, la sortie du productivisme s’imposera, contrainte et non démocratique, à mesure que les ressources de la planète s’épuiseront.