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Schaerbeek, « commune préférée pour sa qualité de vie »

Cette phrase est l’intitulé de l’accord de majorité 2006- 2012 rédigé d’une part par la liste du bourgmestre (Bernard Clerfayt, FDF-MR), et d’autre part par Écolo, le 28 novembre 2006. C’est un document de plus de 42 pages pour une gestion optimale de la commune. Or, qu’en est-il aujourd’hui ?

Un bilan plus qu’honorable…

Il est clair que les partis de la majorité au pouvoir peuvent se targuer de quelques performances : la convivialité entre les habitants a progressé, plusieurs contrats de quartiers ont été réalisés (ce qui a amélioré sensiblement la vie quotidienne, la santé et l’environnement des habitants) ; une école communale néerlandophone a vu le jour (un exploit incontestable pour les élus de partis politiques à connotation linguistique opposée) ; la zone de police des trois communes (Schaerbeek, Saint-Josse-Ten-Noode, Evere) dispose d’un cadre quasi complet et tente d’assumer une police de proximité convenable ; de nombreuses initiatives pour renforcer l’« intégration » ont non seulement vu le jour mais ont aussi fait l’objet de réflexions et de publications très pertinentes sur le travail social et le « vivre ensemble » Ural Manco, Affaires d’identité ? Identités à faire ! Travail social et « vivre ensemble », Expériences bruxelloises (Commune de Schaerbeek). Paris, L’Harmattan, 2012 ; une gestion cohérente et transparente des subsides alloués aux associations impliquées dans les programmes de cohésion sociale a été mise en place ; des maisons de quartier proches des habitants ont été ouvertes ou rouvertes ; les espaces verts et les parcs publics ont été rénovés et des infrastructures sportives ont été profondément réhabilitées ; les activités culturelles ont connu un développement considérable ; l’administration communale fonctionne correctement, sur base de compétences plus que d’appartenances…

« La commune ne dispose que de très faibles moyens (juridiques, financiers et fonciers…) pour modifier cette tendance vers l’exclusion d’habitants à plus faibles revenus – à supposer que ce soit son souhait. »

Un bilan, somme toute, positif. Les partis politiques de la majorité sortante ne se priveront pas de pavoiser avec ces résultats lors de la campagne électorale en cours.

Et la suite ?

Nous pouvons nous attendre à un renforcement de la dualisation sociale entre le bas et le haut de Schaerbeek. La « gentrification » et la venue d’habitants plus nantis – et payant si possible plus d’impôts – se développent tant au nord, dans le bas de Schaerbeek, où de nouvelles habitations ont été construites après le désastre des démolitions du Quartier Nord, qu’au sud-est de la commune, dans les quartiers jouxtant le quartier de l’Europe. Or la commune ne dispose que de très faibles moyens (juridiques, financiers et fonciers…) pour modifier cette tendance vers l’exclusion d’habitants à plus faibles revenus – à supposer que ce soit son souhait. Les promoteurs et agents immobiliers l’ont bien compris. « La commune préférée pour sa qualité de vie » deviendrait bien celle des nantis et la solidarité tant prisée sera mise à dure épreuve. Autre dossier important : la mise en chantier d’un viaduc ferroviaire (Infrabel) qui va détruire quelque 28 immeubles à la rue du Progrès (Quartier Nord) et déplacer plus de 200 habitants. À ce jour, le relogement des habitants n’est pas assuré. Au chapitre de l’immobilier, signalons encore les aménagements de quelques zones importantes telles que le pôle Mommaerts-Reyers (qui fait l’objet du PRAS PRAS : Plan régional d’affectation des sols.. démographique), ou celle de la gare Josaphat (une ZIR ZIR :Zone d’intérêt régional.. en devenir), la jonction Quartier de l’Europe – Aéroport de Zaventem… Les questions foncières et immobilières surgiront avec force dans les prochaines années. Quant à la croissance démographique attendue et la pénurie de place dans les écoles – y compris communales – ces questions sont bien connues. Mais à nouveau les possibilités d’intervention restent bien faibles. Que ce soit au niveau légal (ce que la commune est autorisée à faire dans des matières communautaires ou régionales) financier ou immobilier, les moyens disponibles ne permettront pas de rencontrer les promesses électorales que d’aucuns pourraient faire. Il est bon de le savoir déjà.

Un combat des chefs en perspective

La tentation de se trouver à la tête d’une telle commune est grande. Quelques grosses pointures vont s’affronter : Bernard Clerfayt (Liste du Bourgmestre, anciennement FDF), Isabelle Durant (tête de liste d’Écolo-Groen et vice-présidente du Parlement européen), Laurette Onkelinx (tête de liste du PS, vice-Première du gouvernement fédéral), Georges Verzin (tête de liste du MR, échevin sortant) et Denis Grimberghs (tête de liste du CDH, dans l’opposition). Au lendemain des élections, nous pouvons prévoir que le score des voix de préférence qui auront été engrangées sera épluché dans les moindres détails. Business as usual, plutôt que faire de la politique « autrement ». Beaucoup se souviennent de la soirée mémorable des élections communales précédentes (octobre 2006) où Écolo, qui s’était engagé par un accord pré-électoral secret avec le CDH et le PS, fit volte-face pour conclure une alliance avec le FDF-MR, plongeant du même coup le PS et le CDH dans l’opposition. Coup de maître pour acquérir une majorité plus stable et viable mais un tantinet plus gênant pour ceux qui se préoccupent de la moralité en politique et de la correction en matière de la parole donnée. La viabilité d’une majorité dépendait de ce changement d’attelage.

« Gagner les élections, c’est capter la voix des électeurs… et le plus possible. Les partis essayent donc de gagner la sympathie et l’habilité d’agents recruteurs populaires bien connus des arrière-bans qui peuplent la commune. »

Or ne voit-on pas à nouveau quelques manœuvres pour prendre l’électeur en otage en proclamant et décidant d’ores et déjà que si le nombre de voix peut faire le poids, Écolo-Groen, le CDH et la liste du Bourgmestre (où le MR ne figure plus), se partageront de commun accord et ensemble, les échevinats futurs ? Le soir des élections, nous conseillons à la presse de rester attentive. Bis repetita…? Mais, cette fois-ci, l’accord n’est plus secret. La transparence y gagne. Gagner les élections, c’est capter la voix des électeurs… et le plus possible. Les partis essayent donc de gagner la sympathie et l’habilité d’agents recruteurs populaires bien connus des arrière-bans qui peuplent la commune. L’activation des réseaux multiples est de mise. Or, il ne fait pas de doute que les piliers traditionnels (confessionnel, athée, syndical, mutualiste…) n’ont plus l’exclusivité de la canalisation politique. Qu’on le veuille ou non, les appartenances, les origines ethniques ou religieuses constitueront des canaux de diffusion pour inciter des électeurs à voter pour tel parti ou tel candidat.

Sauver les meubles

La majorité sortante a incontestablement obtenu des acquis importants. La politique de mobilité et de transport a fait l’objet de nombreux débats. Les interventions en faveur des usagers « faibles » ont été nombreuses. L’usage de la voiture et le trafic automobile restent néanmoins des points chauds que certains automobilistes résidents voudraient voir mieux pris en considération. La nouvelle majorité poursuivra-t-elle l’option précédente ou favorisera-t-elle à nouveau plus de parkings et moins de zones trente ou de pistes cyclables ? Il n’est pas exclu que le cap change, vu la pression des citoyens automobilistes… soutenus par un parti au moins, de l’opposition actuelle (PS).

Diversité

La dualisation sociale, la ségrégation scolaire, les vagues multiples de migrations économiques et de nombreux primo-arrivants de l’Europe élargie, dans un climat général de libéralisation et de concurrence agressives ne présagent pas un futur calme et serein. La diversité schaerbeekoise change profondément de visage avec des situations sociales très lourdes : familles roms sans papiers et sans domicile de la gare du Nord, les mineurs étrangers non accompagnés… Comme pour les autres communes bruxelloises, la tentation est grande de repousser le problème chez la commune voisine. Or Schaerbeek n’y arrivera pas, notamment à cause de la gare du Nord. Quelle place aussi pour les immigrés « historiques » marocains et turcs… et leur désir de pratiquer ouvertement leurs confessions religieuses ? Il y a là une classe moyenne émergente qui devrait être prise au sérieux, fait religieux y compris Voir Felice Dassetto, L’Iris et le Croissant. Bruxelles et l’islam au défi de la co-inclusion. Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain, 2011. Quelle place pour une jeunesse de 3e génération, en rade socialement ? Le défi majeur de la prochaine décennie semble bien être la cohésion sociale – cela vaut sans doute pour toute la région – et les réponses sécuritaires n’y pourront pas grand-chose… avant de pouvoir rêver aux « lendemains qui chantent » des nombreuses promesses électorales.