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En finir avec le bricolage institutionnel

 

Quand nous avions fait le choix du thème de ce dossier, nous n’imaginions pas que la situation politique aurait atteint un tel degré de dramatisation. Redoublant la confusion qui accompagne la pandémie de Covid-19, la dernière séquence politique a mis en évidence l’incongruité qu’il y a à marchander de l’institutionnel contre de l’économique et du social dans un seul package, selon la bonne vieille tradition belge.

Depuis sa naissance en 1830, la Belgique traîne derrière elle le péché originel de sa constitution hybride. En Europe, d’autres États qui n’étaient pas construits sur base d’une homogénéité nationale ont explosé, chaque composante reprenant ses billes : Union soviétique, Yougoslavie, Tchécoslovaquie… Reste la Suisse, dernière démocratie multilingue pacifiée, pour illustrer de l’extérieur le rêve post-national européen.

Après près de deux siècles d’existence, la Belgique tient toujours, mais elle est agitée par une controverse existentielle dont on ne voit pas le bout. Jusqu’à aujourd’hui, les forces centripètes finissaient par l’emporter sur les forces centrifuges. Qu’elles soient flamandes ou francophones, le calcul des centripètes fut toujours le suivant : nos intérêts particuliers seront mieux défendus avec la Belgique que sans elle. Même à partir d’un point de vue égoïste ne prenant en compte que sa propre communauté, la sagesse recommandait de conserver une Belgique consistante.

Au fil de l’histoire, les accents se sont déplacés du nord au sud et inversement.
Dans les premières décennies de l’après-guerre, la Flandre, qui s’était industrialisée sur le tard, a fini par imposer son leadership à la Belgique, tandis que la Wallonie, sous l’impulsion de sa gauche syndicale, cherchait à échapper à sa domination. Basculement au changement de siècle : la Wallonie économiquement affaiblie découvre les vertus de la solidarité fédérale. Naguère, c’était surtout au nord que résonnaient les crédos les plus belgicains, voire les plus royalistes. Aujourd’hui, c’est plutôt au sud. Pour tout compliquer s’est constitué entre les deux, à Bruxelles donc, un « peuple de métis » (dixit Jules Destrée et Jan Jambon). La capitale ne sera plus jamais le lieu exclusif de la rencontre entre les deux tribus belgo-belges qui rêvent de se l’annexer.

L’émergence d’une droite nationaliste en Flandre a modifié radicalement la donne. S’appuyant sur un tissu économique largement ouvert à la mondialisation, elle se croit désormais assez forte pour souhaiter rompre les équilibres du capitalisme de concertation sociale dont la Belgique est un des fleurons. Du coup, la gauche francophone, dont les alliés flamands traditionnels ont été laminés, se rassemble pour faire face à un nouvel adversaire. Contre la N-VA – et ceux qui acceptent de se compromettre avec elle –, elle monte aux barricades pour défendre la sécurité sociale et les droits humains. Des manifestes sont lancés sur la place publique pour promouvoir une nouvelle équation progressiste qui articule le social, l’écologique et le démocratique. Autant d’enjeux dont l’issue se jouera, au minimum, au niveau fédéral.

Mais voilà le hic : la plupart de ces initiatives… sont seulement francophones et semblent s’en satisfaire. Comment espérer avancer sans s’articuler avec les progressistes flamands, si faibles soient-ils (et ils ne le sont pas tant que ça, notamment dans la sphère culturelle et intellectuelle) ?
Quel que soit l’avenir institutionnel de la Belgique, les Flamands resteront nos plus proches voisins et nos principaux partenaires. Entre eux et nous, il y a un contentieux à solder, des liens à resserrer et un avenir à projeter. Cela vaut bien, pour commencer, une bonne dose d’introspection.

Une histoire à revisiter

Pas de plongée dans l’avenir sans se réapproprier le passé… y compris celui de notre revue. Politique se replonge dans son premier numéro (avril-mai 1997) en publiant une archive : l’interview de l’historien Jean Stengers, qui faisait alors autorité concernant l’histoire de Belgique. 23 ans après, son appréciation de l’époque tient-elle toujours la route ? Oui, répond Chantal Kesteloot, mais avec des nuances. Elie Teicher et Antoine Blanchard, deux jeunes historiens liégeois, resituent la Belgique dans une théorie générale de la formation des nations. Henri Goldman parcourt cette histoire du point de la gauche socialiste, qui est passée à côté de la question nationale flamande et le paie encore aujourd’hui. L’historien anversois Vincent Scheltiens fait un sort à l’antienne des « deux démocraties ». Enfin, à titre de comparaison, Jonathan Bannenberg nous explique la genèse et le fonctionnement de l’autre État fédéral multinational européen : la Suisse.

Des institutions à repenser

Six réformes de l’État en 50 ans, et ce n’est pas fini ! Jean Faniel et Caroline Sägesser racontent la saga inachevée de ce chantier permanent. À coup sûr, il faudra encore « défédéraliser » ou, pourquoi pas, « refédéraliser ». Caroline Van Wynsberghe nous explique quoi et comment. Mais on butera toujours sur le caillou bruxellois qui, insensiblement, change de forme, comme l’expose Serge Govaert. Enfin, plat de résistance de ce dossier, trois intellectuels familiers de ces questions, Philippe Destatte, Hugues Dumont et Philippe Van Parijs, s’échangent des « lettres ouvertes pour mettre la Belgique à jour »… qui suggèrent des directions différentes.

Des partis à questionner

On commence à nouveau par une archive de 1997 : Serge Govaert décrivait alors le processus inéluctable des familles politiques qui se divisent. Il revient aujourd’hui sur ses propos de l’époque. Suivent trois focus plus ciblés : un témoignage sur la séparation des socialistes, vécue de l’intérieur par Jean-Paul Gailly, un débat entre deux militants de la gauche radicale, David Pestieau, au nom du dernier parti unitaire qu’est le PTB, et Pierre Eyben, représentant une sensibilité régionaliste qui ne craint pas le confédéralisme, une analyse de Pascal Delwit sur l’attitude un peu décalée des Verts sur les questions institutionnelles.

Et la société civile ?

La suite dans le numéro 114 (décembre 2020), qui abordera les organisations syndicales et le mouvement associatif, à partir d’une autre archive.