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Sacrée propriété

«Oyez, oyez, bonnes dames : les lois contre les discriminations ne sont pas complètement lettre morte. Voilà qu’un propriétaire se fait condamner pour avoir refusé la location de son bien à un couple homo Jugement prononcé par le Tribunal de Première instance de Nivelles le 19 avril 2005, contre un propriétaire qui avait refusé de louer son bien à deux homosexuels , disant préférer un couple plus «traditionnel». — Pourtant, il n’y a pas plus traditionnel que certains couples homos… mais bon, d’accord, c’est un moment historique! Tout de même, je reste perplexe devant la somme exigée : 100 euros pour chaque infraction future. À ce tarif-là, il faudrait que tous les couples homos de Belgique se disputent sa villa avant de mettre le «délinquant» sur la paille! Je compare aux astreintes imposées en urgence par les tribunaux pour faire dégager les portes d’une entreprise : chez AGC-Fleurus, par exemple, 5000 euros par personne! Et ce n’est pas une somme exceptionnelle. Et vous me direz encore qu’il n’existe pas de justice de classe? — En plus, quand un tribunal intervient ainsi dans un conflit social, les travailleurs n’ont même pas l’occasion de se défendre. Le juge n’entend que les arguments patronaux! Les travailleurs sont là, comme des nouilles, devant leur boîte, et tout à coup arrive un monsieur bien vêtu, plus ou moins aimable, un jugement à la main pour leur indiquer qu’ils sont priés de dégager, avec drapeaux et brasiers, qu’ils gênent la bonne marche de la société capitaliste et qu’ils n’ont qu’à aller faire leur saleté de grève ailleurs! — Il y a eu récemment une belle passe d’armes entre deux femmes politiques, une députée écolo et la ministre de la Justice Zoé Genot et Laurette Onkelinx, 22 février 2005, compte-rendu de Commission de la Justice , sur ce véritable déni du droit de grève. Parce que la grève, mesdames et messieurs, ce n’est pas un simple arrêt de travail, des vacances syndicalement subventionnées en quelque sorte, que l’on prend pour profiter du printemps, aller écouter chanter les petits oiseaux, loin du bureau ou de l’atelier. Non! La grève, par nature, c’est fait pour perturber, occasionner des pertes, et même s’il le faut embêter la population – ce qu’on appelle communément «prendre en otage» (les voyageurs, les clients…). — Ce qui est, soit dit en passant, une véritable insulte pour les otages réels qui pourrissent dans des geôles du monde. — La députée demande donc que le système des astreintes soit interdit dans les conflits sociaux. — Et qu’en dit la ministre de la Justice? — Elle répond que c’est une question «délicate»; qu’elle insiste sur l’absolue nécessité de trouver une solution par la voie de la concertation sociale; que s’il faut une intervention judiciaire, les tribunaux du travail sont mieux placés. Mais elle n’y peut rien, au nom de l’indépendance de la justice. — Ah bon, et qui fait les lois dans ce pays? — … Et par ailleurs, elle se dit placée devant un affreux dilemme : certes le droit de grève est sacré, mais il se heurte à un autre droit, tout aussi essentiel dans nos démocraties, qui est le droit de propriété. — Il fallait bien une ministre socialiste pour nous le rappeler. — Ah tiens, et le fameux propriétaire n’a pas brandi ce droit sacré? Moi, je me serais levée pour crier face à la Cour : comment, je suis chez moi et je n’ai même pas le droit de discriminer? Mais c’est la dictature!