Douze travailleurs d’Electrabel sont licenciés parce qu’ils ont stocké des blagues racistes dans leur ordinateur professionnel Ndt : ils ont été réintégrés depuis. Deux semaines auparavant, un professeur dans un établissement de l’enseignement secondaire a subi le même sort. Nous vivons dans un pays étonnant. D’une part, de banals incidents déclenchent une fièvre d’antiracisme hystérique qui frappe des citoyens ordinaires de peines tout à fait disproportionnées. D’autre part, on ose à peine toucher à l’acteur principal, le Vlaams Belang. Celui-là «doit être combattu sur le terrain politique, avec des arguments». Et si ça ne marche pas, il peut éternellement continuer à cracher son venin. Les gens de Kif Kif, qui ont déposé la plainte tant décriée contre le Belang, essaient patiemment d’expliquer que la plainte ne concerne pas l’islamophobie. Du moins pas si islamophobie signifie «peur de l’islam». Mais c’est difficile si chacun a décidé que tel était bien le cas. Pour Yves Desmet dans De Morgen, «islamophobie signifie : ‘avoir peur de l’islam’. Eh bien, certaines de mes voisines partagent cette peur, mais il ne me viendrait jamais à l’esprit de les criminaliser comme racistes seulement parce qu’elles ont peur.» Pour Luc Vander Kelen dans Het Laatste Nieuws, «une phobie est une crainte non fondée». Lettre de lecteur dans Het Nieuwsblad: «Avoir une émotion est devenu punissable». Bref, la police de la pensée politiquement correcte veut maintenant contrôler aussi nos émotions. Va-t-on nous interdire d’avoir peur? Mon cœur d’écrivain se réjouirait de tant d’attention pour la signification d’un mot, s’il ne s’agissait pas d’un mot erroné. Cette plainte n’a rien à voir avec la peur. Elle ne s’oppose pas davantage au droit de critiquer une religion, comme Mia Doornaert l’a suggéré (De Standaard, 9 décembre). La plainte vise l’incitation à la haine entre deux groupes de croyants, les juifs et les musulmans, qui vivent côte à côte à Anvers. On ne reproche pas à Dewinter d’avoir peur lui-même, mais de susciter la peur chez les juifs. Plus fort encore: il leur fait accroire que les musulmans, leurs voisins, veulent les exterminer. «Le judaïsme et l’islam sont ennemis. Il faut choisir son camp», «Si l’islamisation de l’Europe se poursuit, les juifs seront les premières victimes», «Je défends aussi bien les juifs de la disapora en Europe que les juifs en Israël. Les uns et les autres sont menacés. Ils ont le même ennemi: l’islam militant avec son noyau antisémite». (On pourrait trouver l’ombre d’une nuance dans ce dernier propos: il ne s’agit que de l’islam militant. Hélas: «Je ne crois pas à un islam modéré».) Est-ce que les voisines d’Yves Desmet disent des choses de ce genre ? Dans un périodique juif de grande diffusion? Quand, dans une mosquée de garage un imam qualifie Israël de petit Satan et les juifs anversois d’avant-garde de Lucifer, ses propos sont — très justement — condamnés. Aux Pays-Bas, de tels imams sont expulsés. Un imam de ce genre pourrait-il éviter l’expulsion au prétexte qu’il n’est pas antisémite mais «sémitophobe» ? Il n’aura fait qu’exprimer une peur non fondée. Certes, devant quelques centaines d’adeptes qui partagent cette peur et qui à leur tour la répercutent chez d’autres, mais enfin: ce ne serait plus permis? Toujours cette foutue police de la pensée ! Les temps sont durs pour les antiracistes. Pas tellement à cause des nombreux dilemmes moraux et sociétaux auxquels nous sommes confrontés. Nous vivons dans un monde complexe, et les antiracistes les plus lucides en sont bien conscients. L’antiracisme n’est plus un thème socialement porteur. La croisade contre le politiquement correct lui a porté un coup sérieux. Il y a toujours une bonne excuse pour réfuter l’accusation de racisme : cet homme doit tenir compte de ses clients, il exprime une peur non fondée, à quoi faut-il s’attendre avec ces terroristes ? Si vous osez dire autre chose : police de la pensée ! (Voilà un bon bout de temps que le réflexe excommunicateur est de l’autre côté. Ou peut-être des deux côtés.) En outre : comment peut-on s’attaquer à un phénomène qui revêt tant de formes différentes ? Pourquoi licencier un professeur qui a fait circuler une blague raciste quand des centaines de ces blagues circulent sur Internet ? Pourquoi s’en prendre à un seul centre de fitness ? Le problème de la loi antiraciste est là : un délit n’est considéré comme un délit que lorsqu’il est commis par une minorité. En principe, Dewinter incite à la haine et peut être poursuivi pour ce motif, mais comment faire quand tant de gens lui donnent raison ? (Deuxième problème : un délit n’est reconnu que si l’on peut s’identifier à ses victimes. Combien de Flamands connaissent assez d’allochtones pour se mettre dans leur peau ?) Je ne suis pas partisan d’un nouveau procès contre le Belang. Je crois, comme beaucoup, que c’est une mauvaise option stratégique. Mais je constate que certains sont désespérés parce que toutes les tentatives se heurtent à un mur. Tout est stratégiquement stupide. Aucune mesure n’est acceptée par l’opinion publique. Ceci mène à une impuissance dont je n’ose envisager les conséquences.