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Les enjeux de la mobilité bruxelloise

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Pour certains, l’enjeu numéro un, c’est la fluidité du trafic auto et la lutte contre la congestion par une augmentation de la capacité routière, une offre abondante et bon marché de parkings tant au centre-ville que « de dissuasion », la mise en souterrain du transport public, une offre RER pour les collègues et, le cas échéant, un espace résiduel décent pour les piétons et cyclistes. Vision caricaturale ou plutôt explicitation d’une pensée très présente chez les automobilistes quotidiens.

Pour les autres, soit les 40% de ménages non-motorisés, les 270.000 bruxellois de moins de 18 ans, la plupart des membres du club du 4ème âge, les moins valides, les cyclistes convaincus et autres êtres bizarres, l’enjeu est fort différent : une ville apaisée en termes de vitesse de circulation1, moins bruyante, moins polluée, soucieuse de l’enjeu climatique, davantage plantée, où marcher ou rouler sans l’aide d’un moteur à explosion est confortable et constitue un plaisir (2), où le jour comme la nuit, un transport public répond à la demande, une ville enfin où tant le plombier que le service d’aide à domicile arrive sans difficulté à destination.

Une utopie ? Pas vraiment si l’on accepte de « changer de paradigme » en matière de politique de mobilité et si les citoyens acceptent d’adapter certains de leurs comportement. Première chose, une ville des courtes distances (3), celle où les services de première nécessité sont présents dans tous les quartiers et où la plupart des actes administratifs peuvent être effectués sans déplacement via le Web.

Mais surtout une ville dans laquelle les choix d’investissement en mobilité sont complétement inversés : ne plus investir des centaines de millions dans le rafistolage des 25 tunnels routiers conçus à l’époque du « tout à la voiture » comme si on voulait prolonger cette idéologie jusqu’en 2050 au moins; formule qui par ailleurs ne nous a pas épargné les embouteillages. Et pourtant depuis 2016, la Région de Bruxelles a déjà engagé 814 millions d’euros pour ses seuls tunnels routiers.

l’initiative «Bye Bye petite ceinture » est riche en propositions réalisables

Planifier plutôt une « sortie » des ouvrages routiers et reconquérir une grande partie de l’espace qui a été sacrifié sur l’autel de l’automobile. Dans cet esprit, l’initiative «Bye Bye petite ceinture (4) » est riche en propositions réalisables dans un délai de 20 ans ; elle permet la récupération d’une cinquantaine d’hectares centraux actuellement confisqués par le trafic. Nombreuses sont les études ayant établi que si l’augmentation des capacités routières provoque une hausse de trafic, la réduction de ces capacités diminue l’intensité du trafic automobile (5). Or il est important que les déplacements motorisés à finalité sociale ou économique6 reçoivent la priorité et puissent être réalisés dans les meilleures conditions. Une forme de péage urbain, ou d’internalisation du coût du transport, devrait tenir compte de ces différences de motivation des conducteurs.

Un autre enjeu essentiel est de réinvestir davantage encore dans le transport public, mais pas aveuglément. Ce n’est pas le montant, mais la pertinence des choix d’investissement qui permet de répondre à la demande des bruxellois. Ces 18 dernières années ont indiqué la voie à suivre, et pourtant les décisions vont dans une autre direction. Que constate-t-on depuis 2000 ? La STIB a mis en service des plus grands véhicules et surtout a renforcé les fréquences des bus (+19%) et des trams (+33%) (dont le réseau a pourtant été réduit de 12% lors des prolongements du métro). Résultat des courses : un triplement de voyageurs sur le réseau de tram, un doublement sur le réseau de bus et une hausse moins forte sur le réseau de métro pourtant allongé de 37% (7) . La fréquentation de la STIB a plus que doublé durant cette période où c’est l’offre de surface qui a été boostée. C’est dans cette voie qu’il est pertinent de poursuivre : mailler davantage encore le réseau de surface, donner une priorité absolue aux trams et bus que ce soit en rue ou aux carrefours, quitte à prendre de l’espace au trafic privé et compléter le parc de véhicules pour satisfaire la demande aux heures les plus chargées. Malgré ce constat, 5 kilomètres de métro supplémentaires vont consommer 40% de l’investissement à la STIB (8).

Ces tarifs intégrés devraient sérieusement tenir compte des situations sociales et familiales des bruxellois

Le réseau de chemin de fer offre également une magnifique opportunité d’étendre l’offre au sein de la Région : plus de 30 gares aujourd’hui et potentiellement 45 gares pourraient être reliées entre elles en exploitant les sillons laissés libres par les convois extra-urbains : les trains IC-IR, P et S (autre nom du RER). Cette offre permettrait de relier des quartiers distants en une dizaine de minutes, plus rapide que le vélo ! Et grâce à une intégration des services des quatre opérateurs (STIB, SNCB, TEC et De Lijn) tant sur le plan des tarifs, de l’information, des horaires et des arrêts, une plus grande facilité de déplacement pourrait être obtenue. Ces tarifs intégrés devraient sérieusement tenir compte des situations sociales et familiales des bruxellois, sans surenchère électorale ! Enfin, étendre les heures de service durant la nuit avec un réseau Noctis toute la semaine pour répondre à la demande des travailleurs (hôpitaux, horeca, gardiennage…) et pas uniquement à celle des fêtards.

Support de la mobilité quelque soit sa forme, l’espace public bien conçu est un élément essentiel du plaisir de vivre en ville. Dans un précédent article (9), j’ai développé le virage pris à la fin du XXème siècle concernant l’approche de la rue : d’un espace essentiellement circulatoire dédié à l’automobile à l’image des villes américaines, on en est revenu progressivement à un espace aménagé avec soin au moyen de plantations, d’éclairage et de matériaux de qualité. L’enjeu est de généraliser à Bruxelles les places, les rues, les avenues et les boulevards où les modes actifs (piétons et cyclistes) retrouvent un espace de confort, où les vitesses sont maîtrisées et se rapprochent davantage de celles des modes actifs, où la priorité est donnée au mode le plus vulnérable, un espace qui privilégie l’usage collectif (le stationnement étant une forme de privatisation). Si le code de la route a déjà évolué ces dernières années favorisant une forme de courtoisie, l’avènement d’un véritable « code de la rue » (10) est attendu. Les récents aménagements des places majeures de Bruxelles intègrent globalement ces principes. Reste à affronter les voies rapides, boulevards à fort trafic et entrées de ville qui constituent aujourd’hui de véritables barrières en ville.
Plusieurs évolutions récentes peuvent constituer partiellement des réponses au défi de la mobilité du futur. De plus en plus le déplacement est multimodal et pour certains ne reposent plus uniquement sur l’automobile : les comportements, en particulier ceux des plus jeunes, s’adaptent aux différentes offres, aidés en cela par les applications informatiques comparant les possibilités pour réaliser un déplacement. Le partage des véhicules (voitures, vélos, trottinettes, etc.) et des places de stationnement permet de réduire la nécessité d’être propriétaire d’une voiture.

un espace qui privilégie l’usage collectif (le stationnement étant une forme de privatisation)

Enfin, le passage au véhicule à propulsion électrique donne à certains de grands espoirs pour demain. Les avantages de cette évolution sont réels en matière de qualité de l’air urbain, de nuisances sonores et, dans l’hypothèse où l’énergie électrique est d’origine renouvelable ce qui n’est pas le cas à ce jour, de gain en termes d’émission de gaz à effet de serre. Néanmoins, plusieurs problèmes restent : à court terme, le petit nombre de bornes de recharge et le temps de recharge et lorsqu’il y aura davantage de voitures électriques, l’inadaptation du réseau actuel de distribution pour répondre à ce nouveau type de demande. Il faut mentionner également la question des batteries, lourdes (700kg pour l’Audi e-tron), elles impliquent paradoxalement une grande quantité d’énergie pour les mettre en mouvement et gourmandes en métaux rares dont l’exploitation est tout sauf propre (11). Enfin, en rue une voiture électrique ou une voiture propulsée par un moteur à explosion prend la même place, représente le même danger et occupe le même espace de stationnement.

En conclusion, ces enjeux bruxellois sont évidemment à relier aux compétences fédérales (voitures de société, fiscalité relative aux déplacements domicile-travail, offre ferroviaire entre autres) ; les élections de ce mois de mai 2019 seront peut-être l’occasion d’une prise de conscience du défi à relever pour une ville à la fois prête à répondre à la question climatique et plus conviviale.

 

 

 

1- Grenoble a été déclarée Métropole apaisée et 45 des 49 communes de son agglomération sont “Zone 30” depuis le début de 2016
2- Voir le travail intéressant de “La rue de l’avenir”: https://www.ruedelavenir.com/
3 – La ville multipolaire fait partie des objectifs du nouveau Plan Régional de Développement Durable: http://perspective.brussels/fr/plans-reglements-et-guides/plans-strategiques/plan-regional-de-developpement-prd/prdd
4 – Le site web: http://www.petiteceinture.be/home-fr/
5 – Sur le concept “d’évaporation du trafic”, voir en particulier l’exposé de F. Héran lors de la journée d’étude de l’ARAU le 22 novembre 2016: https://arau.org/fr/urban/conf/89/bruxelles-sans-viaduc-ni-tunnel
6 – Ce qui n’inclut pas les déplacements domicile-travail
7 – De 2000 à 2017, le nombre de voyageurs en tram est passé de 47 à 149 millions par an (+217%), en bus de 44 à 100 millions (+127%) et en métro de 78 à 152 millions (+95%). Référence : « Offre et fréquentation des transports publics bruxellois de 1950 à 2017 » par V. Carton https://journals.openedition.org/brussels/1760
8 – Pour un investissement « Métro Nord » de près de 2 milliards d’euros, la Région ne dispose actuellement que d’un engagement budgétaire de 350 millions et d’une promesse de financement de Beliris de 520 millions.
9 – Bientôt des rues pour tous: https://www.revuepolitique.be/bientot-des-rues-pour-tous/
10 –  Voir entre autres “Du code de la route au code de la rue”, Actes de la XIXème école Urbaine de l’ARAU en 1988.
11 – Un livre bien documenté sur cette question: “La guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique” de Guillaume Pitron, Ed. Les liens qui libèrent 2018.