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Votez ! ?

Acte 1. Le 22 avril, sous les yeux médusés de la presse internationale, le gouvernement Leterme chute. Le monde politique est tout aussi médusé. Ce n’était pas prévu au programme. Le scénario, passablement compliqué, se déroulait pourtant comme écrit dans le texte. Et voilà qu’un petit nouveau – en l’occurrence le fils De Croo, plus pressé que d’autres de se faire un prénom – déboulait dans le jeu de quilles. Acte 2. Donc, de nouvelles élections. Tous en choeur : c’est irresponsable. La prise en compte des « vrais problèmes » est sacrifiée à l’appétit électoral d’une clique. Et la crise financière ? Et l’emploi ? Et la présidence belge de l’Europe ? Et notre réputation ? Un peu convenu comme discours… Acte 3. Une petite musique monte de l’opinion publique : cette fois-ci, on ne marche plus. Nous n’irons pas voter. Singularité : ceux qui assument désormais à haute voix ce « découragement démocratique » ne sont pas des électeurs en puissance de la droite populiste. En particulier, la solide tradition progressiste du corps électoral wallon et bruxellois semble n’ouvrir aucun boulevard à ce type de formation. Mais que faire, que dire quand la sphère politique semble à ce point déconnectée de la population ? Qui, au sein de la classe politique, peut se dire innocent de cette dérive et s’exonérer de toute responsabilité ?

Mais que faire, que dire quand la sphère politique semble à ce point déconnectée de la population ? Qui, au sein de la classe politique, peut se dire innocent de cette dérive et s’exonérer de toute responsabilité ?

Acte 4. Les partis politiques sentent le vent du boulet. Avant d’appeler à voter pour eux, il faut désormais appeler à voter tout court. Même si, on l’a bien compris, il s’agit surtout pour chacun de mobiliser ses propres électeurs. Si ceux du parti concurrent décidaient le 13 juin d’aller à la pêche, grand bien leur fasse. Mais comment remobiliser sans ressasser la rhétorique habituelle qui tourne en boucle et qui, justement, ne fait plus recette ? Il faut sortir une plus grosse artillerie. Acte 5. Mobilisation générale. Les éditorialistes s’engagent et les politologues les plus neutres donnent des consignes. Le mantra, sur tous les tons : votez ! Le suffrage universel est une conquête pour laquelle nos ancêtres ont combattu et qu’on ne peut galvauder ainsi. La Belgique doit être fière d’être un des rares pays du monde où le vote est une obligation Dans notre numéro de rentrée (septembre-octobre 2010) nous consacrerons un petit dossier à cette spécificité belge.. et pas seulement un droit facultatif. Ici, on n’est pas en Chine ou chez Pinochet. Votez pour n’importe qui, mais votez. Et si vous voulez sanctionner l’establishment, votez même à la rigueur pour des petites listes protestataires… que les grands partis ont pourtant essayé d’éliminer discrètement en profitant du court délai laissé par le calendrier électoral. La manoeuvre peu glorieuse qui consistait à leur refuser tout parrainage a échoué. D’habitude, les partis établis argumentent que voter pour des listes qui n’auront de toute façon pas d’élu, c’est perdre sa voix et ça ne vaut pas mieux que… de s’abstenir. Gageons que, cette fois-ci, ce discours ne sera pas tenu. Le 24 novembre 1991, un Vlaams Blok triomphant, qu’on n’avait pas vu venir, sortait des urnes anversoises. En février 1992, le mouvement citoyen Charta 91, né en réaction, posait déjà ce diagnostic : «La politique est perçue comme un spectacle peu crédible qui sert certains intérêts et qui fonctionne selon des règles qui laissent la majorité de la population sur la touche. Impuissante, cette majorité est réduite au rôle de spectateur. (…) Le climat culturel se détériore rapidement, ce qui favorise le glissement idéologique vers la droite. La médiocrité de la culture de consommation n’engendre ni le renouveau ni la diversité. La progression de l’analphabétisme, le retard scolaire, le déclin de l’enseignement et la culture des petits jeux médiatiques ont ouvert des plaies profondes dans le tissu mental de la société.» Le remède ? En tout cas, «la situation est trop grave pour qu’on s’en remette aux structures de pouvoir qui sont un des éléments du problème. Des citoyens responsables peuvent contribuer à combattre cette dégradation, source d’intolérance, de xénophobie, d’exclusion sociale, d’angoisse et d’insécurité.» On ne saurait mieux dire. Nous n’avons aucun doute là-dessus : tous les lecteurs de Politique iront voter le 13 juin et il est inutile de les y exhorter. Le moment électoral reste un moment capital en démocratie. Mais il n’est pas le seul. L’action collective et la délibération démocratique sont des processus permanents qui doivent impliquer le plus grand nombre possible de citoyens conscients. Sans eux, le théâtre politique peut bien continuer comme si de rien n’était. Mais les salles resteront vides.