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Traité de Lisbonne : être ou ne pas être

L’entrée en vigueur imminente du traité de Lisbonne clôture les débats animés qui ont égrainé les processus nationaux de ratification du traité entre leurs partisans et leurs détracteurs. Dans un contexte européen de crise multiple, le traité de Lisbonne représente une avancée par rapport au traité de Nice sur le plan institutionnel (facilitation du processus décisionnel, au moyen de la généralisation du vote à la majorité qualifiée) et démocratique (élargissement des compétences et du rôle du Parlement européen, qui se voit conforter pour de nouvelles matières dans sa fonction de co-législateur). Mais l’enjeu pour les citoyens, c’est avant tout que les institutions européennes légifèrent «mieux», dans le sens d’une Europe plus citoyenne, solidaire, écologique et pacifique. À cet égard, il ne faut pas se bercer d’illusion sur la portée du nouveau traité. Rappelons que les traités successifs contiennent déjà une panoplie de dispositions qui permettraient de réorienter à 180° le modèle économique européen s’il existait une véritable volonté politique d’en respecter la lettre. En voici deux exemples éloquents. La crise du secteur laitier aurait pu être évitée si les objectifs de la politique agricole commune avaient été respectés. Un des objectifs initiaux de la Pac est précisément d’assurer «un niveau de vie équitable à la population agricole» et de «stabiliser les marchés». Pourquoi donc avoir programmé la fin de la politique des quotas laitiers en 2015 alors que cet outil permet de maîtriser la production et de la sorte d’assurer un revenu suffisant aux producteurs laitiers ? La politique de développement. Depuis le traité de Maastricht, la «coopération et le développement» s’est vu hissé au rang d’objectif transversal. Le traité de Lisbonne renforce cet objectif, en indiquant clairement que l’éradication de la pauvreté est prioritaire. Seulement, les Accords de partenariats économiques (APE), qui répondent à la logique de libre échange, ont l’effet inverse à celui recherché. Pour être conforme aux exigences de l’OMC, le mécanisme de «non-réciprocité des échanges» selon lequel les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) pouvaient initialement exporter leurs produits sur les marchés européens sans obligation d’ouvrir leurs marchés aux nôtres a été supprimé. Sans surprise, l’ouverture des marchés des pays ACP aux produits européens a accru les parts du marché des entreprises occidentales. À l’inverse, elle balaie leur industrie naissante… Pire, prenant appui sur les dispositions commerciales du traité, les institutions européennes cautionnent une stratégie commerciale prédatrice aux antipodes des intérêts des pays pauvres. Ce que l’UE a perdu au «Cycle de Doha», à savoir une libéralisation accrue des services, des marchés publics, ou de nouvelles règles d’investissement et de concurrence, elle l’impose progressivement par le biais d’une stratégie agressive d’accords bilatéraux. Dans un autre registre, le concept du «développement durable», fondé sur «un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement», relève largement de la supercherie. Érigé au rang d’objectif transversal de l’UE depuis le traité de Maastricht (1992), cette notion a servi de hochet pour atténuer la tonalité «productiviste» du modèle économique de l’UE. Le paquet énergie-climat adopté en 2007 se targue de réaliser l’objectif de 20% d’énergie renouvelable en 2020. Ce qui signifie pudiquement qu’il cautionne l’objectif de production de 80% d’énergie NON renouvelable pour la même période. Est-ce là une mesure en phase avec l’esprit du traité ? La même logique prévaut par ailleurs pour le principe de précaution et le principe du pollueur-payeur C’est à l’agent pollueur qu’incombent les frais occasionnés par la suppression des nuisances institués par le traité de Maastricht. En clair, tant que les institutions européennes resteront hypnotisées par le culte du «serpent néolibéral», le traité de Lisbonne n’offrira aucune garantie de changement. Comme tous les autres qui l’ont précédé, il est susceptible d’être appliqué à «géométrie variable». Dès lors, ce n’est que lorsque les dispositions sociales ou environnementales du traité de Lisbonne se concrétiseront sur le terrain qu’on pourra sincèrement saluer la dynamique européenne qu’il insuffle !