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Rwanda : Entre développement et flicage

Une capitale, Kigali, quasiment sans papiers gras jonchant ses trottoirs et aux nombreux espaces verts. Des élèves qui reçoivent des ordinateurs portables. Un taux de corruption parmi les plus bas du continent. Une assemblée nationale où les femmes sont plus représentées que les hommes. Des policiers qui arrêtent des automobilistes pour excès de vitesse ou alcoolisme. Un pays sur la voie de la sécurité alimentaire avec des politiques foncière et agricole, et au taux d’inflation maîtrisé. Une sécurité sociale bénéficiant à plus de 90% de la population…

« En 2011 et 2012, le taux de croissance du Rwanda s’est maintenu entre 7 et 8%. Le taux de pauvreté aura, selon plusieurs prévisions, chuté de 20 points en 2015, par rapport à celui de 2005. »

On pourrait encore louer longtemps ce bilan de Paul Kagamé à la tête du Rwanda depuis 1994. Le leader du Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir, a su relever son pays des cendres du génocide qui a causé la mort de 800 000 Tutsis et Hutus modérés entre avril et juillet 1994 (selon les Nations unies). Le Rwanda est en effet cité en exemple par les institutions financières internationales pour son développement économique qui tranche avec celui de ses voisins, le Burundi ou la République démocratique du Congo, baignant depuis des décennies dans une pauvreté bien pire ou l’instabilité. En 2011 et 2012, le taux de croissance du Rwanda s’est maintenu entre 7 et 8%. Le taux de pauvreté aura, selon plusieurs prévisions, chuté de 20 points en 2015, par rapport à celui de 2005. La volonté de Paul Kagamé de faire du Rwanda « le Singapour de l’Afrique » ne semble plus, pour certains, illusoire. Réélu le 9 août 2010 dès le premier tour avec 93% des voix – pour un dernier mandat de 7 ans –, ce père de quatre enfants voit cependant son plébiscite s’effriter lentement mais sûrement. Son image, qu’il s’évertue à lisser auprès des grandes puissances, s’écorne. Paul Kagamé n’aime pas ou très peu ceux qui osent protester. L’organisation non gouvernementale (ONG) Amnesty International, dont le siège se trouve à Londres, l’a fort bien démontré en 2011 avec la publication d’une étude intitulée « Quand s’exprimer n’est pas sans danger : les limites de la liberté d’expression au Rwanda ». Un constat repris par l’ONG Human Rights Watch qui note ainsi dans sa synthèse 2012 sur le Rwanda que « la liberté d’expression et l’espace politique sont toujours sévèrement restreints. Les membres des partis d’opposition, les journalistes et autres personnes considérées comme des détracteurs du gouvernement ont été arrêtés, détenus et traduits en justice, certains pour le simple fait d’avoir exprimé leurs opinions ».

Paul Kagame, seul aux commandes

Tout comme son voisin ougandais Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986 et qui l’a formé à la guérilla, Kagamé ne se cache pas d’être celui – sinon le seul – qui a une vision cohérente pour son pays. L’année 2010, et notamment les différents événements survenus dans les semaines qui ont précédé l’élection présidentielle du mois d’août, a montré combien Kagamé a muselé l’opposition et les critiques. Le FPR a d’abord peu goûté le retour au pays, après 16 années d’exil, de Victoire Ingabiré, figure de l’opposition au sein du parti FDU-Inkingi qu’elle dirige. Arrivée en janvier 2010 à Kigali, elle a été peu de temps après interrogée par la police qui la soupçonnait d’avoir des liens avec les rebelles des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda, réfugiées en RDC) et de vouloir porter atteinte à la sûreté de l’État. Ses démêlés avec la justice courent toujours depuis son retour d’exil : elle a maintenant six chefs d’inculpation contre elle et Kigali s’en est même pris à son avocat américain qui a été emprisonné trois semaines en 2010. Le FDU-Inkingi tout comme le Parti démocrate vert, autre parti de l’opposition, n’ont pu tenir leur congrès dans les mois qui ont précédé l’élection, empêchant ainsi tout enregistrement auprès des autorités et donc de pouvoir présenter un candidat aux présidentielles du mois d’août 2010. La situation de la presse, elle, n’est guère reluisante. À tel point que le pays occupe les profondeurs du classement mondial de la liberté d’expression tenu par l’organisation Reporters sans frontières (RSF) : 156e sur 179 pays en 2012. Toujours dans la période précédant la présidentielle, en 2010, des journalistes rwandais ont craint pour leur vie : plusieurs ont dû fuir suite à des menaces de mort après avoir fait des révélations sur le régime de Kagamé.

« La liberté d’expression et l’espace politique sont toujours sévèrement restreints. Les membres des partis d’opposition, les journalistes ont été arrêtés, détenus et traduits en justice. »

La publication de ces journaux avait été interrompue par l’État rwandais dans un premier temps. Le 24 juin 2010, il est devenu clair que le FPR ne laisserait plus rien passer jusqu’aux élections : le journaliste Jean-Léonard Rugambage est tué de plusieurs balles devant son domicile en fin de journée. Le matin même, il avait publié sur le site Internet de son journal Umuvugizi un article révélant que la tentative d’assassinat en Afrique du Sud sur l’ancien général Kayumba Nyamwasa avait été commanditée par des cadres du régime. Nyamwasa, ancien compagnon de lutte de Kagamé et formé en Ouganda comme lui, avait fui le Rwanda fin février pour le pays de Nelson Mandela, après avoir dénoncé l’autoritarisme de Kagamé et reçu des menaces de mort. La tentative de meurtre se produit alors qu’il parle des crimes et de la corruption commis par le FPR. Les arrestations de journalistes se sont poursuivies jusqu’au premier tour – souvent pour le motif d’atteinte à la sûreté nationale – alors que le corps mutilé du vice-président du Parti démocrate vert était retrouvé mi-juillet.

Une opposition croissante

Depuis 2010, le climat de torpeur n’a pas vraiment quitté le Rwanda. Le 1er juillet 2012, alors que le Rwanda fêtait les 50 ans de son indépendance, l’atmosphère était encore très pesante à Kigali. Axelle Fischer, secrétaire générale de la Commission Justice et Paix francophone de Belgique, était au Rwanda au moment des festivités de l’indépendance. Elle raconte : « Peu d’acteurs de la société civile osent parler, y compris au sein de la diaspora. Les indicateurs du FPR sont partout. Les gens ont peur d’être dénoncés et d’avoir des ennuis. Nous le constatons également au niveau des mails que nous recevons de cette région. Nous en avons beaucoup de RDC, un peu moins du Burundi et très peu du Rwanda. Il est donc très difficile d’obtenir des informations ou de recouper les faits. » Pour René Mugenzi, journaliste au site d’actualité Jambo News qui traite des pays des Grands Lacs, la situation pourrait évoluer plus vite qu’on ne le croit en faveur de la démocratie au Rwanda. En effet, selon lui, « le vent de la démocratie est entré au Rwanda et il est dans sa phase initiale », dit-il avant d’illustrer ce propos : « Il y a un nombre croissant d’opposants politiques dans le pays et en exil, de plus en plus de membres du parti au pouvoir qui quittent ce dernier ainsi que leurs fonctions au sein du gouvernement pour protester contre les méthodes de gouvernance dictatoriales du président. On remarque une augmentation du nombre de plates-formes médias qui sont de plus en plus critiques, un nombre croissant de jeunes qui utilisent Internet et les réseaux sociaux pour exprimer leur malaise avec l’actuel régime : tous sont des signes très significatifs de changement. » La diaspora rwandaise, elle, tente en effet comme elle peut de s’organiser : des exemplaires du premier numéro de The Newsline, journal anglophone réalisé par des journalistes en exil, avaient été saisis à la frontière rwando-ougandaise peu avant les élections d’août 2010. De même, lors du passage à Paris en septembre 2011 de Kagamé, de nombreux Rwandais, aidés de Congolais, avaient manifesté contre la venue du président du pays des Milles collines. Le vent semble donc tourner contre le longiligne Paul Kagamé qui – sans doute conscient – cherche davantage à protéger son régime des velléités de la population, comme en attestent ses dernières décisions.

« Même en faisant tout son possible pour tuer le vent du changement, le FPR ne l’empêchera pas. »

Tirant aussi les leçons du Printemps arabe, son régime a pondu une nouvelle loi au début du mois d’août 2012 pour contrôler l’ensemble des communications passées par les Rwandais. Le ministre de l’Intérieur Mussa Fazil Harerimana a en effet annoncé que les appels téléphoniques, les échanges de courriels et les consultations de sites web opérés depuis le Rwanda allaient à présent être scrutés par les services de sécurité. « Il sera désormais punissable au Rwanda de lire des informations non approuvées par le pouvoir et une telle faute sera considérée comme de la complicité », a souligné le ministre qui en appelle à l’appréciation de chacun de veiller à ce qui est ou non acceptable comme lecture. Les Rwandais doivent donc vivre comme leur dit le FPR. Et sans doute s’autocensurer à l’avenir pour les opposants. Le parti au pouvoir cherche aussi à les isoler de la diaspora et ainsi à les couper de leurs contacts à l’étranger où ils pourraient recueillir des informations. Depuis le 1er juillet 2012, les Rwandais appelés de l’étranger doivent en effet s’acquitter d’une taxe de 232,50 francs rwandais (environ 30 centimes d’euro) par minute. Pragmatique, René Mugenzi pense en conclusion que toutes ces mesures visant à réduire les libertés des Rwandais sont vaines pour le FPR : « Même en faisant tout son possible pour tuer le vent du changement, le FPR ne l’empêchera pas. »