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Le blog-notes d'Hugues Le Paige

Les maux et les mots de la pandémie

Hugues Le Paige | 14-03-2020

C’est le maître mot. Une parole forte, chaleureuse, collective : SOLIDARITÉ ! Un mot qui a pris la place de tous les autres et, en premier lieu, de tous ceux qui incarnent le système dominant. Solidarité balaie donc compétition, concurrence, profit, égoïsme, exploitation. Ce n’est qu’un mot qui peut à nouveau s’effacer quand le danger de la pandémie aura été vaincu mais pour l’instant il caractérise l’attitude des peuples mobilisés contre l’expansion de la maladie et la protection des plus menacés. En Belgique comme ailleurs. Chacun d’eux l’exprime à sa manière. Les Italiens qui sont les plus touchés ont décidé en quelques heures de sublimer leur confinement d’abord en applaudissant les médecins et les infirmières depuis leurs fenêtres ouvertes ensuite en chantant ensemble depuis le balcon de leur appartement ou la cour de leur maison. Il y a aussi dans ce geste festif l’expression d’une solidarité et d’une résistance collective.

« Il faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde et qui dévoile ses failles au grand jour (…) Il doit y avoir des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » : quand Emmanuel Macron, le héraut du libéralisme et de la « mondialisation heureuse » prononce ces paroles, cela signifie que quelque chose est en train de changer. Certes, elles sont dictées par un opportunisme évident, y compris le plus immédiat.[1]  Elles sont, en tous cas dans sa bouche, purement conjoncturelles. Mais elles indiquent aussi qu’aujourd’hui le discours libéral que nous serinent depuis des lustres la plupart des gouvernements européens est inaudible face aux failles béantes du système révélées de la manière la plus crue — et la plus mortelle aussi — par l’épidémie. Mêmes les instances européennes doivent abandonner — un temps pensent-elles naturellement — leur dogme de l’austérité qui a dévasté les services publics au premier rang desquels celui de la santé. A l’inverse, ceux qui se battent contre cette austérité malfaisante qui conduit à des impasses mortifères, ceux qui s’insurgent contre le triomphe du libre échange et refusent la mise à mort de l’État, ceux qui mettent en cause les modèles de production et de consommation, ceux-là peuvent retrouver une force de persuasion et d’adhésion. Certes, il ne faut pas s’illusionner. Quand le danger se sera estompé, les « maîtres du monde » comme les appelait Bourdieu auront vite fait de reprendre la main. Et nos gouvernants — ici et ailleurs — risquent d’oublier un discours solidaire aussi vite qu’ils s’en étaient parés pour justifier leur pouvoir et répondre à leur devoir.

Peut-être que tout recommencera comme avant. Peut-être. Déjà après la crise de 2008, alors que les états — et donc les citoyen.ne. s — avaient sauvé les banques et le système financier, les « plus jamais ça ! » s’étaient évanouis dans le retour aux affaires. Mais rien n’est jamais totalement joué d’avance. Le soulagement de l’après crise peut nous rendre amnésiques. Il peut aussi — si des forces alternatives s’imposent avec suffisamment de force — nous encourager à demander des comptes à tous les pouvoirs qui nous conduisent depuis des décennies dans l’impasse d’un modèle ultralibéral qui a brutalement démontré à toutes et à tous qu’il conduisait aussi à la mort.

[1]  A la veille d’élections municipales qui s’annoncent très difficiles pour sa majorité, Macron a besoin de récupérer une part de son électorat issu du centre gauche.

Journaliste-réalisateur, membre du collectif éditorial de "Politique"

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5 contributions pour "Les maux et les mots de la pandémie"

  • Eh oui !! C’est l’heure de réfléchir et d’ouvrir les yeux sur tous les méfaits du capitalisme et de l’ultra libéralisme, l’heure de remettre à l’honneur le «  vivre ensemble » , l’heure de penser autrement la nature plutôt que de la consommer bêtement afin qu’elle reprenne tous ses droits.

  • Malheureusement, les maîtres du monde sont aussi les maîtres du mot. Mais je te trouve un peu optimiste face aux réactions de ruée sur les grandes surfaces, les râleries, les fakes, les restaus complets samedi…

    1. D’évidence, Macron, cher Hugues, avait lu les contributions de son « maître » ? Pol Ricoeur, et notamment son fameux débat, paru dans la revue Esprit, avec Rocard. Ils étaient tombés d’accord pour dire qu’une politique de gauche devrait tirer des listes de biens et services, une liste pour les biens marchands, une liste pour les biens non marchands, une liste pour les biens coopératifs, les biens (re)distribués par l’Etat. Le libéralisme montre ses limites quand il prétend encore vendre à des prix formatés par l’offre et la demande des biens de première nécessité. C’est sans doute le moment de pointer les biens que l’Etat se doit, non pas de redistribuer, mais de distribuer. Bien à toi, Pierre

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