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Chercheur d’emploi

Fin du XIXe siècle, les entreprises industrielles licenciaient massivement les travailleurs, les paysans ruinés venaient en ville dans l’espoir de trouver du travail, les artisans pauvres et les travailleurs à domicile cherchaient des lieux où s’employer. La population ouvrière était décimée par le chômage dont la durée s’allongeait. Pouvait-on accepter de voir des ouvriers qualifiés, désireux de travailler mais dans l’incapacité de trouver à s’employer ? Pourtant, parmi les différents régimes de la sécurité sociale, la conquête de l’assurance-chômage fut la plus conflictuelle et la plus longue. Certes, en 1903, le mouvement ouvrier avait pu obtenir le vote de la loi sur les accidents de travail qui instaurera le premier régime obligatoire de la sécurité sociale. Mais il n’était pas question de faire de même pour le chômage. Non seulement la bourgeoisie ne pouvait se résoudre « à payer des gens à ne rien faire » mais surtout, si les chômeurs devaient bénéficier d’un revenu, les patrons ne pourraient plus baisser les salaires à leur guise et les ouvriers n’accepteraient plus n’importe quelle condition de travail. Le droit au chômage ne fut concédé qu’avec les plus grandes réticences, les employeurs ne s’y résignent vraiment qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, plus de 40 ans après la législation sur les accidents de travail. L’heure de la revanche sonna avec la vision néolibérale de la société qui s’est imposée avec force dans les années 1980. Les premières mesures portées contre l’État social ont visé l’indemnisation du chômage par la création du statut de cohabitant. Alors que précédemment l’indemnisation n’était fonction que de la disponibilité au marché du travail sans considération de revenu ou de statut familial, la porte était désormais ouverte aux conditionnalités, aux dégressivités d’allocation et aux contrôles pour rogner le droit au chômage. La mobilisation totale des salariés dans ce nouveau régime du capitalisme financiarisé exige leur implication complète et leur identification sans réserve à leur travail. Le salarié doit devenir une « entreprise pour soi » et se comporter comme tel. Il doit s’imposer les contraintes pour devenir compétitif et assurer sa viabilité à l’encontre des autres. Chaque salarié, devenu capital humain, doit donc se gérer tout au long de sa vie. Le chômeur ne fait pas exception à cette règle. Lorsque la personne devient entreprise, le temps de vie, réduit à une marchandise, se trouve tout entier soumis au calcul économique. Le chômeur, transfiguré également en entreprise, n’en est donc plus un. Il doit, conformément à sa nouvelle nature entrepreneuriale, améliorer sa compétitivité par des stages et des formations pour se vendre sur le marché de l’emploi. Il devient en conséquence un chercheur d’emploi. Il doit améliorer son capital humain et se consacrer totalement à la recherche d’un emploi. Son revenu n’est donc plus l’expression de son droit au travail mais le prix de son travail de recherche d’emploi. L’évolution terminologique qui réduit le chômeur au chercheur d’emploi n’est pas seulement la négation d’un droit mais aussi l’expression d’un monde où la vente de soi s’étend à tous les aspects de la vie. Les mots véhiculent des représentations et les représentations des raisonnements. Préférons donc toujours « chômeur » ou encore « travailleur sans emploi » à « chercheur d’emploi ».