Ce texte a été présenté à la journée de clôture des Assises pour l’égalité le 29 mars 2003. Il a ensuite été publié dans le n° hors série de Politique « Égalité: des idées pour avancer. Propositions et revendications des Assises pour l’égalité » en avril 2003. Il est l’oeuvre de Thierry Poucet, journaliste de santé publique, rédacteur en chef de Renouer (Mutualités socialistes) *Pour une question d’espace, le texte n’a pas pu être reproduit ici dans son intégralité.

1. Genèse et démarche du chantier itinérant « Santé » Profitant de l’impulsion donnée par les Assises pour l’galité un petit groupe autonome d’une vingtaine de professionnels de disciplines, d’implantations géographiques et d’horizons institutionnels variés a été constitué, de façon très empirique A l’instigation de deux personnes : Thierry Poucet, journaliste de santé publique attaché à l’Union nationale des mutualités socialistes, et Michel Dupuis, philosophe et linguiste, professeur à l’Ulg et à l’UCL (où il est également responsable de l’Unité d’éthique biomédicale de la Faculté de médecine) , en vue d’imaginer une méthode d’approche ouverte et dynamique de la question des inégalités – et de leurs effets délétères – dans l’univers des soins et de la santé en Belgique. Pratiquement, ce groupe s’est réuni à deux reprises, en juin et en octobre 2001, pour ébaucher le programme et les modalités d’animation d’un « chantier Santé itinérant » cadrant avec l’objectif central des Assises : « remettre la question de l’égalité au centre du jugement sur les politiques publiques ». Ce programme a été construit au départ d’une série de lignes de conduite, sur le plan de la méthode, et autour de quatre thèmes complémentaires, supposés faire le tour des principales questions aujourd’hui pertinentes en matière d’inégalités de santé. Les thèmes sont décrits brièvement au point 8 (annexes). Ils ont également fait l’objet d’un balisage préalable plus approfondi, comportant une douzaine de pages au total et consultable sur le site www.assises-egalite.be. Sur le plan du fonctionnement et de la stratégie de discussion, les principes suivants furent privilégiés : a) la diversité des interlocuteurs : il s’agissait à la fois d’aller vers les gens (d’où le choix d’un chantier itinérant se déplaçant en différents lieux de la Communauté Wallonie-Bruxelles) et de tenter d’articuler les perceptions des usagers, des professionnels de santé et des acteurs politiques et sociaux sur les problèmes les plus aigus (ou les plus courants), ainsi que sur les manières les plus appropriées d’y faire face ; b) la priorité à l’écoute : nous avons opté pour un strict minimum d’exposés au sens classique (tout au plus une bonne demi-heure consacrée à « planter le décor » avec l’aide de l’un ou l’autre observateur privilégié, de manière à préciser de quoi nous parlerons et ne parlerons pas; de manière aussi à amorcer les échanges par quelques questions et constats généraux); en revanche, la plus large place était réservée aux interactions entre les participants, qu’il s’agisse d’experts ou de citoyens ordinaires ayant des expériences et des observations utiles à faire valoir ; c) la pondération des regards : un équilibre était à rechercher autant que possible, au cours des échanges, entre la mise en évidence de situations déplorables et le repérage d’expériences constructives – d’initiative publique ou privée – visant à rompre avec les mécanismes producteurs de discrimination, avec le fatalisme envers les inégalités ou encore avec l’inefficacité relative de certains remèdes ; d) la nécessaire maturation des optiques : en contrepoint de la volonté prioritaire d’écoute, dont le risque potentiel était l’éparpillement des préoccupations, il nous a paru important de tenter une relecture méthodique des débats. C’est pourquoi chaque matinée plénière de discussion et de témoignages était prolongée d’une réunion plus restreinte du « comité de suivi » Sans formalisme de type représentatif (chacun s’y exprimait d’abord en son nom propre), ce comité a réuni les personnes déjà impliquées dans la conception du cycle de forums, à savoir, outre les deux initiateurs précédemment cités : Luc Berghmans, Charles Burquel, Natacha Carrion Osorio, Albert Carton, André Cocle, Christian Elsen (occasionnellement remplac? par d’autres membres de la Société scientifique des pharmaciens francophones), Anne Herscovici, Geneviève Houioux, Perrine Humblet, Paul Jacques, Norbert Jates, Guy Kervyn, Liliane Leroy, Pierre-Yves Loiseau, Micheline Roelandt, Mark Vanderveken et Christian Van Rompaey. Jérémie Detober, coordinateur général des chantiers régionaux des « Assises », était un invité permanent. Tous ont contribué d’une manière ou d’une autre à l’enrichissement de la réflexion collective, sans partager nécessairement l’ensemble des points de vue colligés dans le présent rapport, lequel reflète toute la gamme des propos tenus par les participants aux différents échanges. .., où l’on s’efforçait d’analyser les propos entendus et d’en tirer les principaux enseignements : points forts, équivoques, lacunes à combler en matière d’information, perspectives d’action ou revendications d’intérêt général à dégager… 2. Les limites d’un tel exercice Les séances tenaient plus du séminaire (entre 25 et 40 participants par forum environ) que de la grande assemblée. Généralement très animés, sans temps morts ni interventions foncièrement hors de propos, les débats étaient à la fois caractérisés par la profusion et la segmentation des points de vue. Il en ressortait davantage une sorte de patchwork d’expériences vécues et de fragments de réflexions personnelles que de véritables repères articulables permettant, d’une part, de bâtir ensemble une analyse charpentée des phénomènes de production des inégalités en matière de santé et, d’autre part, d’ébaucher des axes de résistance à ces phénomènes. Ceci doit nous rendre, a priori, assez humbles quant à la capacité de tirer de ce cycle de forums une synthèse à la fois fidèle, structurée et entraînante. 3. Quelques atouts et mérites de l’expérience Nonobstant ce qui vient d’être dit, il convient aussi de ne pas négliger les traits les plus remarquables de l’aventure : 1° ce fut un véritable exercice de participation citoyenne : à l’inverse de bien des assemblées plus volumineuses et plus tambourinantes, où la plupart des présents font office de figurants, chacun ici était en quelque sorte à la tribune et a eu amplement l’occasion de faire état de ses préoccupations ou de réagir aux interventions des autres participants ; 2° ce fut un véritable exercice d’écoute mutuelle : l’intensité d’attention prêtée par chacun aux propos de chacun était de bout en bout impressionnante. Si les angles de vue étaient souvent particuliers et juxtaposés sans ordre créateur très manifeste, comme on l’a relevé ci-dessus, on ne se situait nullement ici dans un scénario monomaniaque, égocentré, d’intérêt foncier pour ses seules préoccupations propres. A l’individualisation des perspectives et à l’hétérogénéité initiale des expériences, s’ajoutait visiblement une quête puissante de compréhension plus intime des constats et des réflexions émanant des autres ; 3° ce fut enfin un bel exercice d’horizontalité et de partage non protocolaire des savoirs : alors que si souvent les échanges s’effectuent dans la vie sociale et intellectuelle entre ceux qui sont supposés détenir des clés (celles de la connaissance, de la compétence, de l’efficacité, de la responsabilité à l’égard du collectif…) et ceux qui sont supposés en manquer, tous étaient placés ici sur un pied… d’égalité. Elémentaire, en la circonstance, dira-t-on ! Pas si banal que cela, néanmoins. Du professeur d’université à l’animateur local de la Croix-Rouge, du représentant d’une association de malade au dirigeant régional d’une mutualité, du syndicaliste au médecin généraliste ou spécialiste, du président de CPAS au parlementaire en passant par le travailleur social de quartier, chacun semblait assez naturellement conscient qu’il était là non pour guider ou apostropher les autres, mais pour exposer et mettre en circulation son regard propre sur les réalités. 4. Principaux témoignages et constats exprimés lors des échanges 4.1. En matière d’accès aux (bons) soins : Sans minimiser en aucune façon les innombrables secours utiles, conseils avisés et autres formes de réconfort ou de sécurité apportés quotidiennement à la population souffrante par les professionnels de la santé, par les dispositifs institués de protection sociale et par les acteurs de la micro-solidarité formelle ou informelle, les phénomènes suivants inspirent aujourd’hui l’inquiétude, en raison de leur impact potentiel sur le maintien, voire sur la relance des inégalités :  le renforcement de la part des frais non couverte par la solidarité commune. « Les mailles du filet sont plus lâches », souligne un dirigeant mutualiste : « si le patient devait mettre 100 francs de sa poche en 1998, il en mettait en moyenne 119 en 2001… » ;  l’expansion impressionnante des dépenses publiques consacrées aux soins de santé (quelqu’un parle de doublement, à franc constant, entre 1973 et 2003), sans que la population ait une impression très nette de croissance équivalente sur le plan de la qualité, de l’accessibilité ou de l’étendue du service rendu ;  les mesures de plus en plus restrictives et tatillonnes en matière de remboursement des médicaments depuis quelques années ;  l’inégalité d’accès aux savoirs valides concernant les produits de santé. « La bonne information ne parvient qu’avec peine aux intéressés (tant patients que professionnels); en revanche, la mauvaise est omniprésente », fait observer un pharmacien. Ceci vaut aussi bien pour la controverse sur la fiabilité des médicaments génériques que pour tout ce qui concerne l’usage mesuré et approprié des molécules pharmaceutiques en général ;  le coût prohibitif des conditions décentes d’hébergement en maison de repos ;  le déficit de structures de convalescence (en particulier pour les budgets modestes) ;  les obstacles cumulés – financiers, psychologiques ou autres – au recours diligent à la dentisterie courante, entraînant de nombreux délabrements dentaires (aux retombées sociales non négligeables) et entretenant des réservoirs infectieux qui devraient être éradiqués dans une optique non seulement de prophylaxie individuelle, mais aussi de santé publique générale ;  la fréquence de la solitude forcée (enfermement dans son problème, coupure des liens sociaux, insertion professionnelle compromise…) qui frappe les personnes lourdement malades ;  la variabilité parfois énigmatique des pratiques selon les services, les établissements de soins ou les caractéristiques sociales des consultants (exemples : taux de césariennes très fluctuants dans les unités d’obstétrique Etude des mutualités socialistes (avril 2000) consultable sur le site www.mutsoc.be , fréquence des hystérectomies sensiblement supérieure « lorsque la patiente fait partie des catégories moins favorisées en termes de revenus, de niveau de scolarité ou de classe sociale » Etude des mutualités chrétiennes (octobre 1999) consultable sur le site www.mc.be , durées moyennes de séjour très contrastées pour un même type d’intervention, importance plus ou moins grande des suppléments facturés au patient, etc.) ;  la complexité colossale des réglementations, leur renouvellement incessant, leur tendance à la pléthore et à l’enchevêtrement plutôt qu’à l’élagage fonctionnel, leur application parfois précipitée (dictée par des agendas politiques virevoltants, sans tenir compte des capacités d’adaptation des exécutants et des facultés d’assimilation des ayants droit)… ou parfois tout aussi arbitrairement différée (des réformes annoncées quelquefois à grand fracas restant alors au stade de pures virtualités ou de modèles réduits, faute d’arrêtés d’exécution ou de moyens conséquents dégagés pour en assurer la mise en circuit et la vitalité). Les mesures à finalité sociale tout particulièrement conduiraient trop souvent les usagers – en particulier les plus nécessiteux d’entre eux – à s’embourber dans le maquis de normes peu lisibles, peu souples et/ou peu stables. Une inégale aptitude à affronter et à maîtriser les règles du jeu tend ainsi à se développer au détriment de ceux pour qui ces règles sont a priori les plus essentielles ;  la dispersion des compétences institutionnelles touchant à la santé, phénomène qui atteint en Belgique les limites extrêmes que l’on sait, favorise quant à elle les incohérences politiques, les querelles de compétence autant que les perceptions floues ou « stroboscopiques » Créant des images fantomatiques par l’alternance saccadée de flux de lumière et d’obscurité des axes de responsabilité par les acteurs et les bénéficiaires concernés. Comme pour le point précédent, beaucoup ne cessent de s’en plaindre sur le terrain, sans être apparemment parvenus jusqu’ici à émouvoir vraiment les gérants et les organisateurs successifs du système ;  l’affectation préférentielle de travailleurs sociaux (hospitaliers, par exemple) à des tâches de règlement des contentieux financiers plutôt qu’à des missions d’accompagnement des personnes et des ménages vulnérables, afin de leur éviter autant que possible l’épreuve supplémentaire des mises en demeure, pertes de droits, pénalités, humiliations et autres avatars sociaux. Dans le même ordre d’idées, on évoque des situations où la personne égarée ou « fautive » sur le plan administratif (concernant les divers documents à transmettre aux mutualités, notamment) n’est pas assez promptement ni systématiquement avertie de ce qui « coince » et des risques qui peuvent en résulter pour elle. Plus d’attention pro-active aux difficultés réelles du commun des mortels en matière de « gestion de dossier » est ici souhaitée ;  une organisation passablement anarchique des urgences, où se côtoient les situations les plus extrêmes : d’un côté, un encombrement endémique par des cas médicalement anodins, qui démotivent profondément les professionnels chevronnés; de l’autre, une prise en charge de vrais cas sévères et complexes par de jeunes recrues, volontiers commises à ces postes inconfortables alors qu’elles sont parfois insuffisamment expérimentées que pour pouvoir faire face aux vraies difficultés avec tout le discernement voulu ;  la forte précarisation de certaines catégories d’indépendants en cas de problème de santé sérieux (voir aussi, à ce propos, les observations relatives aux jeunes femmes médecins dans la section 4.4.);  la fragilité constitutionnelle des familles monoparentales (à dominante féminine écrasante), tant en matière de revenus de base que de services de proximité permettant de surmonter un épisode de maladie infantile ou parentale ;  le caractère assez aléatoire des soutiens que l’on peut obtenir auprès des CPAS (grande variabilité de la gamme des aides prévues selon les communes; individualisation des droits et réponse fluctuant assez souvent selon « la manière dont on se présente »…). Si cette variabilité s’illustre à l’occasion par des expériences volontaristes d’allure très positive (on évoque par exemple, en région liégeoise, le travail d’un centre local préventif spécialisé dans l’accompagnement des publics défavorisés, qui en 10 ans d’efforts aurait engrangé de sensibles résultats en matière d’adhésion à des bilans de santé et de fidélisation auprès de médecins généralistes), elle est aussi marquée par des politiques locales minimalistes et reste donc foncièrement une loterie ;  l’interdiction faite à certains prestataires de disposer d’un lecteur de cartes SIS (la carte d’identité sociale, quasi exclusivement utilisée dans les officines pharmaceutiques, les établissements de soins et les guichets mutualistes), ce qui entrave le recours possible au tiers payant, favorable pourtant aux catégories de personnes nécessitant des soins mais que l’obligation d’avancer les frais pousse parfois au report ou au renoncement ;  le développement, sous couvert de « responsabilisation » ou de renforcement de l’« autonomie » des gens – toutes notions a priori imprégnées de valeurs respectables – d’une tendance plutôt suspecte à la « méritocratie sanitaire ». En témoignent aussi bien le concept classique de « ticket modérateur » (qui en fait, souligne-t-on, n’a jamais modéré grand-chose) que certaines campagnes plus récentes culpabilisant subrepticement les usagers en matière d’antibiotiques, ou encore le déclassement de produits pharmaceutiques vers des catégories dites « de confort » (autorisant un moindre remboursement, y compris pour des choses aussi peu anodines que l’asthme). De manière plus large, interrogent certains, ce penchant n’est-il pas curieusement en phase avec l’importance réservée aujourd’hui aux réductions d’impôt plutôt qu’au financement accru de la protection sociale ? Faut-il s’accommoder, au nom de l’autonomie, d’un transfert de la solidarité instituée vers cette « libre » disposition d’un pouvoir d’achat majoré ? Ce glissement vise-t-il vraiment à rendre les consommateurs potentiels de soins plus aptes à déterminer de façon personnelle et responsable leurs objets, leurs circuits et leurs agendas de consommation médicale ? N’aura-t-il plutôt pour effet de les rendre plus captifs d’une offre segmentée, stéréotypée et séductrice : offre plus ou moins opportuniste de biens, de services, d’assurances de santé qui, en fait, ne visent pas en priorité l’ajustement maximal aux besoins de chacun mais le développement de produits sélectionnés par les états-majors du secteur marchand comme « les plus attractifs pour les plus solvables » (renversement complet de la logique idéale d’une assurance maladie articulée à une perspective de santé publique, qui veut que chacun « contribue selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins ») ? 4.2. En matière de discriminations plus ciblées ou plus spécifiques :  plusieurs porte-parole d’associations de malades ou d’aide aux malades (diabète, hépatite C, sclérose en plaques, cancers, fibromyalgie, naevi…) ont témoigné de certaines évolutions encourageantes, de la part des autorités sanitaires et sociales, en matière de prise en compte des problèmes médicaux et financiers les plus criants. Toutefois subsistent des inerties, des carences, ainsi que de nombreuses formes d’exclusion ou de discrimination au sein de la société pour motif de santé physique, mentale ou de handicap (en matière d’assurance vie, d’accès à l’emploi, de prêts hypothécaires, etc.). Même dans un service public comme la SNCB, nous dit-on, une personne diabétique correctement suivie sur le plan médical et candidate à un poste pourtant non réputé « à risque » aura bien moins de chances qu’une autre d’être embauchée. On notera qu’une loi adoptée au Sénat le 12 décembre 2002 vise précisément à donner des armes législatives aux victimes de discriminations liées au sexe, à l’orientation sexuelle, à la prétendue race, à la couleur, à l’ascendance, à l’origine sociale ou ethnique, à l’état civil, à la naissance, à l’âge, à la conviction philosophique ou religieuse, ainsi qu’au caractère physique ou à l’état de santé actuel ou futur ;  la situation sanitaire dans les prisons a donné lieu à plusieurs points de vue. Pour les uns, le tableau est avant tout déplorable en Belgique, compte tenu de notre niveau de développement matériel et de nos prétentions standard en matière de respect des droits humains. Ce ne serait donc pas un hasard si nous sommes montrés périodiquement du doigt dans des rapports internationaux. Outre le déficit d’hygiène élémentaire dans certains établissements (ou sections d’établissement) et le caractère en partie pathogène en soi de l’incarcération (surtout en contexte de surpopulation), la médecine dispensée aux détenus serait trop souvent bâclée, tant dans ses missions curatives que de dépistage et de prévention. Ce jugement se renforce d’un constat relatif au manque de compétence et de formation sanitaires des personnels de gardiennage, le plus souvent livrés à eux-mêmes – et à leur propension à voir d’abord dans le détenu un simulateur invétéré – durant les nuits et les week-ends. Tout ceci serait à la base d’un certain nombre de drames évitables (secours minimalistes, inappropriés ou tardifs se soldant par des accidents, gestion sauvage et discrétionnaire des délivrances « chimiques », etc.). Pour d’autres observateurs non moins avertis, le souci personnel de bien faire des travailleurs de prison (soignants aussi bien que surveillants) serait bien plus majoritaire qu’on ne l’imagine, mais l’impulsion et l’organisation d’ensemble ne seraient pas toujours à la hauteur des enjeux. Pour d’autres encore, l’élément négatif prédominant serait le rejet viscéral d’une structure de soins assimilée d’office, par la plupart des détenus, au cadre pénitentiaire et donc suspecte à leurs yeux de collaborer par nature à leur « oppression » (assimilation d’autant plus logique que la médecine pénitentiaire est sous tutelle du ministère de la Justice et ne dépend aucunement de la Santé publique). Une voie d’amélioration serait, dans cette hypothèse, de maintenir les droits à l’assurance maladie ordinaire pour les détenus, avec faculté de recourir à des prestataires extérieurs de confiance. Ceux-ci ne seraient peut-être, en moyenne, ni plus ni moins disponibles, attentifs ou compétents que les médecins attitrés de la prison, mais le climat de prise en charge pourrait gagner en crédibilité, en satisfaction subjective et, par conséquent, en efficacité globale (sentiment accru d’autonomie et de responsabilité, meilleure observance des traitements ou des précautions sanitaires dans le chef du détenu, par exemple…) ;  Le sort des demandeurs d’asile a été évoqué plus rapidement, pour souligner que bien souvent les difficultés sont de nature très prosaïque, notamment dans les centres ouverts où un effort d’accueil réel est entrepris : cohabitations parfois tendues entre ethnies extrêmement variées et coupées de leurs repères familiers, malentendus fonciers sur la rapidité avec laquelle les autorités vont répondre aux demandes formulées, etc. L’absence de politique et de stratégie d’accueil claires et cohérentes accentue manifestement ces difficultés basiques. 4.3. En mati?re de pr?vention, de promotion de la sant?, d’acc?s ? des environnements protecteurs :  la science épidémiologique, qui est encore une science jeune à l’échelle historique et qui ne marque donc pas autant les mentalités des professionnels de santé, des décideurs et des citoyens-consommateurs que les sciences bio-médicales avec leur cortège de pressions industrielles et d’innovations technologiques, met néanmoins clairement en évidence une série de faits incontestables : 1° la médecine curative n’occupe qu’une place parmi d’autres dans les facteurs fondamentaux d’amélioration de la santé publique (ainsi, le recul séculaire de la tuberculose dans les pays occidentaux doit beaucoup plus aux progrès de l’hygiène du milieu, au sens large, qu’à la découverte des premiers médicaments efficaces vers le milieu du XXe siècle); 2° le poids des facteurs sociaux sur la distribution inégalitaire des atouts de santé parmi les groupes qui constituent la population se fait sentir de manière extrêmement précoce dans le cours de l’existence (ainsi, par exemple, on observe déjà chez les jeunes enfants des catégories socio-professionnelles les plus modestes des situations d’obésité sensiblement plus répandues, avec tous les facteurs de risque au long cours qui y sont corrélés. Pourtant, s’agissant de jeunes enfants, ces penchants ne peuvent par définition s’expliquer par une longue période de vie entachée des comportements individuels « néfastes » généralement montrés du doigt); 3° la distribution des inégalités de santé, tant en matière d’atouts protecteurs que de capacité de recours adéquat aux soins, ne se limite pas à un clivage bipolaire du type « exclus / favorisés » ou « menacés / protégés » mais parcourt l’ensemble de la population sous la forme d’un escalier, où chaque marche comporte un nombre plus important de « bonnes cartes » susceptibles d’assurer statistiquement une longévité croissante, une détérioration fonctionnelle plus tardive et une qualité de vie supérieure Voir à ce sujet l’entretien de Jérémie Detober avec Perrine Humblet et Thierry Poucet, publié sous le titre « La santé vue d’en bas » dans Politique n° 26, octobre 2002, pp. 56-57 ;  par rapport aux politiques et stratégies volontaristes de réduction des inégalités à préconiser dans nos pays, ces trois grands constats appellent respectivement trois mises en garde : 1° le souci d’améliorer l’accès au système de soins de santé pour les catégories les moins favorisées ne doit pas masquer tous les efforts prioritaires à entreprendre parallèlement, pour ces mêmes publics, en matière d’hygiène du milieu, de commodités sociales et de ressources culturelles (habitat, environnement, mobilité, travail communautaire, accès aux études qualifiantes, au travail, aux loisirs créatifs et conviviaux, à des services de proximité suffisamment développés et adaptés, etc.); 2° inversement, compte tenu des risques plus élevés de dégradation précoce de l’état de santé dans certains milieux et de leur moindre propension à se projeter dans l’avenir et à adhérer aux standards préventifs des classes plus aisées, il convient de stimuler à tout prix la qualité d’accès aux soins et de prise en charge compréhensive pour ces catégories (ce qui suppose aussi des soutiens et des formations ad hoc à destination des professionnels). Ceci montre bien, au passage, que le développement indispensable d’une vision plus globale des déterminants de santé (qualifiée par certains de « modèle socio-écologique ») n’invalide en rien l’utilité spécifique de l’approche thérapeutique classique («modèle bio-médical»). Les modèles ne sont pas substituables l’un à l’autre, en termes d’ancien et de nouveau, mais la société civique et politique doit apprendre à les concilier judicieusement, à les pondérer au service du bien-être commun et du développement durable, en évitant le double écueil de l’hégémonie excessive de l’un d’entre eux ou de l’indifférence mutuelle; 3° enfin, quelle que puisse être l’utilité temporaire de mesures de discriminations positives, il convient de penser la condition sanitaire des plus démunis non pas comme une spécificité plus ou moins exotisée mais comme le révélateur extrême de ce qui est susceptible de toucher et d’affecter, dans des proportions et selon des rythmes d’évolution variables, les groupes de population se situant sur les diverses marches de l’escalier monumental des inégalités de santé. Le moteur premier de la solidarité entre les groupes sociaux moins exposés ou plus exposés aux grosses difficultés d’accès à la santé et aux soins requis devrait ainsi être le « défi partagé » – scénario où le sort des uns est surtout vu comme un agrandissement déchiffrable et un prédicteur possible du sort futur des autres – plutôt que le « défi séparé » – scénario où ne joue que la compassion des gagnants pour les perdants ou la convoitise désespérée de ces derniers envers les premiers) ;  au cours des échanges, il a également été souligné avec une pointe d’amertume à quel point, les acteurs et les organismes « promoteurs de santé » en étaient souvent réduits, paradoxalement, à jouer dans la société d’aujourd’hui les éternels réparateurs de messages pervers abondamment répandus et induits par les stimuli de consommation. L’archétype de cette course-poursuite désespérante entre le David de la santé positive et le Goliath des impulsions marchandes était parfaitement résumé par un participant au forum de Wavre : « On voit actuellement sur les bords de nos routes, à l’approche des fêtes de fin d’année, des campagnes de sensibilisation à la sécurité routière qui nous mettent en garde contre le fait que l’airbag ou l’ABS ne sont pas des remèdes souverains contre les catastrophes auxquelles peut conduire l’excès de vitesse. Ce type de discours ne s’impose que parce que l’on nous a préalablement bercés de fantasmes, à grand renfort de propagande accrocheuse, sur la sécurité magistrale que constitueraient les nouvelles techniques de sécurisation passive des voitures. Or, ces messages rassurants, remixés avec le vieux culte publicitaire du véhicule puissant et rapide, ont aussi entraîné une partie du public, consciemment ou inconsciemment, à moins se défier de la vitesse sous prétexte qu’on peut s’imaginer désormais au volant d’engins infiniment plus maîtrisables. Résultat des courses, c’est le cas de le dire, on mobilise à présent l’énergie et les ressources d’organismes subventionnés pour tenter de corriger quelque peu les représentations erronées qui ont inondé le milieu ambiant. Les forces organisées axées sur le bien commun, déjà si faibles au regard des moyens investis dans la propagande frivole et lucrative, sont en plus distraites de leurs marges de liberté créatrice et quasi contraintes à s’aligner sur les thématiques dictées par les communicateurs inconscients ou cyniques! Dans ces conditions, c’est peu de dire que les institutions et associations à visée préventive et humanitaire sont trop souvent condamnées de fait au statut de produits dérivés d’un système qui les dédaigne, comme il dédaigne du reste la véritable aspiration à la qualité de vie de nos concitoyens ». 4.4. En matière d’injustices ou de privilèges au sein des professions et secteurs de santé : Le dernier forum du cycle, tenu Charleroi, abordait la question des inégalités par un tout autre bout : il s’agissait de partir des discriminations ressenties parmi les travailleurs de la santé eux-mêmes, pour cerner d’une certaine façon la « souffrance professionnelle » des soignants et examiner en quoi celle-ci pouvait retentir sur la qualité, l’équité, l’humanité ou encore le coût du service rendu à la population. Ce débat fut sans doute, de tous, un des plus méthodiques dans l’analyse spontanée du thème proposé. Au fil de la discussion, une bonne douzaine de lignes de fracture douloureuses furent épinglés par les participants :  le clivage entre secteurs « marchand » et « non marchand », deux logiques qui cohabitent en partie depuis pas mal de temps dans l’univers de la santé mais aussi qui – à travers les exigences croissantes de la rentabilité (pour les institutions de soins, par exemple) ou à travers les formes diverses de sponsoring (y compris dans le domaine de la formation, de la recherche fondamentale ou appliquée, de l’information médicale…) – tendent à brouiller les repères et à contraindre les professionnels jusque dans l’organisation et l’orientation de leurs missions ;  le clivage entre salariés et indépendants (alors que la profession médicale se féminise de plus en plus, en particulier en médecine générale, les difficultés spécifiques des jeunes femmes généralistes sont énormes, par exemple, en cas de grossesse : pas de mesure possible d’écartement prophylactique avec maintien d’un revenu comme chez les salariés, alors qu’elles fréquentent de nombreuses personnes contagieuses, etc.) ;  la fracture entre le système hospitalo-centré, qui a capté pendant des années l’essentiel des ressources, et le secteur ambulatoire. « Le ras-le-bol actuel, parfois un peu hirsute, des généralistes », soulignent certains d’entre eux, « n’est somme toute que le fruit amer de trente ans d’attention politique concentrée de façon prépondérante sur la structuration, le développement et les attentes des deuxième et troisième échelons de soins » ;  à l’intérieur même de l’hôpital, les inégalités fortes entre services « pauvres » (ex. : la gériatrie) et services « richement dotés » (ex.. : la réanimation) ;  de manière plus générale encore, au niveau des personnels, « on vit dans le secteur comme on vit ailleurs dans la société : en imposant sa loi aux moins puissants », souligne un permanent syndical. « Tous sont jaloux d’une définition stricte de leurs actes réservés, mais la plupart sont toujours prêts à les déléguer illégalement à des subalternes pour des raisons de surcharge ou de confort horaire personnel. On observe ce phénomène à tous les échelons de la pyramide des grades ou des diplômes : de la part des spécialistes envers les généralistes, des médecins envers les infirmières, de ces dernières envers les aides-soignantes… » ;  l’inégalité de reconnaissance à sa juste valeur de l’acte intellectuel (en particulier pour les plaintes de nature plus sociale que somatique) par rapport à l’acte technique et prescripteur ;  l’injustice particulière – tant en matière de reconnaissance sociale que de formation spécifique ou de soulagement administratif… – qui frappe en général l’ensemble des médecins et paramédicaux qui, par choix ou par nécessité, acceptent de venir en aide aux plus démunis. « A pauvres patients, pauvres soignants », déclare une observatrice aguerrie du champ social ;  citons encore, pêle-mêle : les inégalités entre ceux qui ont des statuts clairs dans les établissements de soins et ceux que l’on entraîne progressivement dans des statuts hybrides ou flous (ex. : les kinésithérapeutes hospitaliers, anciennement salariés, que les gestionnaires poussent de plus en plus à fonctionner via des pools d’honoraires, etc.); l’inégalité d’accès aux médias pour la parole professionnelle, selon que l’on fait dans le slogan démagogique ou la position nuancée sur les dossiers brûlants; l’inégalité hommes / femmes dans la répartition des rôles intra-professionnels et des postes de responsabilité (non spécifique au monde médical, ce phénomène y est toutefois particulièrement marqué) ; le clivage entre prestataires conventionnés et non conventionnés en matière d’assurance maladie (certains participants trouvent particulièrement indécent qu’en Belgique, à l’inverse semble-t-il de nombreux autres systèmes nationaux d’assurance maladie, on ne rembourse pas à des tarifs plus avantageux les patients qui fréquentent les premiers cités) ; l’inégalité de « force de frappe » entre l’information professionnelle d’émanation commerciale, omniprésente, et l’information strictement scientifique… Parmi les diverses propositions et pistes de réforme à plus ou moins long terme évoquées au gré des débats, toutes n’ont certes pas la même portée ni les mêmes implications. Entre l’exhortation à se doter enfin d’une politique de santé ambitieuse et la demande d’autoriser certains prestataires de soins à pouvoir utiliser des lecteurs de cartes SIS pour fonctionner de façon pratique selon le régime du tiers payant, il n’y a pas de contradiction mais il y a bien entendu des niveaux de complexité peu comparables. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici les souhaits les plus généraux exprimés lors des débats Ils devraient être assortis, dans une version ultérieure et enrichie de ce rapport, de propositions plus directement opérationnelles à court ou moyen termes :  la société devrait en tout cas commencer par s’interroger dans son ensemble sur les besoins de santé qu’elle veut absolument voir correctement pris en charge. Tout progrès ou développement supplémentaire devrait ensuite être examiné à l’aune de l’égalité : il ne s’agit pas d’en faire une loterie pour les plus chanceux ou pour les plus nantis, mais de soutenir socialement, par principe, ce qui peut être offert à toutes les personnes véritablement concernées (selon des critères médicaux objectifs). C’est dire que la question du prix à mettre pour rencontrer les besoins identifiés comme importants ne peut être éludée ;  des voix s’élèvent parallèlement pour se défier des représentations que l’on peut avoir en haut lieu des souhaits ou des besoins prioritaires de la population. Nos dirigeants ou nos élites, volontiers impressionnés par l’innovation haut de gamme qui fascine la crête de la société et les professionnels de santé eux-mêmes, peuvent s’imaginer que l’objectif de tout consommateur normalement constitué est de ne pas louper la moindre de ces nouveautés. Un participant exprime à cet égard le plus grand scepticisme. Le commun des mortels est plus réaliste qu’on ne le croit en matière d’exigences de base, pour peu qu’on lui garantisse que ces exigences seront bien rencontrées. Et de faire l’analogie avec le train : « la plupart des gens ne rêvent pas de voyager en première classe; ce qui les intéresse surtout c’est d’être dans le train, d’arriver à destination et de ne pas rester éternellement à quai » ;  on se dirige alors assez naturellement vers la question de la politique de santé. Celle-ci gagnerait à être organisée autour d’objectifs prioritaires démocratiquement sélectionnés, puis mobilisant sur le mode coopératif l’ensemble du système de santé, avec évaluation périodique des résultats engrangés et des difficultés qui restent à surmonter. Tout ceci n’excluant pas, bien sûr, la prise en compte parallèle des risques ou des souffrances qui ne cadrent pas directement avec les priorités fixées ;  pour appuyer cette politique sans engendrer d’inégalités, le maintien, voire le renforcement d’un système de financement solidaire paraît primordial. 5. Ce qui a frappé les observateurs Au gré des forums, quelques observations récurrentes ont pu être faites par tel ou tel membre du comité de suivi. Nous en retenons ici deux éléments saillants :  l’évanescence des cadres d’analyse politique fine : la plupart des gens, professionnels de terrain ou représentants des patients, voient et jugent l’ensemble du système à travers leurs expériences et leurs représentations, directes ou indirectes. Peu de capacité à resituer ces impressions et ces fragments de vécu dans une grille de lecture cohérente et perspicace ne s’exprime de prime abord. « On est tous des spécialistes de situations pointues et des vagues du global », conclut un participant ;  la qualité parfois très relative des informations factuelles dont font état les participants (par exemple sur le contenu des lois et réglementations en vigueur). Ceci renvoie incontestablement à la complexité extrême de notre législation sociale, mais aussi – sans doute – au fait que les gens ont pu être confrontés à des opérateurs ou à des administrations qui interprétaient ou présentaient elles-mêmes ces normes à leur façon. 6. Recommandations Parmi les diverses propositions et pistes de réforme à plus ou moins long terme évoquées au gré des débats, toutes n’ont certes pas la même portée ni les mêmes implications. Entre l’exhortation à se doter enfin d’une politique de santé ambitieuse et la demande d’autoriser certains prestataires de soins à pouvoir utiliser des lecteurs de cartes SIS pour fonctionner de façon pratique selon le régime du tiers payant, il n’y a pas de contradiction mais il y a bien entendu des niveaux de complexité peu comparables. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici les souhaits les plus généraux exprimés lors des débats Ils devraient être assortis, dans une version ultérieure et enrichie de ce rapport, de propositions plus directement opérationnelles à court ou moyen termes :  la société devrait en tout cas commencer par s’interroger dans son ensemble sur les besoins de santé qu’elle veut absolument voir correctement pris en charge. Tout progrès ou développement supplémentaire devrait ensuite être examiné à l’aune de l’égalité : il ne s’agit pas d’en faire une loterie pour les plus chanceux ou pour les plus nantis, mais de soutenir socialement, par principe, ce qui peut être offert à toutes les personnes véritablement concernées (selon des critères médicaux objectifs). C’est dire que la question du prix à mettre pour rencontrer les besoins identifiés comme importants ne peut être éludée ;  des voix s’élèvent parallèlement pour se défier des représentations que l’on peut avoir en haut lieu des souhaits ou des besoins prioritaires de la population. Nos dirigeants ou nos élites, volontiers impressionnés par l’innovation haut de gamme qui fascine la crête de la société et les professionnels de santé eux-mêmes, peuvent s’imaginer que l’objectif de tout consommateur normalement constitué est de ne pas louper la moindre de ces nouveautés. Un participant exprime à cet égard le plus grand scepticisme. Le commun des mortels est plus réaliste qu’on ne le croit en matière d’exigences de base, pour peu qu’on lui garantisse que ces exigences seront bien rencontrées. Et de faire l’analogie avec le train : « la plupart des gens ne rêvent pas de voyager en première classe; ce qui les intéresse surtout c’est d’être dans le train, d’arriver à destination et de ne pas rester éternellement à quai » ;  on se dirige alors assez naturellement vers la question de la politique de santé. Celle-ci gagnerait à être organisée autour d’objectifs prioritaires démocratiquement sélectionnés, puis mobilisant sur le mode coopératif l’ensemble du système de santé, avec évaluation périodique des résultats engrangés et des difficultés qui restent à surmonter. Tout ceci n’excluant pas, bien sûr, la prise en compte parallèle des risques ou des souffrances qui ne cadrent pas directement avec les priorités fixées ;  pour appuyer cette politique sans engendrer d’inégalités, le maintien, voire le renforcement d’un système de financement solidaire paraît primordial. 7. Remerciements Organiser un chantier itinérant, quasi sans budget, ne se fait pas sans un important soutien en matière d’information pratique et de logistique, de la part d’un large réseau de personnes et d’institutions solidaires. Chacun de nos forums a été préparé par des équipes locales à géométrie variable (le plus souvent composées de représentants des deux grands syndicats et des deux principales mutualités, parfois rejoints par des militants du MOC, d’Ecolo, des Femmes prévoyantes socialistes ou de coordinations locales…). C’est ainsi qu’ont pu être mises – le plus souvent gracieusement – à notre disposition des salles accueillantes, qu’ont pu être couverts les frais de diffusion d’affiches et que les participants aux divers forums ont pu bénéficier de collations. Que toutes et tous soient remercié(e)s de ces aides précieuses. Sans oublier les quelques orateurs extérieurs invités (entre autres l’avocat Jean-Marie Dermagne et le professeur Michel Mercier des Facultés universitaires de Namur) et les membres du comité de suivi, qui ont beaucoup investi de leur temps et de leurs compétences pour donner à cette opération un contenu et une convivialité appréciés des participants. 8. Annexes Voici les textes qui ont servi respectivement d’accroche, par voie d’affiches ou de courriels, pour chacun des quatre forums constitutifs du chantier Santé itinérant : Liège, 30 novembre 2002 : L’organisation du système de soins concourt-elle à la réduction des inégalités ? Quelles sont aujourd’hui, dans notre pays, les principales formes d’inégalité d’accès aux soins (en fréquence, en gravité…) ? Quels sont les secteurs de la population et les catégories de besoins où l’on déplore le plus de discriminations ? Est-on en train de régresser par rapport au passé ou est-on « seulement » en panne de progression sociale plus sensible ? Peut-on imaginer des ripostes efficaces ? Quelles mesures, quelles expériences, quelles initiatives (au sein des services de santé, sur le plan politique…) méritent d’être saluées en matière de réduction des inégalités d’accès aux (bons) soins ? Quels aspects négatifs mériteraient au contraire d’être corrigés, voire dénoncés (dans le suivi des situations sociales, dans le type d’organisation des services, dans l’attitude des professionnels, dans les réglementations…) ? Wavre, 7 décembre 2002 : Participation, émancipation, être acteur de sa santé : à la portée de tous ? A côté de l’accès aux soins en cas de maladie ou de traumatisme, qu’en est-il chez nous de l’accès pour tous aux environnements salubres, aux conditions de vie décentes et à la considération sociale minimale qui favorisent le maintien en bonne santé physique et mentale ? Qu’en est-il, en particulier, de l’accès équitable aux moyens de prévention : dépistages, vaccinations, contrôles dentaires, suivi des grossesses, soutien au développement de l’enfant, lutte contre les accidents… ? Qu’en est-il de l’accès aux informations utiles – sur le corps, le fonctionnement psychique, les supports sociaux disponibles… – censées permettre une « gestion de la santé » plus cohérente, plus prévoyante, plus satisfaisante à l’échelon personnel ou familial ? Suffit-il par ailleurs d’être informé pour avoir en main tous les atouts décisifs et pour tirer profit des ressources ambiantes ? La promotion de la santé compte aujourd’hui de nombreux professionnels et dispose d’un cadre d’action bien charpenté : ces ressources sont-elles connues ? suffisamment valorisées ? pleinement opérantes ? Quelles initiatives méritent de faire école en matière de réduction des inégalités d’accès aux facteurs de bien-être et aux mécanismes de protection de la santé ? A quels domaines et à quels obstacles s’attaquer en priorité si l’on aspire à davantage d’efficacité en matière de justice sanitaire ? Libramont, 11 janvier 2003 : Des parias de la santé ? (pour raison géographique, de revenus, d’âge, de sexe, d’ethnie, de mœurs, de pathologie particulière…) Eu égard aux normes d’assistance médicale bienveillante dont bénéficie la majorité des usagers, y a-t-il dans notre population des groupes particulièrement exposés à des mécanismes d’abandon, de rejet, de prise en charge arbitraire ou peu respectueuse (éventuellement par excès de médicalisation ou de contrôle)… ? Peut-on, par exemple, identifier des discriminations répétées fondées sur l’âge ou le sexe ? Des secours au rabais, voire des manquements graves, en relation avec l’ethnie ou le profil social atypique de la personne souffrante (sans-abri, réfugié, analphabète, détenu…) ? Des obstacles d’ordre géographique, financier, «scientifique», administratif ou autres, qui mettraient en jeu la sécurité ou le droit au traitement de certains patients ? Inversement, le fait d’être porteur de certaines maladies ou déficiences, même correctement prises en charge, expose-t-il à des exclusions flagrantes dans la vie sociale ordinaire (en matière d’accès aux études, à l’emploi, au logement, aux assurances…) ? Charleroi, 8 février 2003 : Quid des inégalités entre secteurs et professions de santé ? Quid de leurs effets ? Au terme de trois rencontres animées touchant aux multiples formes d’inégalité de santé susceptibles de frapper la population – obstacles à l’accès aux soins / obstacles à la jouissance de conditions de vie saines / discriminations ciblées envers certains « parias sanitaires » -, il a paru important de débattre également des injustices perçues au sein de l’univers professionnel de la santé et des soins. Ne peut-on y distinguer des zones sensiblement privilégiées, voire idolâtrées, et des zones dépréciées, confrontées à des formes majeures d’inconfort (tant en matière de ressources matérielles et logistiques qu’en matière de reconnaissance et de valorisation du travail accompli au quotidien) ? Ces clivages, qu’ils s’expriment par « métiers », par « services » ou par « grands secteurs » (hospitalier versus ambulatoire, santé du corps versus santé mentale, prévention versus réparation, etc.) ont-ils le moindre rapport objectif avec le degré d’utilité sociale ou avec le niveau de qualité des prestations ? Sont-ils plutôt le fruit de rapports de forces très peu équilibrés, de mécanismes de concurrence exacerbés ? Les usagers y trouvent-ils leur compte ou bien ces inégalités intra-professionnelles entravent-elles lourdement les motivations et les capacités du système de santé à répondre de façon optimale à tous leurs besoins ? L’aide aux personnes fragilisées, la prophylaxie des détériorations physiques ou psychiques, la prise en charge des souffrances humaines peuvent-elles encore être pensées, aujourd’hui, autrement qu’en termes de complémentarité réfléchie, de coopération active ? Si les acteurs de santé ne s’en acquittent pas spontanément, que peut, que doit entreprendre l’autorité politique ?…