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Réforme

REFORME : Par une sorte de mutation génétique ce mot a connu une inversion de sens et désigne désormais la CONTRE-REFORME. La troisième loi du mouvement de Newton stipule «qu’à toute action s’oppose toujours une réaction égale». Si le couple action/réaction est bien entré dans l’usage courant, le monde social ne peut être assimilé au monde naturel. Depuis la révolution industrielle, les réformes impulsées en priorité par le mouvement socialiste avaient transformé en profondeur la société. À présent, ce sont les contre-réformes portées par la vague néolibérale qui sont à leur tour au centre des transformations sociales. Si les lois de la mécanique s’appliquaient à la société humaine, nous serions à présent en train de revenir au siècle passé. Les réformes réalisées par les uns sont bien liées aux contre-réformes des autres. Elles ne s’annulent cependant pas pour autant. Une contre-réforme n’est pas une réforme en sens contraire, mais c’est le contraire d’une réforme. Il ne s’agit donc pas de l’inversion du temps, d’un retour à avant la réforme, mais de l’invention de relations sociales inédites. Prenons un exemple : sur longue période, un ensemble de réformes (augmentation de la scolarité obligatoire et retraites plus précoces, journée de 8 heures et semaine de 5 jours, vacances annuelles et pauses carrières) ont entraîné une réduction du temps de travail. Alors qu’il y a un siècle on travaillait près de 60 heures par semaine, aujourd’hui nous travaillons en moyenne 39 heures. Pendant ce temps, notre prospérité et notre niveau de vie ont très considérablement augmenté. D’une manière plus générale, les travailleurs avaient accédé, à travers des réformes sociales d’envergure, à une stabilisation en rupture avec la précarité du salariat. Produire plus avec moins de travail était considéré, à juste titre, comme la mesure de l’efficacité de l’économie. Pourtant, aujourd’hui, on nous propose le contraire. Des entreprises, en nombre de plus en plus élevé, procèdent à des augmentations du temps de travail. Le patronat a fait de l’allongement du temps de travail un de ses chevaux de bataille. Alors que travailler moins et gagner plus avait permis d’améliorer le bien-être de tous, on soutient aujourd’hui qu’il faut travailler plus et gagner moins pour augmenter la richesse produite. Ainsi, après une longue période de réformes qui avaient bouleversé la société, à présent ce sont les contre-réformes qui produisent leur effet. La tendance s’est en effet inversée depuis quelque 25 ans. Le temps de travail hebdomadaire tend à nouveau à augmenter et la précarité mine la condition des salariés. Faudrait-il accentuer cette tendance et, comme les Français pour les 35 heures, renoncer à la loi des 38 heures hebdomadaires de travail ? Alors que le chômage et celui des jeunes est si important, faut-il allonger la durée de la vie active ? La pression pour augmenter les heures supplémentaires est de plus en plus forte. Enfin la peur du chômage accroît la pression au travail : on observe de plus en plus une présence au travail des salariés au-delà des heures prescrites, sans parler du travail que l’on effectue chez soi après les heures. L’augmentation du travail à temps partiel, du travail intérimaire et des contrats de courte durée ont fragilisé l’emploi. Est-ce dire que les contre-réformes conduisent les salariés à la condition des prolétaires du XIXe siècle ? L’histoire transforme les sociétés humaines. Il faudrait sans doute être aveugle pour ne pas voir de différence entre l’ancien prolétariat et le nouveau «précariat». L’aveuglement ne serait cependant pas moindre si l’on ne percevait pas la détérioration des conditions de travail par les contre-réformes et la souffrance qui en résulte. En d’autres termes, un autre monde n’est pas seulement possible, il est inéluctable. Mais est-ce bien celui que nous souhaitons ? À moins bien sûr de desserrer l’étau de la domination au travail et de céder du champ à ceux qui la subissent.