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Vive les femmes

La France aura donc sa loi antivoile. Grand bien lui fasse. Chirac-Martel a livré sa bataille de Poitiers contre les Sarrazins, il a sauvé la République, ou la chrétienté, on ne sait plus très bien. L’islamisme est vaincu, la plaie algérienne est pansée, l’honneur français est sauf, n’en parlons plus. Souhaitons simplement que cette loi, comme tant d’autres, passe finalement inaperçue, qu’elle soit moins « ostensible » que son annonce à grand fracas, sous les lustres élyséens. Espérons aussi que les autres gouvernements européens ne verseront pas dans la même facilité trompeuse. Il y a un point, cependant, sur lequel j’aimerais revenir, un argument qui a pesé très lourd dans cette affaire. Pour beaucoup de partisans de la loi, il s’agissait de défendre la femme, sa dignité, son droit à l’égalité avec l’homme. Argument impressionnant, surtout quand il était utilisé par des femmes d’origine ou même de conviction musulmane. Argument qui aurait pu être irréfutable s’il ne s’était autodétruit en plein vol, en quelques jours, entre la remise du rapport de la commission Stasi et le discours du président Chirac. Entre les deux, par un formidable télescopage de signes (ostensibles, pour le coup), il y a eu l’élection de Miss France, en direct, sur TF1, devant des millions de téléspectateurs hébétés. Faut-il insister? Souligner les étranges similitudes avec les comices agricoles, les chairs ornées de cocardes, les viandes examinées par les caméras? Relever les propos et clins d’œil égrillards, les hurlements d’admiration quand une miss émettait une phrase? Répertorier les voilements? Les dévoilements? Génisse de concours ou chienne de race, barbie grandeur nature, habillable et déshabillable à merci, telle est apparue la femme française sur la scène de la télévision française, en plein milieu du débat sur l’indignité faite aux femmes musulmanes. Etait-ce là le modèle de femme laïque, libre, digne et égale proposé à la république désorientée? Si oui, tous les machos musulmans ont dû se réjouir. Si non, il n’aurait pas été inutile que les partisans de la loi le fassent savoir. Or, à ma connaissance, aucun d’entre eux ne l’a fait, et notamment aucune des femmes qui ont signé un appel contre le voile à l’école dans le magazine Elle « Le voile islamique nous renvoie toutes, musulmanes et non musulmanes, à une discrimination envers la femme qui est intolérable. Toute complaisance à cet égard serait perçue par chaque femme de ce pays comme une atteinte personnelle à sa dignité et à sa liberté. » Elle, 8 décembre 2003 , comme si personne n’avait vu qu’il y avait là une énormité, une contradiction flagrante, à moins de traiter ce grand spectacle national comme une simple affaire privée… Mais alors, comment justifier qu’on refuse à des adolescentes, élèves des écoles publiques, et rien qu’à elles, de s’habiller comme elles l’entendent? Comment ne pas donner l’impression que cette loi est d’essence gaulocentriste, pour ne pas dire d’inspiration lepéniste?