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Vive la New B.

C’est officiel : une nouvelle banque verra le jour. Son nom : la New B. Pourquoi ? Parce que « l’appauvrissement du paysage bancaire constitue un véritable problème de société et est une des sources des déconvenues majeures que nous connaissons aujourd’hui »[1.www.newb.coop/fr.] Qui l’affirme ? La plupart des grosses ONG progressistes du pays : Inter-Environnement, le CNCD (11.11.11.), Greenpeace, Médecins du Monde, la Fédération des maisons médicales, la Ligue des familles, les Scouts, Caritas, Oxfam-Magasins du monde… ainsi qu’à ce jour, plus de 35 000 coopérateurs individuels recrutés en moins d’un mois. Mais aussi – mais surtout – une part majeure des organisations syndicales de Belgique : toute la FGTB et, du côté de la CSC, les grosses centrales d’employés (CNE et LBC) ainsi que les régionales Mons-La Louvière et Bruxelles-Hal-Vilvorde. C’est cette participation qui est la plus significative, car elle marque la fin d’un cycle au fil duquel, pas à pas, le mouvement ouvrier avait fini par perdre son âme.

La crise bancaire a tout emporté, y compris les illusions de quelques apprentis sorciers du syndicalisme qui ont joué gros avec l’argent des travailleurs. »

Pour comprendre ce processus, il faut remonter… au XIXe siècle. La Belgique s’industrialise. En même temps, une classe ouvrière se constitue. Rassemblée sur les lieux de production, elle découvre les vertus de l’action collective et de la solidarité. Son arme ultime : la grève. Mais pour que celle-ci soit efficace, il faut pouvoir tenir, le temps que le patron (ou le gouvernement) cède. C’est la raison d’être des « caisses de grève », alimentées par les cotisations syndicales. Ces caisses soutiennent les grévistes en leur versant des indemnités de survie pour compenser la perte de salaire. Il est donc important que ces sommes soient aisément mobilisables. Autant donc les gérer soi-même. C’est pourquoi nos deux grands syndicats, associés à d’autres organisations ouvrières (mutuelles, coopératives de production…) se sont dotés chacun de leur propre banque : Codep pour le mouvement ouvrier socialiste, Bacob pour le mouvement ouvrier chrétien. Ces banques prennent la forme coopérative : elles appartiennent à leurs déposants. Ainsi, au sein même de la société capitaliste qu’ils rêvent de dépasser, les pionniers du mouvement ouvrier ont mis sur pied des formes de contre-société, démocratiques et égalitaires, qui préfigurent l’avenir. Ce modèle durera un siècle. Mais dans les années 70, tout a basculé. Pendant les Golden Sixties, l’illusion s’était répandue que les classes populaires pouvaient trouver leur bonheur à l’intérieur d’un capitalisme triomphant où tous les conflits se régleraient courtoisement entre partenaires de bonne composition. Des caisses de grève ? Plus nécessaire, étant donné qu’on n’allait plus faire grève. Et puisque la perspective des crises sociales s’estompait, on pouvait investir à plus long terme et profiter des opportunités de l’argent facile. Puis, sur fond de crise économique, le rouleau compresseur du néolibéralisme déroula ses fausses évidences. La mondialisation imposait de nouvelles règles, la social-démocratie reconnaissait la supériorité de la gestion privée et bazardait toutes ses positions de principe. Alors, avec l’aval de la gauche de gouvernement, on procéda à la liquidation des banques publiques – la Caisse d’épargne en 1993, le Crédit communal en 1996 en intégrant Dexia – tandis que les banques coopératives ouvrières suivaient le même chemin. En 1995, la Codep racheta la banque privée Nagelmackers, puis, en 2001, la nouvelle entité fut cédée au Groupe Delta Lloyd. En 1997, la Bacob absorba Paribas-Belgique sous le nouveau nom d’Artesia qui, en 2001, se fondra dans Dexia dont la stratégie risquée promettait une rémunération à deux chiffres aux capitaux investis. La suite est connue : débarquée en Europe fin 2008, la crise bancaire a tout emporté, y compris les illusions de quelques apprentis sorciers du syndicalisme qui ont joué gros avec l’argent des travailleurs. Le projet New B. renoue avec l’utopie des origines : s’il faut s’organiser à l’intérieur de l’économie de marché – puisque nous y sommes jusqu’à nouvel ordre –, il n’est pas obligatoire de se laisser contaminer par ses valeurs. L’engouement rencontré par ce nouveau projet est vraiment rafraîchissant : et si un autre monde, en plus d’être désirable, était vraiment possible ?