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Une politique de genre trop frileuse

La politique locale d’égalité des chances est née dans les années nonante de la volonté de Miet Smet, alors secrétaire d’État à l’Émancipation, de donner une réponse institutionnelle à plusieurs niveaux de pouvoir à ce formidable mouvement social qu’est le féminisme. Construite à partir de préoccupations pratiques, pragmatiques, la politique locale lancée en 1990 par le programme en 10 objectifs s’articule alors autour de thématiques précises plutôt qu’en fonction d’une prise en compte de nature sociologique des rapports de genre au quotidien. Cette option marque toujours à l’heure actuelle la politique locale. Cependant les bouleversements institutionnels que connaît la Belgique, l’influence du cadre européen, la volonté notamment de substituer une politique transversale de l’égalité (mainstreaming de genre) à une politique plus pointilliste, le tout combiné à l’augmentation, dans les faits, des compétences des communes par le transfert de diverses matières appartenant a priori à d’autres niveaux de pouvoir, vont amener les chercheurs à considérer qu’il s’agit là d’un terrain d’étude privilégié pour l’implantation et la mise à l’épreuve d’une politique de gender mainstreaming Deux études de base sont des références en matière d’histoire et d’évaluation de la politique locale : V. Degraef, L. Zaïd et Fr. Kemajou, «Evaluation des politiques, des actions et des recherches menées depuis 1985 en matière d’égalité des chances entre hommes et femmes», non publié et C. Joly «Historique de la politique locale d’égalité menée au niveau fédéral» dans Chronique Féministe «Femmes en ville» n°86-88, sept. 2003-janv. 2004.

Du discours aux actes…

Le bilan de cette politique est en demi teinte Voir à ce sujet, outre les deux études précitées, K. de Boodt, J. Brau, N. Wuiame, K. Van der Heyden, «Evaluation de la politique locale d’égalité des chances du pouvoir fédéral en Belgique», non publié.. Entre un laboratoire potentiel d’une politique locale, systématique et globale d’égalité au niveau local et une réalisation effective satisfaisante, il y a toute la différence entre un souhait et la réalité d’une volonté politique. Ceci peut s’évaluer pour toutes les politiques publiques, à quelque niveau que ce soit, assez facilement : quelles sont les actions réalisées, quels moyens budgétaires et humains en quantité et en qualité y ont-ils été consacrés, de quel soutien politique bénéficie cette politique en interne et en externe, quelle est la permanence, la récurrence de cette politique au niveau communal ?

« L’exigence démocratique au quotidien ne saurait se contenter d’un idéal d’égalité qui s’exprime via une politique de «bonne volonté». »

Sur ces différents points, la situation actuelle peut s’améliorer grandement si, à l’issue du prochain scrutin communal et provincial, les élus et les élues, que les nouvelles dispositions paritaires appellent à siéger plus nombreuses dans les assemblées et à prendre davantage de responsabilités en matière d’égalité entre hommes et femmes, décidaient d’introduire dans chaque compétence, au niveau de chaque échevinat, de chaque députation permanente, une politique de genre. Jusqu’à présent seule la ville de Liège peut se targuer d’avoir eu, en collaboration avec les associations de femmes locales, une telle volonté. Ailleurs les actions sont, le plus souvent, fragmentées, disparates et le fait d’une volonté politique qui s’exprime de manière individuelle plutôt que la volonté commune d’un exécutif ; au fond c’est une matière isolée, associée soit à une carrière politique débutante (donc faible) soit à une image de politique douce (affaires sociales, solidarité, citoyenneté). Les moyens humains et financiers qui y sont affectés sont à l’image de cette douceur : agents jeunes, récents, précaires, peu ou insuffisamment formés, budgets dérisoires ou… inexistants. Manquant de coordination entre les différents niveaux de pouvoir, la volonté de renforcer la politique locale d’égalité est essentiellement fédérale, alors même que les politiques régionales et, dans une moindre mesure, communautaires représentent l’essentiel des tâches d’une commune au quotidien ; que l’on songe par exemple à l’aménagement du territoire, au logement, à la santé, à la sécurité, aux transports, à l’enseignement officiel, à l’aide sociale, au développement durable… le chantier proposé à l’imagination est infini et peu exploré. Bien sûr en Wallonie et à Bruxelles les choses se sont améliorées sous la dernière législature (plus d’échevinats de l’égalité, une politique régionale de subsidiation de projets) mais l’effort ne fait que commencer. Outre des budgets «genrés» et des outils d’analyse pour mener à bien une politique communale d’égalité (comme le gender budgeting), il est nécessaire de réaliser des plans de législature en matière d’égalité et ce dans toutes les politiques, qu’il s’agisse, entre autres de la participation à la vie publique, de la mise à disposition et de la généralisation d’analyses et de statistiques sexuées ou du respect proactif des législations obligatoires en matière d’égalité. L’exigence démocratique au quotidien ne saurait se contenter d’un idéal d’égalité qui s’exprime via une politique de «bonne volonté» et aux travers de pratiques aussi diverses que peu systématiques et invisibles.