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Et si on parlait de solidarité ?

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5517581882_9bd62ec687_b © Rob Chandanais
Éditorial du n°117 de Politique, septembre 2021

 

Au menu cet été, c’est à toutes les sauces que la solidarité nous a été servie, illustrant combien les choix individuels et collectifs en définissent les contours. Car la solidarité s’exprime envers les membres du groupe, à  l’exclusion de ceux et celles qui ne le sont pas. Car une solidarité n’est pas l’autre, ne confondons pas la solidarité interpersonnelle et la solidarité institutionnellement organisée. Parler de solidarité, c’est donc parler de société. Et là, on a un problème.

La grève de la faim des travailleurs et travailleuses sans-papiers. Les inondations climatiques de la mi-juillet. L’arrivée d’Afghanes et d’Afghans fuyant le régime des Talibans. Dans ces trois cas, les annonces de solidarité, les traitements médiatiques et les soutiens politiques ont divergé. Le peu de relais médiatique et politique de la grève des sans-papiers jusqu’à ce que la mort rode dangereusement en dit long d’avec qui nous considérons être solidaires dans ce pays. La très forte mobilisation citoyenne après les inondations fait écho aux désastreux désinvestissements financier et politique dans les services de secours, à l’étranglement budgétaire des  pouvoirs locaux, à l’impréparation des dirigeants devant les multiples défis climatiques. L’accueil d’une double centaine de personnes afghanes sur fond de crise internationale se révèle bien vite tenir de l’élan moral plutôt que véritablement solidaire, alors que l’Union européenne se fissure déjà sur la question des réfugié·es.

Non, ces trois solidarités ne sont pas semblables et elles démontrent à outrance avec qui nous acceptons – ou pas – d’être liés, de faire groupe ensemble. Elles viennent questionner nos valeurs : ne veut-on donc être  solidaires que de ceux qui le méritent de notre petit point de vue ? Est-on en train de glisser vertigineusement dans une sorte de solidarité par le mérite qui ne dit pas son nom mais qui nous rapproche furieusement des principes libéraux de l’égalité par le mérite ? Ce sont là justement les potentiels  travers de la solidarité primaire, celle qui s’exprime entre personnes et dépend donc du relationnel, celle qui est individuelle. Voilà la solidarité que l’on encense et médiatise.

Nous devrions pourtant, dans un même mouvement, à gauche, renforcer une autre solidarité qui, de plus en plus, s’efface de l’espace public : la solidarité secondaire, celle qui est censée être organisée par les institutions publiques depuis la Seconde Guerre mondiale dans nos États dits sociaux. Comment pourrions-nous nous réjouir de ces manifestations de solidarité primaire lorsqu’elles viennent cacher combien les attaques frontales envers la solidarité institutionnalisée sont légion et rendent bien souvent impérative, paradoxalement, cette solidarité primaire ? Les besoins collectifs ne sont plus rencontrés par la première, dont les déficiences doivent finalement être palliées par la seconde, s’appuyant largement sur la notion de responsabilité individuelle.

Non seulement, nous laissons notre solidarité institutionnalisée être affaiblie, mais nous tergiversons à l’élargir pour rencontrer les nouveaux besoins, particulièrement climatiques, pour lesquels on est en droit d’attendre une réponse collective organisée. Quand est-ce qu’on en parle sérieusement ?

(Image de la vignette et dans l’article sous copyright CC BY-NC-SA 2.0 ; photo prise dans le Winconsin par Rob Chandanais le 10 mars 2011.)