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Service public minimum pour les SDF

Coup de projecteur sur un exemple de gestion politique à Charleroi. Le cas des sans-abris ou l’enlisement d’une situation malgré l’existence de moyens financiers importants.

Charleroi compte 600 Le Relais social en a identifié 576, auxquels s’ajoutent selon les acteurs de terrain au moins 250 «SDF structurels» non recensés SDF. Selon la police et les services sociaux, car pour les associations qui se préoccupent de leur sort, ce chiffre est très inférieur à la réalité. Mais comment dénombrer les toxicos domiciliés chez leurs parents mais qui n’y sont plus accueillis, les sans-papiers, les travailleurs pauvres toujours plus nombreux, qui dorment dans leur bagnole… ? Aujourd’hui comme hier, c’est-à-dire avant comme après la perte par le PS du mayorat, le CPAS de Cha leroi affiche une bonne conscience à toute épreuve et un immobilisme total. La fédération des Restaurants du cœur retire son label et son aide à sa «filiale» carolo, pour cause d’«exploitation politique de la misère» ? «Pas grave, grogne le président du CPAS, on a les moyens de se passer d’eux». De fait, le CPAS de Charleroi est assis sur un tas d’or. Pendant des années, il a accumulé les surplus budgétaires – de 7 à 10 millions d’euros – et les a capitalisés. Mais pas question de consacrer la moindre parcelle du magot aux SDF ou à aider ces familles qui ont certes un toit mais dans un habitat fortement dégradé, et qui ne parviennent plus à assumer les frais de chauffage. Ce bas de laine, le CPAS veut le consacrer au financement sur fonds propres de la construction d’une «maison de repos high-tech», sa dixième. Quiconque suggèrerait que cette sollicitude vis-à-vis du troisième âge s’expliquerait par la composition sociologique de l’électorat socialiste sera dénoncé comme «populiste». Pour les SDF, le CPAS a depuis longtemps décidé de s’en tenir au minimum. Pas question, en particulier d’augmenter la capacité d’accueil des abris de nuit, par crainte d’attirer à Charleroi des SDF venus d’ailleurs. Aussi, le plus souvent, c’est par tirage au sort que sont attribués les quelques lits Capacité : 8 hommes et 4 femmes, au centre-ville du centre Ulysse. Les recalés tenteront leur chance au dortoir de Lodelinsart. Très peu auront les moyens d’aller jusqu’à Châtelet, où dix lits d’urgence ont été récemment installés pour faire croire que le problème concerne aussi les localités de la périphérie de Charleroi.

On parle en effet de 50 à 100 personnes en proie à des dépendances multiples – drogues, alcool, et dans bien des cas pathologies mentales non prises en charge

Pas question que la Ville de Charleroi, qui a pourtant un parc immobilier pléthorique, accepte la création d’une nouvelle structure d’accueil. Pas question non plus de faire preuve de volontarisme et d’utiliser par exemple les mécanismes proposés par la Région wallonne, qui offre des subventions dans le cadre de «bails de rénovation», qui permettraient à la fois d’améliorer la qualité de l’habitat, de sauvegarder le patrimoine immobilier public et de loger et de remettre au travail des SDF. Face à cette situation, les associations comme Solidarités nouvelles oscillent entre révolte et soumission. Si Denis Uvier, infatigable éducateur de rue emblématique de tous les combats pour les SDF carolos, est – comme dit un échevin «socialiste» – «toujours en train d’organiser une révolution quelque part», d’autres, comme Paul Trigalet, viceprésident de l’association, calculent leurs indignations publiques au plus juste pour ne pas risquer de froisser la susceptibilité des patrons du CPAS qui les subventionne via le Relais social… Les uns et les autres ont en commun une vision fondamentalement chrétienne qui les pousse en permanence, dirait-on, à vouloir racheter quelque péché et à conduire les SDF à une hypothétique rédemption. Une culture qui, regrette une élue qui s’est beaucoup investie dans le dossier Est-ce un hasard si au sein du conseil communal, et dans quelque parti démocratique que ce soit, ce sont des femmes qui s’intéressent à ce dossier ?,.. les conduit à «chouchouter en priorité ceux qui ont choisi le parasitisme et la déchéance». «Choisi», vraiment ? On parle en effet de 50 à 100 personnes en proie à des dépendances multiples – drogues, alcool, et dans bien des cas pathologies mentales non prises en charge – et qui échouent fréquemment au service des urgences des hôpitaux, où elles font régner un climat de violence. Dans ce contexte, la courageuse mais folle tentative de Denis Uvier de créer sur le terril des Piges, à Dampremy, au printemps dernier, un «village d’irréductibles SDF» – une vingtaine de personnes vivant sous tente presque en autarcie et dans une autodiscipline librement consentie – ne pouvait sans doute s’achever à l’automne que par un fiasco. Un rêve communautaire et écolo que les services sociaux ont ignoré, se contentant d’attendre qu’il s’effondre. Confronté à l’échec patent du pragmatisme à très courte vue de la politique sociale officielle, Denis Uvier n’a pas craint l’utopie rousseauiste et autogestionnaire. Mais son village idéal, d’où il fut exclu par ses ouailles, s’est mué en champ d’ordures puis en champ de bataille. Retour à la case départ, à la rue, à la violence sociale. À l’indifférence.