Retour aux articles →

Élections en RDC : Tshisekedi, Kabila et l’arithmétique du pouvoir

RDC
RDC
Au bout d’un scénario improbable et d’un processus électoral surprenant, la République démocratique du Congo a enfin connu une alternance politique physique. Président élu pour les un-e-s, nommé pour les autres, l’élection de celui que ses partisan-e-s surnomment FATSHI (Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi) semble ne pas avoir résolu le principal problème politique de ce pays : la légitimité de ses dirigeant-e-s reconnue par l’ensemble des Congolais-es. Les interventions très cavalières de certaines puissances occidentales et de certains présidents africains très mal placés pour donner des leçons se seront heurtées à la détermination des institutions congolaises dominées par le régime de Joseph Kabila. À défaut d’une alternative politique durable pouvant changer de manière systémique l’avenir du pays et leur quotidien, les Congolais-es se contenteront d’une alternance cosmétique censée apaiser les tensions.

Une alternance qui prolonge la crise de légitimité permanente

La présidence congolaise aura un nouveau visage mais elle ne se débarrassera pas facilement de la crise de légitimité qui ne cesse de tourmenter ce grand pays depuis « l’indépendance ». Les défis auxquels sera confronté Félix Tshisekedi, le nouveau chef de l’État, sont trop nombreux et importants pour que la crise de la légitimité politique se prolonge : donner une assise forte et populaire aux institutions politiques, construire une économie viable et redistributive au service de la population, continuer à construire une conscience nationale et citoyenne au-dessus des appartenances ethniques, assurer enfin la souveraineté entière et totale perdue depuis 1961 et ancrer la République démocratique du Congo comme leader des projets politiques et économiques destinés à créer une Afrique unie.
Pour comprendre ce phénomène qui est devenu par la force des choses une tradition historique, il faut remonter à 1961 et à la violation démocratique subie par le gouvernement du Premier Ministre Patrice Lumumba. Les élections générales de mai 1960 ayant porté à la tête du gouvernement le héros anticolonialiste congolais restent jusqu’à ce jour les seules incontestées.
Le coup d’État du Colonel Joseph-Désiré Mobutu soutenu par ses alliés occidentaux et congolais du 14 septembre 1960 sera un tournant important. En renversant le gouvernement Lumumba, il installera une tradition dans le pays et dans la conscience nationale : le pouvoir ne s’acquiert pas, il se prend.
S’en suivront le régime dictatorial du Maréchal Mobutu Sese Seko – ex Joseph-Désiré – bâti sur la force du parti unique, celui de Laurent-Désiré Kabila, venu au pouvoir après une guerre qui chassa Mobutu.
Enfin, Joseph Kabila dont l’accession au pouvoir en 2001 fut un adoubement de la hiérarchie politique et militaire mais aussi celui des puissances occidentales. Ce choix fortement contesté par la population, associé à la présence du Rwanda et de l’Ouganda – dont le père Kabila voulait se débarrasser après en avoir été l’allié –, a constitué un mauvais départ. Cette légitimité nationale, il ne la retrouvera jamais entièrement. Les élections de 2006 et 2011 qu’il a officiellement remportées et qui ont été fortement contestées ne feront que renforcer cette crise. Aujourd’hui, c’est au tour de Félix Tshisekedi de souffrir de cette crise de légitimité au bout d’un processus électoral surprenant.

Un processus électoral qui restera dans les annales : pour le meilleur et pour le pire…

Pour la première fois dans l’histoire de la RDC, l’État a décidé d’assumer seul l’organisation des élections générales (présidentielles, législatives et provinciales) aussi bien financièrement qu’en termes de logistique. En dehors de celles et ceux qui ont suivi de près le virage nationaliste amorcé par le régime Kabila ces dernières années, beaucoup ont été supris-es. Dans l’absolu, au-delà de son aspect tactique, cette décision était contextuellement appropriée. Il faut comprendre la symbolique que voulait imposer le pouvoir au sein de la population et en Afrique. Le continent africain a toujours été écartelé par l’énorme envie de s’assumer aux yeux du monde et la tentation de faire appel à l’aide extérieure. En décidant d’organiser seul cette élection, le régime de Joseph Kabila, désormais en froid avec ses anciens alliés occidentaux, poursuivait sans doute deux objectifs : raviver la fierté des Congolais-es mais aussi éviter l’implication directe de la « communauté internationale » dans un processus qu’il voulait maîtriser de bout en bout.
L’État congolais a certes réussi son pari d’organiser les élections et d’avoir un résultat. Néanmoins, les nombreux dysfonctionnements et les violences observées lors de ce processus montrent que l’objectif de raviver la fierté et la confiance des Congolais-es dans leurs institutions a été un échec. Dans les régions de Béni, Butembo et Yumbi, les populations ont infligé un véritable camouflet à l’État. En effet, ces régions ont été officiellement exclues provisoirement du processus électoral pour des risques d’épidémie liés au virus Ebola. Le processus avait été repoussé en mars uniquement pour les élections législatives et provinciales laissant place à une situation jamais vue sur le continent. Ainsi, plus d’un million de Congolais-es ont été privé-e-s du choix de leur président. Pour protester contre cette décision, les populations ont organisé elles-mêmes des opérations de vote non reconnues par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Le succès de ces opérations de vote qui n’ont déclenché aucune épidémie a jeté la suspicion sur cette décision de la Commission. Au vu des résultats officiels serrés, 38,57% pour Tshisekedi, 34,83% pour Fayulu, la prise en compte des résultats de ces trois régions aurait pu faire basculer l’élection.

Le phénomène Martin Fayulu ensuite en a étonné plus d’un-e. On s’attendait à voir Tshisekedi drainer des foules en raison de l’héritage populaire paternel qu’il assume. Mais Fayulu et sa coalition Lamuka ont fait émerger la soif de changement mais aussi la rupture entre le candidat Emmanuel Ramazani Shadary – adoubé par Kabila – et les couches populaires. En témoigne son score officiel, 23,84% loin derrière les deux premiers.
La polémique des chiffres accentue encore plus ce constat. En effet, les chiffres avancés par Martin Fayulu pour revendiquer sa victoire sont appuyés par l’église catholique, observatrice de l’élection et par ceux issus de documents présentés comme issus d’une fuite interne à la CENI. Martin Fayulu et sa coalition auraient obtenu selon ces chiffres près de 60% des voix. Le faible écart entre Tshisekedi et Fayulu à l’échelle du pays, les différents éléments troublants qui fragilisent le résultat proclamé par la Ceni rapproche cette élection de la crise électorale qu’a connue la Côte-d’Ivoire en 2010. Dans les deux cas, cette situation aurait dû déboucher sur un recomptage. Mais dans les deux cas, la mathématique du pouvoir en a décidé autrement.

Génération Félix Tshisekedi : on arrive au pouvoir d’abord, on avise après

Nouvelle génération, nouvelle stratégie. Feu Étienne Tshisekedi, le père de Félix avait été intraitable en 2011 après avoir contesté les résultats des élections présidentielles qui l’opposaient à Joseph Kabila. Celui qu’on surnommait le sphinx s’était forgé petit à petit face à Mobutu avec qui il avait tout d’abord collaboré, puis face à Joseph Kabila, l’image d’un politique intransigeant sur les principes. Il était allé jusqu’à interdire aux députés élus de son parti de siéger. Il n’ouvrait aucune porte de dialogue avec le président sortant.
Aujourd’hui, son fils et son entourage choisissent une autre voie. Contrairement à son père, il utilise un langage policé et respectueux vis-à-vis de Kabila allant jusqu’à le saluer comme «partenaire politique». Des tractations ont même eu lieu entre les états-majors des deux hommes donnant à cette alternance l’apparence d’une nomination. Il est loin le temps où le père traitait Joseph Kabila de «bandit». Même s’il est élu président, Félix est complètement cerné par des institutions qui appartiennent au camp du FCC (Front commun pour le Congo) de Kabila à la suite des élections : l’assemblée nationale, le sénat, les provinces et même la cour constitutionnelle sont largement dominés par le FCC. Il devra également nommer un Premier Ministre issu du pouvoir sortant. D’ailleurs, il est assez intéressant de remarquer que l’UDPS de Tshisekedi conteste les résultats des législatives, des provinciales mais pas ceux de la présidentielle ! Selon le parti, il y aurait eu fraude dans les deux cas et pas dans le troisième.

En termes de pouvoir, Félix Tshisekedi se trouve en apparence devant une équation insoluble. Joseph Kabila a manœuvré habilement pour cadenasser les accès les plus importants. Il devient lui-même sénateur à vie, comme le prévoit la Constitution pour les présidents sortants. Une fois élu président du Sénat, il deviendra le second personnage de l’État et prendra la place du président en cas de vacance du pouvoir…
Face à cette machinerie politique, se trouve une génération, celle de Félix, qui a soif de pouvoir. Beaucoup d’analystes lui prédisent une présidence impuissante. Mais le président élu et son entourage veulent sans doute tout d’abord avoir accès matériellement au pouvoir avant d’envisager une stratégie pour se sortir de la nasse. La génération Félix de l’UDPS ne veut pas connaître le sort de la génération du père, une grande partie d’une vie politique passée dans l’opposition sans goûter aux délices du pouvoir. La course aux postes a déjà commencé au détriment d’ambitions réelles de transformation du pays. Une partie de l’opinion congolaise se résigne déjà à cette situation préférant cette alternance à des contestations électorales violentes.

On ne compte pas sur la «Communauté internationale» et l’Union africaine pour assurer une légitimité électorale

Alors que les résultats se faisaient attendre, que l’église catholique affirmait détenir le nom du vainqueur, Didier Reynders en maître d’école exigeait depuis Bruxelles l’annonce des résultats. Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, donnait des leçons à l’État congolais sur la vérité des urnes. Leurs discours montre pourquoi il est urgent de décoloniser la manière dont se mènent les relations diplomatiques. Ces deux hommes au ton paternaliste symbolisent très bien cet objet politique étrange qu’on appelle dans les médias la «communauté internationale» et qui ne regroupe en réalité que les pays occidentaux. Après avoir appelé au recomptage des voix qu’ils avaient refusé à Laurent Gbagbo en Côte-d’Ivoire, ils vont finalement accepter l’élection de Félix Tshisekedi emboîtant piteusement le pas à la Russie, à la Chine ou encore au Burundi de Pierre Nkurunziza…
L’Union africaine a quant à elle encore montré toutes ses divisions et son incapacité à trouver le bon moyen de résoudre cette crise naissante. Comment peut-on compter sur des dirigeants dont la légitimité est contestée pour mener une telle mission ? Denis Sassou Nguesso, dictateur invétéré du Congo-Brazzaville voisin était très mal placé pour avoir une parole crédible. L’intervention de Paul Kagamé, accusé par les Congolais-es d’exploiter illégalement les richesses de l’est du Congo et d’y entretenir l’insécurité meurtrière, ne pouvait être crédible. L’erreur de Martin Fayulu est sans doute d’avoir élaboré sa stratégie de résistance en comptant sur une «communauté internationale» cupide et une Union africaine bancale. Le premier souci de ladite communauté internationale est d’assurer ses intérêts et ne pas se voir doubler par les Chinois ou les Russes.

Une fois pour toutes, les femmes et hommes politiques africain-e-s doivent comprendre qu’ils ne peuvent compter en premier lieu que sur eux-mêmes et leurs populations. Cette règle est valable aussi bien pour la gestion des affaires internes que pour le choix des dirigeant-e-s. Personne ne viendra émanciper l’Afrique à la place des Africain-e-s et des Afrodescendant-e-s.