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Tax shift, pouvoir d’achat et contre-vérités

charles mich
charles mich
On a fait grand cas dans la presse de ces derniers jours de l’étude publiée par Philippe Defeyt sur l’augmentation du pouvoir d’achat depuis 20 ans. Sans parler de son instrumentalisation par les porte-voix gouvernementaux pour affirmer haut et fort que ce Gouvernement a œuvré pour le pouvoir d’achat.

Les chiffres sont difficilement contestables mais leur analyse laisse perplexe.

Les données compilées par l’ancien Président du CPAS de Namur, mettent surtout en lumière le fait que la politique menée depuis 20 ans en Belgique a permis de maintenir voire d’augmenter le revenu disponible, c’est-à-dire le rapport entre les revenus du travail ou des prestations sociales et l’augmentation du coût de la vie.

Cependant, parler de revenu disponible comme d’une variable linéaire permettant d’observer l’augmentation du pouvoir d’achat est assez audacieux dès lors qu’on ne pondère pas cette donnée brute avec une série de situations particulières (la composition du ménage, le lieu d’habitation, …).

Car il est toujours problématique de considérer une situation sous l’angle d’une seule statistique. On peut rappeler que le risque de pauvreté, par exemple, a augmenté de manière constante sur la même période et particulièrement dans les groupes de population à faible niveau de diplôme. Ou que la pauvreté infantile et la pauvreté des familles monoparentales n’ont pas diminué. Cela nuance l’idée que le pouvoir d’achat a augmenté de la même manière pour tout le monde.

Le fait que l’évolution des salaires et des prestations sociales, à nouveau observée sur 20 ans, est plutôt favorable tient à trois éléments :

1°/ La persistance d’une concertation sociale efficace qui a permis, sur cette période, la négociation d’accords salariaux certes encadrés par une marge assez rigide mais qui ont le mérite d’exister.

2°/ La liaison des allocations sociales au bien-être décidée en 2005 qui est venu mettre un terme à 25 ans de décrochage des prestations sociales par rapport au coût de la vie. Ce décrochage n’a d’ailleurs pas été entièrement résorbé.

3°/ La liaison automatique des salaires et des prestations à l’index.

On ne peut pas dire que la contribution du Gouvernement Michel à cet effort soit particulièrement remarquable :

1°/ Il est le premier Gouvernement depuis des lustres à avoir organisé un saut d’index

2°/ Il a cassé la dynamique de la concertation sociale en contraignant la norme salariale à son niveau le plus bas depuis deux décennies.

3°/ Il a certes poursuivi la liaison au bien-être mais a, dans le même temps, diminué les pensions de retraite et s’apprête à diminuer les allocations de chômage.

Parler de gouvernement social dans ce contexte est très audacieux. En fin de compte, le principal apport du Gouvernement actuel serait d’avoir, via le tax shift, augmenter les salaires. Faut-il s’en réjouir ?

Facialement, le tax shift du Gouvernement Michel permet d’augmenter le revenu des ménages par une diminution de l’impôt sur le revenu. Sauf qu’analyser le tax shift sans aborder son financement est un non-sens.

La concertation sociale c’est la répartition des gains de productivité. Cela veut dire que tout ce qui est négocié dans les accords salariaux est un gain net pour les travailleurs. C’est la base du compromis capital/travail. Le modèle social belge a toujours réparti les gains de productivité entre salariés et actionnaires.

Le tax shift fonctionne autrement. La variable qui ajuste l’augmentation des salaires, ce ne sont pas les revenus des entreprises mais l’assiette fiscale. Bien entendu, un tax shift peut être « social » quand il diminue la fiscalité sur le travail et la compense, pour organiser une vraie redistribution, par l’augmentation de la fiscalité sur le capital.

Comment est financé le tax shift du la Suédoise ? 8% de son financement provient d’une augmentation de la fiscalité sur le capital. Les 92% restants sont financés par des économies dans la sécurité sociale, dans les services publiques et l’augmentation de la parafiscalité (TVA, accises). En outre, le tax shift ne finance pas qu’une baisse des impôts sur le revenu mais également une baisse des cotisations de sécurité sociale. Ce sont d’ailleurs les entreprises (leur trésorerie et donc leurs bénéfices) qui sont les principaux bénéficiaires du tax shift et non les salaires.

Une étude menée par la KUL, derrière laquelle se retranche le Gouvernement pour dire que le tax shift a atteint ses objectifs, prévoit une augmentation du revenu disponible moyen des ménages de 5,2% entre 2014 et 2020.

Cette augmentation est réelle mais elle montre bien les limites de l’utilisation du seul revenu disponible pour mesurer l’augmentation du pouvoir d’achat. Si cette augmentation est financée par une diminution des cotisations sociales et des économies dans la sécurité sociale, cela signifie qu’elle a été financée par les travailleurs eux-mêmes.

Ce tax shift augmente le revenu disponible mais appauvrit la sécurité sociale en la définançant.

En outre, il diminue la contribution des employeurs à la sécurité sociale ce qui revient à diminuer le salaire différé que constituent les cotisations salariales. Enfin, il se finance en augmentant la TVA et les accises qui sont, par définition, une fiscalité inégalitaire puisque non proportionnelle aux revenus.

Le tax shift n’a donc rien de social. Au contraire. Il brise progressivement une dynamique de concertation sociale qui repose sur un compromis capital travail pour augmenter les salaires au détriment…des prestations sociales.

Enfin, la pérennité du tax shift est principalement basée sur l’idée que l’augmentation du taux d’emploi augmentera les recettes de la sécurité sociale. Or le taux d’emploi et la qualité des emplois créés sous le Gouvernement Michel ne créent pas les conditions d’un refinancement « naturel » de la sécurité sociale et rien n’indique que cette tendance va s’infléchir. En d’autres termes, l’avantage que les salariés belges auront gagné en salaire net sera au mieu neutralisé par l’affaiblissement de la sécurité sociale puisque des nouvelles économies dans les pensions, les soins de santé ou le chômage deviendront probablement inévitables pour financer le tax shift.

On a déjà vu des augmentations de pouvoir d’achat plus évidentes…