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Un Sénat du futur ?

La crise écologique qui guette les générations futures et la montée en puissance de la finance sur l’économie et le champ politique présentent au moins un intérêt : elles affichent les limites du jeu démocratique lorsqu’il est réduit aux seuls cycles électoraux. En effet, soumis aux pressions électorales les yeux fixés sur les sondages, rares sont ceux qui ont le courage de faire campagne sur la qualité de vie de nos petits enfants ! Et, de la même manière, terrorisés par l’opinion publique, rares sont ceux qui osent refuser l’endettement – nécessaire pour conserver notre niveau de vie – ou, pire : parler d’augmenter les impôts ! Dans les deux cas, le problème principal réside dans le temps (trop court!) à partir duquel les sociétés démocratiques décident, et partant, dans la difficulté qu’ont ces dernières à prendre les décisions qui s’imposent. Plus exactement, c’est la difficulté de s’inquiéter aujourd’hui des conséquences de nos actes sur l’environnement dans 30 ou 40 ans, ou quand nous serons morts, qui est inhérente à la dynamique démocratique lorsqu’elle est réduite aux seuls cycles électoraux. Et, en miroir, le rapport de force qui penche en faveur de la finance au détriment des peuples et des élus affiche aujourd’hui l’incapacité des régimes démocratiques modernes à anticiper les pièges dans lesquels ils mettent les pieds. Que faire ? À bien y regarder, en démocratie,il est très rare qu’une prise de décision se fasse sur le «temps long». Hormis quelques dossiers liés à l’aménagement du territoire – et encore –, la plupart des choix politiques se font dans la précipitation, y compris sur des questions fondamentales à l’image de Merkel et de la sortie du nucléaire en Allemagne, ou de Magnette et du retour «temporaire» au nucléaire en Belgique. En d’autres termes, la question fondamentale consiste à savoir comment une nation démocratique peut se doter d’outils pour décider à court et à moyen terme, mais aussi à long terme et à très long terme, malgré les cycles électoraux, le besoin de réactivité, la pression des médias et de l’opinion, et l’obsession de la réélection. La réforme du Sénat en Belgique mentionnée dans l’accord institutionnel pourrait être l’occasion de réfléchir sur la manière de lutter contre les faiblesses de la prise de décision politique livrée au «temps court». Au-delà du débat sur ses futures prérogatives (révisions constitutionnelles, lois spéciales…), il serait bon de lui attribuer le contrôle des décisions qui doivent être prises dans du « temps long », et y mettre des individus moins soumis au rythme électoral (mandat plus long mais unique), ou indépendant de ces cycles à l’instar des jurys populaires. Après tout, si un citoyen encadré par des praticiens peut être amené à priver de liberté un de ses semblables, il doit pouvoir réfléchir à notre futur et à nos intérêts collectifs! Si une sorte de «Sénat du futur» avait existé dans le passé, il aurait sans doute pris le temps d’analyser les conséquences de l’informatique sur les flux financiers et la menace évidente qui pesait sur les pays endettés (accélération des flux et volatilité, et donc irrationalité). Il aurait aussi été averti sur le danger inhérent à l’association des banques de dépôt et des banques d’affaires. Il exigerait aujourd’hui bien des réflexions sur le développement des nanotechnologies ou des OGM. Il nous aurait aidés hier à limiter notre dépendance à la voiture. Il ferait aussi sans doute un bon contre-pouvoir contre la propagande du Forum nucléaire, un «forum» qui est précisément l’incarnation de ce qui guette les sociétés dépourvues de «Sénat du futur». Les médias relaient de moins en moins d’information tout en amplifiant sans mesure des «coups de gueule», des «polémiques», et des «opinions» dites publiques. Soumis à ce régime, l’élu et la démocratie sont de plus en plus inadaptés pour penser l’intérêt collectif à long terme. Dans ce contexte, une chambre animée par le «temps long» viendrait sans doute mettre un peu d’intelligence dans la précipitation, tout en balayant les effets de loupe indésirables et contre-productifs.