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Unions sacrées

On disait jadis « union nationale ». Dans les grandes circonstances pour faire face au péril extérieur (ou intérieur), gauche et droite effaçaient leurs différences pour s’unir contre l’ennemi commun. Dans le cas extrême de la guerre l’union nationale devenait aussi « sacrée » et toute dissidence assimilée à de la haute trahison. Mais, à travers l’histoire parlementaire européenne, la formule de l’union nationale a aussi été adoptée pour affronter d’autres moments de crise, que celle-ci soit économique et sociale, institutionnelle ou politique. Elle n’est pas toujours un premier choix de ses composantes mais parfois le fruit d’une logique par défaut ou la résultante d’une arithmétique électorale indécise. Souvent, les adversaires qui se transforment en partenaires se présentent comme le dernier rempart face à l’aventure politique ou la seule issue pour échapper à la paralysie ou à l’impasse. Mais ces solutions généralement boiteuses et confuses ne peuvent ni contribuer à la réhabilitation du politique ni nourrir l’espoir du citoyen.

Entre un premier ministre omniprésent mais obligé à une sorte de neutralité politique, une vice-première socialiste chargée de « surjouer » l’influence de son parti au sein de la coalition et un président de parti préposé au discours de gauche…

Gouvernement gauche/droite, « grande coalition » ou « larghe intese » sont aujourd’hui au pouvoir en Belgique, en Italie, en Grèce, en Autriche, en Slovénie et sans doute demain en Allemagne. Ils s’inscrivent dans cette tradition de l’union nationale et, face à la gravité de la crise, ils prennent même des accents d’union sacrée, comme pour souligner un peu plus qu’ils sont sans alternative. Ce qui n’est pas nécessairement exact en termes d’arithmétique électorale mais traduit l’angoisse des gouvernements face aux tendances centrifuges qui agitent nos sociétés en crise. L’un des effets les plus fréquents de cette alliance est de faire triompher un programme de droite avalisé par la gauche qui, dans ce cas de figure, se trouve généralement réduite à une position strictement défensive permettant au mieux de limiter la casse sociale. Aujourd’hui, ces gouvernements s’inscrivent tous dans la logique de la politique d’austérité dictée par la Commission européenne elle-même composée de membres issus tant de la gauche que de la droite. Pas étonnant si l’on veut bien se souvenir que l’Union européenne est une invention économique libérale et une construction politique sociale-chrétienne et socialiste. Et, donc, quand l’une et l’autre ne se retrouvent pas dans les mêmes gouvernements, à des nuances près, gauche et droite pratiquent la même politique économique (austérité, offre, compétitivité). Ce consensus de fait, qui s’ajoute au rétrécissement du champ d’intervention des politiques, favorise les amalgames du « tous pareils ». De plus en plus intégrée au cœur même de l’appareil d’État (voir chez nous l’affaire Tecteo ou le rôle des Top managers publics), épuisée par la disparition des marges de manœuvre à négocier avec le capitalisme, confrontée à des rapports de force sociaux défavorables, la social-démocratie demeure désespérément en panne de projet et semble incapable de se dégager de l’emprise du social-libéralisme. Une partie de plus en plus importante de son électorat est plongée dans le désarroi favorisant l’abstention ou le repli populiste. Depuis deux décennies, progressivement, le curseur de la vie politique s’est déporté à droite jusqu’à assurer aujourd’hui son hégémonie. On a analysé ici[1.« .PS : un parti populaire en Wallonie », Politique, n°62, décembre 2009] l’exception politique que constitue le PS en Wallonie (principalement) et à Bruxelles par rapport à l’ensemble de la social-démocratie européenne, notamment en ce qui concerne son ancrage populaire. Mais ce PS n’échappe pas plus que les autres à la crise idéologique générale de sa famille politique. Car, aujourd’hui, ce parti se distingue essentiellement par une politique de communication souvent habile mais qui ne pourra éternellement échapper à ses propres contradictions. Entre un premier ministre omniprésent mais obligé à une sorte de neutralité politique, une vice-première socialiste chargée de « surjouer » l’influence de son parti au sein de la coalition et un président de parti préposé au discours de gauche, l’exercice est périlleux et ne peut masquer la réalité de la politique menée. Les échéances électorales qui nous attendent et qui concernent toute l’Europe devraient théoriquement favoriser des clarifications et la redéfinition de projets politiques. Mais jusqu’ici aucun signe ne permet de penser que l’on aille dans ce sens. Chacun semble plutôt soucieux d’assurer sa survie…