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Un service public en recherche d’identité

«L’Etre ou le néant» : être soi-même ou disparaître : jamais sans doute ce dilemme vital pour la radiotélévision publique n’a été aussi clairement posé. La RTBF affronte un moment clef de son histoire. Certes depuis deux décennies le service public vit dans un paysage tourmenté par la concurrence sauvage et la pression destructrice des lois du marché mondialisé. Sous-financée, en proie au doute, ayant perdu ses repères — et souvent ses valeurs –, la télévision publique n’en finit pas d’affronter les crises successives. Les responsables (professionnels comme politiques) de l’audiovisuel public ne semblent plus savoir où donner de la tête pour faire face à la concurrence et l’hémorragie de l’audience. L’information est phagocytée par le spectacle, la téléréalité vampirise le langage, la culture est rangée au rayon des alibis. Le constat peut sembler exagérément pessimiste: il sera nuancé dans ce dossier car il reste évidemment des points d’appui et des îlots de résistance qui indiquent qu’une autre télévision demeure possible. Mais les inquiétudes qui émergent de nombreuses contributions sont à la mesure des espoirs que l’audiovisuel public a portés, des déceptions qu’il a engendrées et du rôle fondamental qu’il peut jouer dans une société démocratique. La RTBF doit prendre bientôt des décisions qui engageront son avenir et son existence même. Le plan Magellan a passé un premier cap du point de vue de l’organisation interne et des investissements structurels mais il n’a pas de boussole culturelle. Sans véritable projet le navire est ballotté au gré des creux de l’audience. Fin 2004 le «qualimat» qui doit mesurer le degré de satisfaction des téléspectateurs a confirmé les mauvais chiffres de l’audimat. Les choix qui vont être faits pour tenter de redresser la barre tant du point de vue qualitatif que quantitatif seront cruciaux. Quelles conclusions les dirigeants de la RTBF vont-il tirer des derniers constats amers? Quelle stratégie l’emportera? Celle d’une télévision publique encore un peu plus calquée sur la concurrence privée? Ou celle d’un retour à une identité plus forte du service public? L’imitation ou la différence? L’être ou le néant? C’est l’enjeu des prochains mois et c’est pour en éclairer les données que Politique consacre ce dossier à la RTBF. Un dossier constitué de contributions venant d’horizons divers : chercheurs universitaires, journalistes, spécialistes de l’audiovisuel, anciens collaborateurs de la RTBF, représentants du monde associatif et culturel ont apporté leurs analyses et leur points de vue en tentant ensuite ensemble de dégager modestement des pistes pour un modèle alternatif de télévision publique. La synthèse de ce débat collectif constitue d’ailleurs la conclusion du dossier. Dans un premier temps, Hugues Le Paige cadre les enjeux fondamentaux d’une radiotélévision publique dans une société démocratique et note le glissement progressif des dirigeants de la RTBF vers une politique de la soi-disant «demande» du public. Jean-François Bastin complète ce tableau en fixant quelques points essentiels d’une politique de l’offre en matière de télévision publique. Jean-Jacques Jespers analyse l’immense chantier du plan Magellan : tout en notant l’influence déterminante du consultant Andersen dans le sens d’une logique de marché, il s’interroge sur le renversement des valeurs que risque de provoquer cette xième restructuration de la RTBF. Dans l’analyse des politiques éditoriales, François Heinderyckx plaide pour que l’on redonne du sens à l’information devenue trop souvent spectaculaire et racoleuse tandis que Frédéric Antoine souligne que si des différences subsistent évidemment en matière de programmes, le mimétisme semble l’emporter sur l’altérité face à la concurrence privée. En ce qui concerne le fonctionnement interne de la RTBF, Jean-François Dumont revient sur le mal endémique de l’audiovisuel public : la politisation des nominations et des promotions qui se manifeste plus que jamais en dépit des discours et des intentions. Marc Molitor complète le tableau en mettant l’accent sur la précarisation du statut des journalistes et la dégradation de leurs conditions de travail. Parole à la défense : Jean-Paul Philippot a accepté de répondre à nos questions (qu’il soit remercié ici d’avoir joué le jeu pour un dossier dont il devait se douter qu’il serait tout sauf complaisant!) : l’administrateur général de la RTBF ne nie pas les difficultés mais défend avec force la cohérence de son projet de radiotélévision publique. Des propos à confronter avec ceux que Jacques Liesenborghs qui a tenu son carnet de bord de membre du conseil d’administration et d’André Menu qui, comme syndicaliste, a été un acteur essentiel de toutes les négociations de ces dernières années. Enfin, des témoignages plus précis et deux points de vue d’observateurs «extérieurs» complètent ce dossier : ils mettent en avant des acquis et des manquements de la RTBF : André Linard souligne les premiers (avec leurs insuffisances) dans le domaine de l’information sur «le Sud», Georges Vercheval insiste sur les seconds — et ils sont cruels — à propos de la culture. Le THÈME a été coordonné par Willy Estersohn et Hugues Le Paige