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VW, la gauche, la droite

Un mois après l’électrochoc qui a suivi l’annonce de la fermeture, la saga de VW Forest aborde désormais des eaux plus calmes. Rétrospectivement se dessine une partition à plusieurs mouvements, où se sont entremêlés quelques dissonances et beaucoup d’unissons.

Mouvement un : compassionnel. C’était obligatoire. Il fallait rappeler ceci : les drames sociaux, même prévisibles, restent des drames pour toute la société, et pas seulement l’affaire privée de leurs victimes directes. Mais malgré l’unanimité qui devait ici prévaloir, on a bien senti, dans la mobilisation des solidarités, que l’élan s’était affaibli depuis Clabecq et Renault il y a dix ans. VW était un des derniers dinosaures d’une espèce en voie de disparition : la grande entreprise «fordiste» issue du compromis social des Golden sixties, avec un actionnariat industriel stable et une culture ouvrière forte protégeant les acquis des travailleurs statutaires, quitte à s’ériger en citadelle contre d’autres travailleurs On ne peut oublier que, jusqu’à très récemment, syndicats et patrons de VW s’étaient mis d’accord pour barrer l’embauche aux travailleurs issus de l’immigration. De même, on n’était pas trop regardant sur les conditions de travail des très nombreux intérimaires qui servaient de variable d’ajustement face à la discontinuité des besoins de force de travail. Parmi ceux dont on attendait la solidarité, beaucoup n’avaient plus le cœur de se battre pour préserver les apparents privilèges d’une des dernières aristocraties ouvrières. Mouvement deux : révolté. C’est humain. Si tout cela n’a aucun sens, le désespoir guette, voire la folie. Au moins, qu’on trouve un coupable. Ce fut la seule occasion de délivrer un message politique. On a accusé (à tort) les syndicats allemands d’égoïsme, on a stigmatisé (à raison) l’inexistence d’Europe sociale, ce qui n’est vraiment pas une découverte, celle-ci étant par essence contradictoire avec l’Europe de la liberté des marchés. Pas assez d’Europe ou trop d’Europe, les débats rhétoriques convenus autour de la constitution européenne ont été ressortis. Sans convaincre. Mouvement trois : distancié. C’était nécessaire, la révolte se révélant vite improductive faute d’un bon rapport de force. On nous a expliqué que les licenciements massifs étaient inéluctables : comment les éviter quand il faut de moins en moins de travail humain pour produire une voiture ? Il y a dix ans, on aurait appelé ça «hausse de la productivité individuelle des travailleurs» et on en aurait déduit la possibilité technique de réduire en proportion la durée hebdomadaire du travail. Mais (nous expliquèrent les mêmes), à l’époque de la mondialisation, les gains de productivité ne peuvent profiter qu’au capital, sinon il va voir ailleurs. Mouvement quatre : discret. C’était cousu de fil blanc. L’actionnariat de VW n’est pas un actionnariat volatil à base de fonds de pension américains qui se déplace avec la rapidité du prédateur. C’est un actionnariat d’autant plus captif qu’il a partie liée avec des pouvoirs publics allemands. Les choses doivent donc être faites proprement. On a commencé par semer la panique. C’était, si on ose dire, de bonne guerre, pour mettre les travailleurs sous pression et les amener à accepter, soulagés, un plan moins pire que ce qu’ils avaient imaginés. Mouvement cinq : apaisé. Pour l’opinion conditionnée, c’était inattendu. On revient de loin, les négociateurs ont bien travaillé, l’essentiel est sauvé. Ceux qui partiront se voient offrir des indemnités de licenciement à faire pâlir d’envie toutes les autres victimes de restructurations moins médiatisées. Ceux qui resteront auront des perspectives à moyen terme, puisqu’en attendant l’Audi A1 et en plus de la Polo, l’usine de Forest produira encore un rabiot de Golf, la spécialité de la maison. Chaque chose en son temps. On discutera plus tard du coût réel du travail pour ceux-là. Qu’ils ne rêvent pas : aujourd’hui, quand on veut garder son emploi, il faut accepter de le payer, notamment en termes de flexibilité du travail. Par exemple, on pourrait déjà se passer d’intérimaires si les travailleurs statutaires acceptaient d’être moins «rigides». Et peut-être découvrira bientôt une clause discrète par laquelle la collectivité aura investi dans le maintien de l’activité à Forest sous forme d’investissements périphériques sur le site ou sous la forme classique d’une réduction des charges patronales. Fin du concert, sous les applaudissements soulagés. Tout est bien qui finit bien. Et l’opinion, lâchement rassurée, de se demander aussi : tout ça pour ça ? Curieusement, c’est sur le fond de la saga VW qu’une polémique gauche-droite un peu surréaliste a opposé les partenaires francophones du gouvernement. Tout le monde sait que le PS sera du prochain et que le MR y sera aussi à condition que Verhofstadt arrive à redresser la barre. Comme, du fait de son système politique, la Belgique est condamnée aux gouvernements de large coalition, aucun programme ne peut complètement s’appliquer. On se positionne idéologiquement pour ratisser l’électorat là où on croit qu’il se trouve. Après quoi, une fois remonté dans le train gouvernemental, on trouve l’alibi imparable pour justifier tous les compromis. Donc, on aura vu le PS provoquer le MR, qui a répondu toutes griffes dehors, sur leur démarcation idéologique. L’affaire VW ne démontrait-elle pas la pertinence du clivage gauche-droite, qui n’est rien d’autre que la traduction politique d’un clivage social persistant ? On le sait, les libéraux belges détestent ça, eux qui n’ont toujours pas compris, comme leurs alter ego français, qu’il est plus payant de s’afficher «de droite» sans complexe plutôt que de nier l’évidence. Mais on aurait été bien en peine de trouver la moindre différence pratique dans la manière dont les protagonistes ont abordé l’annonce de la fermeture de VW-Forest. C’était pourtant l’occasion de montrer comment, en pratique, la gauche et la droite, ce n’était pas pareil. À côté des quelques dissonances rhétoriques obligées, on pourra toujours dire que c’est le sens des responsabilités des uns et des autres qui les aura alignés sans moufter derrière le nouveau démineur Verhofstadt. Il y a évidemment une autre hypothèse : à force d’être associées au pouvoir, les différentes forces politiques belges ont cessé de porter des projets alternatifs. Sauf sur la question communautaire qui occupe désormais tout l’espace public du débat et où les partis francophones font bloc. Pendant ce temps, sur une autre planète sans doute, le film d’Al Gore – «Une vérité qui dérange» – sur le réchauffement climatique faisait un tabac. Il faut sans plus attendre diminuer l’émission de gaz à effets de serre et, dans ce but, réduire le recours à l’automobile, en évitant de transférer vers les pays en croissance les excédents de production qui ne peuvent plus s’écouler dans nos pays complètement saturés. Peut-on préparer cette perspective sans casse sociale d’emplois réellement existants mais condamnés à terme ? N’est-ce pas là le principal chantier de la politique à venir, et notamment d’une gauche qui sortirait enfin des tranchées ? 17 décembre 2006