C’était un lundi soir, le 21 novembre. Elio Di Rupo venait de claquer la porte des négociations pour aller porter sa démission au Roi. La dramatisation était à son comble. Et c’était bien cette image-là que le formateur voulait imposer tant aux partenaires de la future coalition qu’à l’opinion publique. L’image a joué durant cette journée et celles qui ont suivi un rôle fondamental. Ce lundi soir, donc, on retrouve les trois négociateurs francophones sur les plateaux des JT. Horaire oblige, priorité – et primauté – à RTL. Laurette Onkelinx pour le PS, Charles Michel pour le MR et Benoît Lutgen pour le CDH. Il se passe alors un de ces moments de télévision dont on ne sait jamais s’ils sont le fruit du calcul ou l’aboutissement d’une journée de négociations éreintantes. Benoît Lutgen qui, il est vrai, doit encore précisément se faire une image (et notamment la « durcir » quelque peu), prend littéralement le président du MR à la gorge. Déjà à la sortie des négociations avortées, le président du CDH étouffait d’indignation et ne ménageait pas les irresponsables qui avaient fait capoter l’accord de gouvernement. À ce moment, il ne cite pas les libéraux mais tout le monde a compris. Sur le plateau de la télévision – dont on sait que le dispositif peut conditionner le comportement de ses acteurs – Lutgen désigne l’irresponsable : Charles Michel qu’il somme de répondre à son interjection « Tu as dit oui ou tu as dit non à la poursuite des négociations ? » Devant les dénégations embarrassées du président du MR et l’insistance de Lutgen, il ne reste plus à Laurette Onkelinx qu’à enfoncer le clou. Le néoprésident du CDH dont l’indignation ne manquait certes pas d’accents de sincérité peaufine ce soir-là sont image de « centriste radical ». Mais la soirée n’est pas finie. Car vingt minutes plus tard le trio se retrouve sur le plateau du JT de la RTBF. Hélas pour le service public, « Bis repetita non placent… » et la prestation des trois leaders francophones se transforme en pétard mouillé malgré les efforts désespérés de la présentatrice qui a évidemment vu l’affrontement sur l’écran de la concurrence. Certes, chacun jouera son rôle mais le texte s’arrondit et la RTBF, qui forcément arrive toujours après sa rivale, doit se contenter d’une répétition un peu piteuse qui, en tout cas, ne fera pas « spectacle ». Que s’est-il passé durant les vingt minutes entre les deux interventions, les protagonistes se sont-ils parlé pendant qu’ils franchissaient les 400 mètres qui séparent le siège des deux chaînes, ont-ils décidé de mettre un bémol pour préserver l’avenir ou le temps d’un raccord de maquillage, ont-ils convenu d’en rester là ? Peut-être aussi, tout simplement, que l’indignation spontanée – ce moment rare en télévision, en tout cas, pour un responsable politique – ne peut se répéter. Ce soir-là, l’image s’est imposée sur le plateau de RTL. On en restera là. Enfin, pas tout à fait, car avec l’issue de la crise d’autres images se forgeront qui répondent à la nécessité de convaincre l’opinion du bienfondé de l’accord conclu. Dans la séquence suivante, l’image est à l’unanimité. Le formateur en avant, les négociateurs en retrait, puis tous ensemble pour indiquer l’unanimité retrouvée : scène de gravité et d’émotion. Pour peu de temps, car chaque parti doit à présent imposer la figure du vainqueur ou du moins affirmer que c’est bien lui qui a marqué le difficile compromis de son empreinte. Reste à conclure : retour à l’unanimité mais cette fois au sein de chaque famille politique. Image idyllique de congrès taillés sur mesure où les troupes unanimes accordent des scores staliniens à leurs leaders. Peut-on vraiment imaginer que, dans ces formations démocratiques, il n’y a pas eu au moins quelques voix fortes pour contester un accord qui mérite de l’être ? Mais voilà : pour affronter le difficile avenir, chaque camp veut offrir l’image de son indéfectible unité. On ne va pas tout résumer à l’image. Évidemment ! Les affrontements ont été d’abord politiques, la bataille a été – et sera encore – principalement question de rapports de force. Mais elle est aussi une guerre d’images qui tantôt vise à radicaliser le propos sans provoquer de véritable rupture, tantôt veut occulter ou adoucir les contradictions à l’œuvre et empêche un débat de fond qui est loin d’être épuisé. La suite, peut-être, dans la rue…