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Un mirage en hiver

L’actualité nous rattrape plus vite que prévu. Cette chronique, en 2010, a traité deux fois de la Coupe du monde de football. La première fois à propos du Mondial qui se déroulait en Afrique du Sud. La seconde à propos du Mondial qui se déroulera au Qatar en 2022. Et voilà soudain que l’actualité, de ces deux chroniques, n’en fait plus qu’une ! La première, intitulée « L’été en hiver », notait que la Coupe du monde était toujours organisée pendant les grandes vacances de l’hémisphère nord. Elle constatait que cette loi d’airain était le fruit d’une histoire de conquêtes et de domination, le signe d’une injustice persistante, d’un rapport toujours inégal entre anciens colonisateurs et anciens colonisés. La seconde, intitulée « Mirage 2022 », prenait acte de ce que la Fédération internationale de football allait plus vite que le Conseil de sécurité des Nations unies dans son adaptation aux changements du monde, voire son anticipation de ces changements. Elle constatait que le choix du Qatar, après celui de l’Afrique du Sud, était une façon de prendre à contre-pied le pseudo « choc des civilisations », les croisades bushiennes et leurs métastases idéologiques disséminées dans les opinions occidentales. Et que se passe-t-il depuis cette décision ? Après un tir nourri de protestations au Nord, dénonçant la mainmise pétro-islamique sur le foot mondial, on a vu surgir, du fin fond du désert, le vieux problème du calendrier dont personne, jamais, en quatre-vingts ans de Coupe du monde, n’avait remis en cause la fameuse loi d’airain. Non seulement le Mondial aura lieu au Qatar en 2022, mais il pourrait bien s’y dérouler… en hiver ! L’idée de jouer dans des stades climatisés par 50 °C à l’ombre apparaît si extravagante que la Fifa envisage maintenant de bouleverser tous les calendriers de tous les championnats, à commencer par les sacro-saints championnats européens ! L’inconcevable en 2010 est devenu l’envisageable en 2011 : la défaite occidentale tourne à la déroute. Mais l’Occident et surtout l’Europe sont encore très loin d’en avoir pris conscience. Dans le journal L’Equipe du 26 janvier, où deux pages et huit articles sont consacrés à cette affaire, pas un mot, pas une ligne sur l’histoire de ce calendrier du foot mondial, dicté par le Nord au Sud comme une évidence perpétuelle. Sur le fait, par exemple, que le Brésil (cinq fois vainqueur de la Coupe) a toujours dû interrompre son championnat pour y participer ou que l’Argentine (deux fois vainqueur) a tout simplement aligné son championnat sur le calendrier européen, décrétant chaque année l’été en hiver et vice-versa. Ce numéro de L’Equipe est un florilège d’eurocentrisme. Toutes sortes de personnalités du football y donnent leur avis, avec ou sans humour. Wenger (Arsenal) : « Réorganiser tous les calendriers est impossible ». Holloway (Blackpool) : « C’est comme si je disais à mes dindes que Noël était déplacé ». Bilalian (France Télévision) : « Cette compétition a toujours eu lieu en été. Je suis attaché à ce que l’on conserve les traditions ». Del Bosque (Espagne) : « Soyons conscients des répercussions de cette mesure sur les différentes ligues européennes ». Romeyer (Saint-Etienne) : « Changer de calendrier équivaudrait à marquer contre notre camp. Ce genre de proposition va uniquement dans le sens des intérêts du Qatar et de la Fifa. À eux de trouver une solution, mais pas celle qui consiste à massacrer les grands championnats européens »… Le mot de la fin à Francis Gillot (Sochaux) : « La solution, c’était de ne pas donner la Coupe au Qatar. Quand on fait une connerie, on l’assume jusqu’au bout ». Une connerie, jouer « en hiver » ? Une connerie, suivre le Mondial quand il fait froid dehors ? Mais qui s’en est soucié pendant quatre-vingts ans, quand cela ne concernait que l’autre moitié de l’humanité ? La planète tourne, les saisons y varient, les climats s’y inversent : vous verrez qu’on finira par laisser, tous les quatre ans, le pays organisateur décider des dates de la Coupe du monde.