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Pour une lecture féminine des textes

Comment établir une corrélation entre les fondements religieux et les droits humains, et plus particulièrement ceux des femmes ? Les féministes musulmanes cherchent le lien dans les textes eux-mêmes et souhaitent développer une solidarité des luttes des femmes dans le respect des références de chacune. Propos recueillis par Anne-Françoise Theunissen, Irène Kaufer et Nadine Plateau.

Féministe musulmane. Ces deux termes qui recouvrent des engagements, des histoires personnelles et de société, des luttes militantes, ne sont-ils pas antagonistes, voire incompatibles ?

C’est une question fondée. Le féminisme est un mouvement idéologique qui s’est construit en rejet du religieux, et l’islam est perçu comme une religion qui oppresse quand d’autres y trouvent les sources d’une libération. C’est un concept déroutant. Mais je considère que «certaines» interprétations du féminisme sont compatibles avec «certaines» interprétations de l’islam, au même titre que «certaines» interprétations du féminisme sont incompatibles avec «certaines» interprétations de l’islam.

Le Coran est la parole de Dieu, un Texte sacré révélé au VIIe siècle et qui a donné des droits aux femmes. Mais ces droits ont été bafoués. Beaucoup d’hommes ont interprété le Coran durant plusieurs siècles, mais souvent leurs interprétations ont instrumentalisé l’essence du Message de l’islam. Ils ont interprété les textes à la lumière de leurs besoins, de leurs désirs, de leurs intérêts. De nombreux juristes n’ont pas lu les textes ou, n’ont pas situé leur lecture dans une perspective historique. C’est pourquoi des femmes qui se revendiquent d’un féminisme à l’intérieur du cadre religieux proposent un regard libérateur allié à une méthode interprétative des textes contextualisée. Cela déstabilise aussi bien les littéralistes musulmans qu’un certain courant féministe.

Les textes posent de nombreuses questions, notamment sur la nature de la femme. Je reconnais que c’est un concept qui déroute, qui paraît contradictoire pour certaines féministes occidentales, qui paraît d’autant plus contradictoire que l’on ancre nos réflexions dans la religion perçue comme oppressante en Occident. Comment les femmes peuvent-elles se libérer en s’appuyant sur des textes religieux ?

Dans cette démarche, nous rencontrons d’énormes résistances dont les premières proviennent de femmes musulmanes qui ressentent dans le projet féministe islamique une occidentalisation de l’islam et la perte de leur essence, de leurs références. Toutes les femmes intellectuelles musulmanes engagées ne se retrouvent pas forcément dans l’appellation «féministe». C’est une réalité qui s’impose au Gierfi. Si nous voulons travailler sur la question de l’émancipation des femmes, nous devons prendre en considération leurs convictions et les facteurs sociopolitiques. C’est pourquoi nous avons voulu réinvestir la religion et proposer une interprétation des textes en les relisant dans une perspective féminine, au regard du droit à partir d’une sensibilité de femme.

Dans quels domaines se situent vos revendications ? Quels sont les droits dont vous recherchez les fondements dans le Coran ?

Toutes les questions liées à la famille (mariage, le divorce, la polygamie). Beaucoup de femmes, mêmes jeunes, sont confrontées à cette question. La plupart des femmes ignorent leurs droits. À titre d’exemple, bon nombre d’entre elles se retrouvent après quelques années de mariage avec un homme qui un jour retourne au pays pour y épouser une autre femme. Or les femmes ignorent qu’elles peuvent exiger d’être la seule épouse et que cette exigence soit transcrite dans le contrat de mariage musulman.

La question du foulard fait également partie des droits que nous défendons. Les femmes ont le droit de décider de porter le foulard. Mais le port du foulard ne peut résulter d’une contrainte. C’est un acte choisi individuellement. Mettre le voile, mettre les voiles, cela passe par un désir, une volonté personnelle, et non un effet de mode. C’est le résultat d’une quête spirituelle et non pas d’un acte politique, ou identitaire, voire de rejet de l’Occident.

Sur toutes ces questions, les féministes musulmanes se situent dans une logique d’éducation doublée d’un travail politique. Nous voulons apporter un regard nouveau dans une approche féministe tout en assumant notre féminité.

Vous parlez de droits et d’égalité, de droits à l’éducation, de perspectives d’émancipation, mais comment situez-vous votre démarche et celle du Gierfi dans toutes les questions qui se réfèrent aux droits socio-économiques comme le droit au travail, au salaire, à l’activité professionnelle ?

Certes, le droit au salaire fait partie de notre travail d’émancipation, tout comme la question de l’héritage qui fait débat aujourd’hui, particulièrement dans la fixation du pourcentage auquel la femme peut prétendre La pratique est assez problématique aujourd’hui. Il arrive que l’on octroie aux femmes le huitième de ce qui est accordé aux hommes. Ce sont des interprétations qu’il faut revoir dans le contexte actuel. Il y a des savants qui étudient ces questions et qui ont démontré que, dans certains cas, les femmes ont hérité plus que les hommes.

Nous interrogeons donc les savants musulmans, les savants du Texte, et nous nous situons en tant que «savantes du contexte», pour reprendre l’expression du professeur Tariq Ramadan. Nous venons avec nos questions de femmes du troisième millénaire confrontées aux réalités contemporaines afin que les savants du Texte en donne une interprétation actualisée. Depuis des millénaires, la jurisprudence islamique a été adaptée au contexte occidental pour ce qui nous concerne. Mais nous souhaitons de nouvelles approches et de nouvelles méthodes interprétatives pour interroger les textes et y apporter des réponses en vue d’une transformation de la jurisprudence islamique. Nous n’acceptons plus les réponses simplistes. À titre d’exemple, le conseil européen de la Fatwa qui rassemble des savants musulmans mondialement connus aborde des questions diverses, importantes. Mais en général, ils évacuent les questions liées aux femmes. Raison pour laquelle nous voulons des spécialistes du Texte ouverts sur les questions posées par les femmes, et nous voulons être reconnues comme spécialistes du contexte en refusant que les hommes posent des questions à notre place.

Sur quoi vous appuyez vous pour assurer la légitimité de vos questions et de vos contextualisations ?

Notre démarche vise à interpeller les savants. Nous en avons besoin pour asseoir nos interrogations. L’histoire musulmane est pleine de femmes qui ont participé aux savoirs religieux. Il y avait des femmes juristes et les femmes donnaient des cours dans les mosquées. La ségrégation entre hommes et femmes est une histoire récente. La sclérose de la pensée musulmane est récente ! Dans les mosquées, la mixité se vivait. Hommes et femmes priaient ensemble. À La Mecque, hommes et femmes sont côte à côte. Et que fait-on aujourd’hui dans les mosquées, particulièrement dans les mosquées installées en Europe ? Dans le meilleur des cas : les femmes «sont priées» de prier dans des petites salles de classe… Encore faut-il qu’une place leur soit réservée… Les femmes doivent réinvestir les mosquées mais surtout prendre part au processus décisionnel de la mosquée. Du vivant du prophète, les mosquées étaient des lieux de savoir et de débats, avec hommes et femmes réunis.

La Rabita de la Mohammedia, qui est la prestigieuse instance religieuse de référence au Maroc, a été séduite par notre projet. Les savants qui la composent ont accepté d’être la « caution théologique » de notre travail. Nous cherchons un équilibre entre les conventions internationales, les traités et les sources scripturaires. Ce n’est pas facile. Pour beaucoup de littéralistes musulmans, les droits de l’Homme sont perçus comme étant anti-islamiques.

Mais c’est le défi que nous voulons relever. C’est à nous, femmes musulmanes occidentales, de démontrer que les droits internationaux nous protègent. Par exemple, l’interdiction de l’excision, issue d’une convention internationale, a été reconnue par plusieurs États musulmans. Les savants ont clairement dit que c’était une atteinte aux droits humains. Et nous, féministes musulmanes, voulons mettre en corrélation ces droits internationaux avec les fondements religieux.

Nous nous situons dans une troisième voie, à l’intersection des religions et du féminisme, intersection qui se construit souvent dans la douleur. De fait, beaucoup de féministes refusent d’entendre qu’il existe un féminisme musulman. J’entends bien les féministes qui ne comprennent pas pourquoi nous revendiquons des droits religieux, comme celui de porter le foulard. Et je tiens particulièrement à entendre les rejets et refus des féministes, ou plutôt de certaines féministes, telles les féministes iraniennes qui luttent contre le port du voile dont elles dénoncent toutes les dérives religieuses et enfermantes. Je comprends d’autant plus que pour elles, cette lutte était enracinée dans une volonté d’émancipation des femmes. Je tiens également à dire que je suis en «empathie» avec les expressions des féministes occidentales qui s’opposent également au port du voile dans toutes les sphères publiques, même si je ne suis pas d’accord.

Démarches de féministes musulmanes, revendications de féministes occidentales, où se situent les confrontations et les ruptures ? Où se situent les alliances ?

En matière de droits, notamment en ce qui concerne le droit à l’avortement, nous avons été confrontées à des difficultés importantes entre féministes d’horizons divers dans le cadre de mon expérience au sein du Collectif des féministes pour l’égalité. Lorsque nous avons abordé ces questions, nous avions atteint, pour certaines, les limites d’un partenariat entre féministes. Or, lorsque l’on explore les textes en la matière, on y trouve les bases qui permettent aux femmes musulmanes de recourir à l’avortement jusqu’à un certain nombre de mois, quelles que soient les circonstances qui les conduisent à l’acte. Lors de la signature de conventions internationales sur le sujet, on a pu constater que certains pays musulmans reconnaissaient ce droit à l’avortement. Le clivage n’est donc pas religieux.

Il est donc de notre responsabilité de faire connaître ces avis et décisions internationales, d’autant qu’ils s’inscrivent dans les droits que nous défendons. Nous participons ainsi à sa diffusion et sa connaissance.

Et les questions liées à la sexualité, le rapport entre hommes et femmes, l’homosexualité, les premiers apprentissages des jeunes filles, comment les abordez-vous ?

Les interrogations des femmes au sujet de la sexualité ne sont pas de l’ordre de l’émancipation, mais davantage liées à des comportements et des actes acceptés ou non dans la relation sexuelle avec le mari ou le futur mari. Les femmes sont persuadées que les textes imposent des règles sur les formes et les manifestations des rapports sexuels. Et les questions qu’elles nous posent nous paraissent dérisoires et quelques fois caricaturales, l’usage du porte-jarretelles en est assez exemplaire. C’est non seulement révélateur d’une méconnaissance de l’esprit des textes, mais également de la prégnance d’une culture qui infantilise et marginalise les femmes.

On retrouve le poids de cette méconnaissance au sujet de la virginité. La presse en a largement relayé les débats. Or les textes n’imposent pas la virginité comme condition indispensable au mariage. Tous les débats qui visent à l’imposer relèvent de la pudibonderie. Mais il est désolant de voir que même des femmes qui ont réussi des études supérieures mélangent le religieux et le culturel. Pourtant les textes sont là, l’histoire est accessible : Aucune des femmes, épouses du prophète, n’étaient vierges si ce n’est Aicha. Mais si les textes ne parlent pas de virginité, ils définissent néanmoins clairement les règles à respecter : il ne peut y avoir de relations sexuelles que dans le cadre du mariage.

Tous ces débats révèlent clairement le niveau et la substance des réflexions des femmes musulmanes, ici en Europe. Les questions qu’elles posent sont différentes en fonction des contextes sociopolitiques : les préoccupations des femmes musulmanes belges d’origine marocaine ne sont pas les préoccupations des femmes marocaines vivant au Maroc. Au sein du Gierfi, nous réalisons que le poids de la famille, les pratiques culturelles ici en Occident, font apparaître un recul des femmes dans leurs connaissances des textes et leur volonté à se situer dans des perspectives émancipatrices. Ici en Belgique, au niveau intracommunautaire, les femmes concentrent leurs débats sur les pratiques culturelles (mais pas seulement…). Pourtant ces débats comportent des risques. J’ai été notamment interdite d’intervention dans une région après avoir refusé d’exclure des débats prévus la question de la virginité.

Ces débats sont prégnants et empêchent souvent d’aborder d’autres questions de droits, tels les droits économiques et sociaux. Mais je reste convaincue que si nous arrivons à passer cette étape, les questions qui concernent le statut de la femme, l’égalité dans tous les domaines, y compris l’accès aux professions juridiques et bien d’autres encore, seront prédominantes.

Les femmes marocaines et iraniennes, les femmes des sociétés musulmanes, sont bien plus avancées dans leurs revendications concernant les droits des femmes. En Arabie saoudite, on vient de créer une université mixte, initiative inimaginable il y a quelques années. Les questions liées à l’accès des femmes aux postes de juges par exemple sont clairement posées et défendues ! Dans la plupart des pays arabes, les femmes représentent 70% des universitaires. Les femmes ont pris conscience du rôle qu’elles doivent jouer dans la société et obligent, par leurs luttes, à redéfinir leur place et leur rôle dans une société arabo-musulmane complexe.

Ainsi, au Koweït, les femmes parlementaires se sont-elles battues pour siéger sans le voile, pendant que les hommes cherchaient dans les textes, les éléments qui permettraient de les en empêcher. Récemment, deux parlementaires koweïtiennes démocratiquement élues ont vu leur siège remis en question car elles ne portaient pas de voile. À nous de méditer, ici en Occident, tout ce dynamisme et la résistance des femmes dans les sociétés musulmanes.

Ces questions ne sont-elles pas uniquement portées par une élite constituée de femmes qui ont abouti dans leurs études et occupent des places de responsabilités sur le marché du travail ?

On est face à des femmes qui ont réussi leurs études, qui accèdent à des professions importantes. Cependant, celles qui accèdent à cette indépendance restent minoritaires. Mais ce qui m’intéresse, c’est la femme qui est marginalisée, précarisée, illettrée, celle qui subit le mariage forcé, celle à qui l’on dit : tu n’es plus vierge et tu n’as pas droit au mariage.

Le Gierfi veut assumer la fonction d’ascenseur. C’est pourquoi nous réalisons un travail d’information, de réflexion, de débats. C’est dans cet esprit que nous avons accepté de contribuer à la réalisation de l’encyclopédie des femmes. Pour nous, il s’agit de contribuer à la visibilité d’un renouveau féminin en Islam. Dans l’élaboration de ce travail, nous préparons des ateliers avec des acteurs de terrains et des savants. On débattra. Au terme de ces débats, nous réaliserons des livrets qui, à nouveau, feront l’objet de débats. Nous voulons contribuer à la promotion d’une pensée féminine qui questionne les concepts de citoyenneté, de laïcité et du féminisme… Concepts compatibles avec l’islam d’ailleurs…

Dans la mesure où vous réalisez un travail conceptuel, la légitimation de vos réflexions et avis passe nécessairement devant une autorité : celles des sages, des hommes. Ne trouvez-vous pas paradoxale, cette recherche d’une légitimation par une autorité extérieure, masculine, religieuse, pour une féministe qui lutte pour l’émancipation des femmes ?

La question est centrale. Nous ne considérons pas les sages, les savants que nous consultons, comme l’autorité suprême. D’autant plus qu’il y a différentes écoles de pensée dans la tradition shiite et sunnite, et donc différents avis qui peuvent diverger. La Rabita fait office de «caution théologique» dans le respect du rite malékite. Ce qui ne veut pas dire que nous essentialisons leurs avis. C’est une étape dans le débat. Il ne faut pas se leurrer. Nous avons face à nous des savants disposés à nous écouter avec nos questions de femmes, notre sensibilité féminine : un savant développera une interprétation «machiste» s’il est misogyne.

C’est pourquoi il faut davantage de femmes qui intègrent les sphères religieuses et les espaces politiques. Alors, elles établiront cet «ordre féminin» en bousculant les idées reçues relatives à la femme en islam.

Pour en revenir au risque d’instrumentalisation, comment voulez-vous avancer sans être liées et pliées à une seule interprétation ?

Le moment est opportun. Dans le monde arabo-musulman, les femmes s’engagent dans tous les débats. Le corps de la femme fait partie des enjeux à débattre. La question de la femme est le point nodal des débats dans les sociétés dites «démocratiques». Nous sommes un groupe de femmes activistes et intellectuelles international pleinement concernées par ces questions et nous souhaitons faire avancer les débats. C’est pourquoi le projet qui vise à réaliser une encyclopédie sur les femmes nous paraît une étape intéressante et opportune dans notre démarche. La Rabita s’engage à nous encadrer sur les questions théologiques, mais pas question de nous laisser instrumentaliser. Mais cela ne se fera pas sans difficultés. Nous sommes d’ores et déjà confrontées à des mécanismes de résistance dans cette réalisation. Elle exige de nous une connaissance quasi absolue des textes ainsi qu’une maîtrise des débats… Mais surtout, de la confiance en soi. Pour ne pas être marginalisées et donner du crédit à nos recherches, nous devons être sur le terrain avec des savants religieux afin de développer des arguments structurés, solidement ancrés dans la jurisprudence islamique.

Pourquoi un argument religieux pour défendre votre position ? Est-ce une tactique ou une conviction ?

Absolument pas : les arguments se trouvent dans le Coran, qui est porteur d’un message d’espoir et de libération pour les femmes musulmanes. Pourquoi chercher ailleurs ? Quand on justifie l’horreur avec des arguments religieux, il faut «contre argumenter» sur le même terrain !

Pour moi c’est une démarche indispensable pour discuter avec les personnes concernées. Quand on a une pratique au nom de l’islam, il faut la déconstruire avec le religieux. Ainsi la fatwa égyptienne qui condamne l’excision a-t-elle été construite sur un argumentaire religieux, de la même manière que des femmes ont pu échapper à la lapidation grâce à des mobilisations d’organisations musulmanes au Nigeria il y a quelques années.

Comment pouvez-vous vous appuyer sur l’islam ou certains argumentaires de la religion pour défendre des droits des femmes lorsque les interprétations de l’islam sont en contradiction avec certaines revendications féministes occidentales ? Qu’est-ce qui prime : l’égalité ou le respect des valeurs ?

La question de l’égalité fait débat entre féministes mais aussi à l’intérieur du courant musulman. On évoque la «complémentarité» et non une égalité totale entre les hommes et les femmes. Mais c’est le point de discorde entre certains courants féministes égalitaristes et les féministes musulmanes. La question de la nature de la femme interpelle. Je ne souhaite pas que l’on m’impose une conception du féminisme. Dans la religion musulmane, la différence entre hommes et femmes est reconnue, prônée. Mais cela ne doit en aucun cas justifier une hiérarchie dans les droits entre hommes et femmes. Faut-il à partir de cette reconnaissance fonder des rôles différenciés qui prendraient prétexte d’une supériorité ou d’une faiblesse construite culturellement pour légitimer la ségrégation et la division des rôles ? Les concepts de complémentarité et la question de la nature de la femme ne sont plus suffisants et doivent être à nouveau débattus au regard de l’égalité. Nous cherchons à être en phase avec les évolutions de notre société. L’égalité hommes/femmes et même la question du foulard font débat à l’intérieur du féminisme musulman. Certaines féministes musulmanes se battent pour promouvoir une interprétation des textes qui considèreraient le verset relatif au voile comme «obsolète» dans les sociétés contemporaines… comme certaines aimeraient légitimer la pratique homosexuelle entre musulmanes. Le féminisme musulman est un courant pluriel. Les questions sont de plus en plus audacieuses : à titre d’exemples : « pourquoi les femmes musulmanes ne pourraient-elles pas épouser un non-musulman alors que c’est permis pour un homme musulman »? Il y a deux ans, Hassan Tourabi, théologien musulman d’origine soudanaise a émis une fatwa étonnante : la femme musulmane a le droit de se marier avec un homme issu «des gens du Livre», c’est-à-dire les juifs et les chrétiens. Il considère que rien dans le Coran ne l’interdit et que puisqu’un musulman peut se marier avec une juive ou une chrétienne, une femme musulmane pourra en avoir le droit aussi…

Comment les féministes occidentales peuvent-elles être vos alliées dans ce combat ?

Les féministes d’horizons divers doivent s’engager sur certaines luttes communes non pas dans un rapport de domination des unes sur les autres mais dans le respect des spécificités de chacune … C’est l’expérience que j’ai pu avoir avec le Collectif des féministes pour l’égalité que présidait Christine Delphy à l’époque. Chacune a ses priorités et ses «stratégies». Il faut les respecter : s’engager sur des combats communs (égalité salariale, marchandisation du corps de la femme, droit à l’éducation, emploi, logement…). Il s’agit de respecter nos spécificités dans notre diversité. Nous avons un point commun : nous sommes des femmes et aujourd’hui ce n’est pas simple d’être une femme et d’être respectée comme telle. Mais le défi est justement de développer cette solidarité féministe dans les réseaux féminins dans le respect des références de chacune.

Le féminisme musulman ne doit plus dérouter. Il s’agit de normaliser la lutte sans être infantilisées et marginalisées dans cette démarche.