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Times Square, un réel avenir pour Bruxelles ?

Personne ne sera passé à côté de l’idée très « Bling-Bling » du nouveau bourgmestre selon laquelle il faudrait “faire de De Brouckère le Times Square de Bruxelles” Mathieu Colleyn, entretien avec Yvan Mayeur, « Un Times Square au centre de Bruxelles », La Libre Belgique, Publié le vendredi 13 décembre 2013, http://www.lalibre.be/actu/belgique/yvan-mayeur-un-times-square-au-centre-de-bruxelles-52aa903f3570105ef7d2ee42… Derrière cette communication très tape à l’œil se posent cependant de réelles interrogations sur la vision même de la ville que défend Yvan Mayeur. Si son projet contient des aspects positifs comme la réduction de la pression automobile dans le centre-ville et l’augmentation des espaces piétonniers, sa conception de la convivialité et de l’emploi pose question. Ainsi, s’il prend soin de préciser qu’il s’agit de faire des transformations qui plaisent tant « aux touristes » qu’aux « habitants », le doute persiste au regard de ensemble du propos et de ce qui se fait dans d’autres villes. L’idée de redynamiser le centre au travers d’une augmentation de l’offre commerciale – et spécifiquement dans l’Horeca – n’est pas neuve et ouvre le débat sur, d’une part, le public visé par le Bourgmestre ainsi que des effets de cette transformation. Cette politique, indépendamment du fait qu’elle est aujourd’hui pratiquée par toutes les grandes villes (le moins qu’on puisse dire c’est qu’Yvan Mayeur ne fait pas preuve de beaucoup d’originalité), produira nécessairement une homogénéisation du centre ville et le départ de nombreux petits commerces.

Mais peut-on vraiment, aujourd’hui, alors que toutes les villes prennent cette voie, miser sur le tourisme comme projet de fond pour l’emploi ?

Le bourgmestre semble lui même déplorer la présence de commerces « plus low cost » au détriment des « enseignes de valeur ». De ce point de vue on peut craindre que la disparition de ces enseignes « low cost », vise à rendre agréable le centre ville pour les touristes mais pas pour ses habitants. La volonté d’interdire la vente d’alcool dans les magasins après 22h va pleinement dans ce sens. Derrière l’idée qu’elle vise a plus de « sécurité », il est difficile de masquer l’ambition réelle du bourgmestre. Se débarrasser pour de bon de ces « night shop » afin de rapidement les remplacer par des cafés « branchés » ou des restos à la mode. En réalité les effets de ces politiques sont connus dans d’autres villes ; cela contribue à dualiser l’espace urbain entre les quartiers « revitalisés » ou les loyers deviennent rapidement inaccessibles pour les classes populaires et les quartiers de la périphérie ou se concentrent petit à petit les moins nantis. Au centre, les quartiers huppés, avec ses lofts luxueux, et ses magasins de haut standing. Et dans la périphérie, les populations paupérisées. Bruxelles n’est pas encore dans ce schéma, mais Yvan Mayeur semble vouloir en prendre le chemin. Ensuite, cette question de la précarité des conditions de vie de la population de Bruxelles nous mène au problème de l’emploi. Ici aussi, le projet pose question car il espère l’augmentation du tourisme et l’afflux de ce dernier vers Bruxelles au détriment d’autres villes. En effet, un tel investissement, s’il ne présuppose pas l’apport de nouveaux touristes, ne pourra que déplacer une clientèle qui va dans d’autres endroits vers le centre ville. A population égale, la création de nouveaux commerces dans l’Horeca ne va pas nécessairement créer des emplois mais simplement déplacer la clientèle existante. Ainsi, lorsque Yvan Mayeur dit qu’il « mise beaucoup sur l’Horeca », il devrait plutôt dire qu’il mise beaucoup sur le tourisme. Mais peut-on vraiment, aujourd’hui, alors que toutes les villes prennent cette voie, miser sur le tourisme comme projet de fond pour l’emploi ? Par ailleurs, s’il est vrai que l’Horeca est une source de main d’œuvre importante pour la population Bruxelloise, il est cependant intéressant de noter que rien n’est dit sur la qualité de ces emplois. Non seulement il concentre une part très élevée de contrats précaires et à temps partiel ainsi que de travail au noir ne donnant, sur le long terme, que peu de perspectives en matière de droits sociaux. Ainsi, certaines études relèvent que plusieurs fonctions dans l’Horeca sont aujourd’hui listées comme « critiques » et elles le sont notamment à cause des très mauvaises conditions qu’offre ce secteur. Comme le note l’économiste Marion Englert, si l’ont veut « développer ce secteur dans un environnement socialement tenable » il est essentiel de travailler à « l’amélioration des conditions de travail et de rémunération » Marion Englert, Analyse des déterminants du chômage urbain et politique de rééquilibrage entre l’offre et la demande de travail en région de Bruxelles-Capitale, Dublea, Rapport final Janvier 2013, Working Paper, n°13-03.RR, p. 82. D’un côté le bourgmestre oublie donc de parler des conditions de travail dans ce secteur mais de l’autre il n’oublie pas de bien préciser qu’il « faut activer les chômeurs » en leur proposant, par conséquent, des emplois au rabais.

Quelle alternative ?

A cette vision des politiques urbaines selon laquelle attirer des touristes et des investisseurs va, au final, profiter à l’ensemble de la société (riches et pauvres) il faut y opposer une vision plus réaliste et sociale. Loin de profiter à tous les habitants, cette vision a souvent montré qu’elle fini par rejeter certaines populations au profit d’autres et sert essentiellement les classes moyennes aisées. Il faut, au contraire, que vivre en ville est un droit qui ne doit pas être entravé par l’augmentation des barrières économiques qui placent le marché au centre des politiques urbaines. La ville doit être accessible à tous, et cela n’est possible que si l’ont sort de la vision consumériste et marchande de la ville. Face à l’inégalité croissante des citoyens face à leur « ville », l’idée du philosophe Henri Lefèbvre d’un « droit à la ville » se pose comme une sorte de complément aux droits démocratiques. Revendiquer le droit à la ville c’est à la fois une idée simple mais radicale : c’est prétendre à un pouvoir, pour chaque habitant, de façonnement de leur ville et des choix fondamentaux des processus d’urbanisation. C’est au fond, une revendication démocratique basique mais dont la mise en œuvre concrète nous mène nécessairement à une remise en cause des manières de gérer la ville aujourd’hui. Cette attitude recouvre donc des questions aussi larges que la question du logement, de la mobilité, de l’espace, de la culture, du divertissement, de la santé, de l’éducation, de la sécurité… Or, ce qu’on constate aujourd’hui c’est que nous sommes très inégaux face à la ville ; plus nous sommes en bas de l’échelle sociale, plus notre capacité à avoir accès à ce qu’elle nous offre est restreint. La majorité des politiques publiques visant à la transformation de la ville sont des politiques favorisant certains groupes sociaux spécifiques et excluant les classes populaires. Ce que l’immense majorité des études montrent aujourd’hui, c’est que les formes de croissance des villes modernes associées au capitalisme contemporain produisent une polarisation sociale intense et croissante. Pour cela, ce n’est pas la commercialisation croissante des centres qui va améliorer la situation, mais l’investissement public conséquent dans le logement, les transports, l’éducation ou la culture. Un élément fondamental dans ce droit est alors un logement accessible à tous. La politique du logement constitue la clé de voute d’une politique urbaine réellement ambitieuse. Sans celle ci, la majorité des politiques de « revitalisation » finissent souvent en politiques de « gentrification ». Pour cela, la construction de logements publics bon marché est plus que nécessaire. Pour rappel, le nombre de logements sociaux disponibles entre 2004 et 2012 a baissé de 1061 unités alors que plus de 40.000 ménages sont actuellement en attente d’un logement de ce type ! L’attente pour entrer dans un logement social est donc très longue (plusieurs années) et ne va faire qu’augmenter vu le rythme de création de ceux-ci. En effet, cela n’a quasiment pas augmenté : en 14 ans (1998-2012), on en compte uniquement 685 de plus. Cela veut concrètement dire que l’on construit 49 logements par an depuis 1998. Si l’on garde ce rythme il ne faudrait pas moins de 846 années pour pouvoir simplement donner un logement aux 41.461 familles sur les listes d’attente. A des déclarations tape à l’œil, nous attendons aujourd’hui des résultats concrets pour l’ensemble de la population Bruxelloise. Pour cela, le droit à la ville doit être au cœur des revendications des acteurs politiques et sociaux qui veulent une ville radicalement différente. Réclamons notre ville !