Retour aux articles →

Quelles marges pour l’action ?

Rappelons-nous les deux questions posées dans l’introduction : — existe-t-il un espace commun où les logiques «macro» et «micro» peuvent se rencontrer et trouver sens ensemble ? — comment introduire du collectif dans ce qui peut apparaître a priori comme très individualisé ? Les contributions à cette Semaine sociale tendent à répondre que les deux questions sont liées, que c’est dans l’une que l’autre trouve réponse, que c’est dans l’action collective que réside l’espace de rencontre entre le micro et le macro. Le message est qu’il y a des marges de manœuvre pour l’action politique. Et les travaux ont permis de cerner des éléments  qui identifient les endroits où il faut mener le combat ;  qui dressent un cadre méthodologique ;  et qui dessinent un cadre conceptuel. Anne Hercovici a identifié deux lieux différents pour développer l’action politique : — à l’intérieur des institutions, par davantage de rencontre et de convergences entre les différents acteurs, en exprimant, à l’instar de la CNE par la voix d’Yves Hellendorf et Patricia Piette, le chemin commun : améliorer la situation des travailleurs revient à améliorer la situation des usagers — à l’extérieur des institutions, dans l’appropriation citoyenne pour des réformes de politiques. Résumons quelques points de programme qui ressortent des travaux :  La nécessaire résistance à cette dérive qui consiste à confier de plus en plus aux intervenants sociaux des missions de contrôle social, au détriment de leur travail social de base.  Le besoin d’une réglementation sociale qui prenne davantage en compte la diversité et la complexité toujours plus grandes des situations de vie, au sens large (emploi et travail, logement, parcours de vie, relations affectives, profil familial) ; l’inadaptation actuelle oblige les citoyens à multiplier les trucs et ficelles pour «s’en sortir», et les professionnels du social à multiplier les démarches administratives de contrôle et de vérification pour remplir leur mission. C’est un «nœud», qui repose avec acuité la question de l’individualisation des droits, revendication qui mérite que nous la remettions à l’avant-plan.  La préoccupation par rapport à l’évolution de la «demande de la société», qui consiste à organiser l’aide sociale davantage dans une logique gestionnaire plutôt qu’émancipatrice. Comme l’a dit Dan Kaminski parmi quelques déclarations fortes : «le pouvoir préfère un peuple de victimes plutôt qu’un peuple de citoyens». Du point de vue de la méthode, deux grandes pistes se dégagent : — D’abord, il faut que les intervenants sociaux «fassent groupe», nous a dit Christian Defays, et à sa suite plusieurs autres intervenants, qu’ils inventent des fonctionnements d’équipe qui substituent la solidarité au contrôle mutuel, où on peut s’exprimer sans crainte sur ses doutes, où l’écoute, l’échange et le respect font partie de la pratique professionnelle. Ce faisant, on peut mener une réflexion qui intègre l’approche macro. Cette réflexion, il a été suggéré de la focaliser sur la «déontologie», notion que Julien Pieret invite à comprendre dans un sens de «processus collectif de réflexion permanente sur ses propres actes». — Ensuite, il faut se mettre résolument aux côtés des usagers, en particulier les plus faibles. En quelque sorte, il faut se mettre en partenariat pour construire ensemble la réponse aux problèmes, par exemple en partant de l’expertise que les gens ont sur leur quartier, en découvrant leurs talents, en établissant des réciprocités : c’est ce que Pascale Jamoulle nomme «proximité», et que Marc Chambeau prône comme «logique ascendante» (contre la logique descendante des règles qui s’imposent), tandis que, pour sa part, Abraham Franssen invite à subvertir le programme de «contractualisation». Un tel enjeu de démocratie ne peut que trouver des échos favorables dans les associations d’éducation permanente et permet ainsi de dessiner de formidables espaces d’alliance. Enfin, il y a un enjeu autour du cadre conceptuel avec lequel on nomme les choses. Nous vivons une réalité faite de toutes sortes de violences, il n’est pas question de le nier, mais cette violence est multiforme, ainsi que le rapportent notamment les témoignages croisés de François Govaerts et Thomas Verjans : il y a la violence physique, il y a aussi la violence sociale et économique. Comment qualifier une société qui exclut de l’emploi, et donc du revenu, et de l’avenir, 25% de sa jeunesse ! C’est d’abord cela la violence et l’insécurité ! Dan Kaminski nous invite d’ailleurs si pas à renoncer au moins à mettre en question la notion de sécurité : car elle est réductrice, finalement inexploitable ; on en fait un usage idéologique, qui revient à masquer les raisons structurelles et la réalité du risque inhérent au «vivre ensemble». Elle est utilisée par le pouvoir pour jouer sur le registre de la peur et de la plainte. Pour un mouvement social qui poursuit un objectif d’émancipation, l’enjeu est de transformer cette peur en colère, et cette plainte en revendication : c’est bien cela qui se fait, lorsque les travailleurs sociaux se regroupent, réfléchissent à leur situation et au sens de leur boulot, établissent des ponts avec des collectifs et des associations, pour porter ensemble la revendication politique ; c’est aussi cela qui s’organise dans le travail de proximité avec les usagers, qui en fait des partenaires à part entière de projets construits collectivement. C’est en l’imprégnant d’action collective que l’on fera évoluer le travail social vers une mission réellement émancipatrice et libératrice.