Retour aux articles →

Gauches : la promesse du pôle

Premier mai 2002: encore des grands discours sans lendemain? Peut-être pas. Car l’heure est grave. Les bouleversements électoraux qui secouent l’Europe n’épargneront pas longtemps la Belgique. Le temps des petits coups de griffe et des finasseries tactiques est, on l’espère, bien révolu. Diversité, d’accord. Mais dans l’union.

Convergences et concurrence, solidarité et rapports de force: la gauche doit articuler ces données sur un mode dialectique! Ce ne sera pas simple et cela ne sera peut-être pas passionnant. L’union de la gauche est un mythe (ou un slogan) porteur. L’histoire des mouvements progressistes — ici et ailleurs — est scandée par ce constat: unis ils gagnent, dicisés ils perdent. on peut égrener les tentatives de rassemblements, leurs succès et leurs échecs, il n’empêche que cette aspiration à l’unité est à chaque fois mobilisatrice et qu’elle pose toujours la question fondamentale du rapport de force au sein de la société. Remettre la question de l’égalité au coeur du projet politique, placer la question de l’État et des services publics au centre d’une démarche, combattre la dictature du marché et ouvrir sur une autre mondialisation supposent un rassemblement de forces politiques, syndicales, associatives et — tout simplement — de citoyens qui se reconnaissent dans ces objectifs larges même si, au départ, ils divergent sur les méthodes pour les atteindre. Contrairement à des préceptes bien établis, la crédibilité — et la force de mobilisation — d’un tel mouvement repose sur la diversité de ces composantes. C’est quand même les «âmes» radicales et modérées, quand les «utopistes» et les «réalistes» parviennent à la synthèse que les grandes avancées peuvent se produire. Ces moments de grâce marquent les grandes étapes des bouleversements sociaux et politiques. C’est la coexistence (même conflictuelle, jusqu’à un certain point en tout cas) de ces tendances au sein d’un même mouvement qui peut garantir la dynamique du changement et l’incarnation d’un espoir. Il n’est guère d’autre voie qui permette l’alternative aux coalitions hétéroclites et sans autre véritable objet que celui d’un renouvellement — souvent bienvenu — du personnel politique ou la sanction législative de modifications de comportement déjà largement entérinés (ou partfois discutés) par le corps social. En d’autres mots, la création d’un pôle des gauches devrait ouvrir une nouvelle page de la vie politique du pays.

Les gauches: un pluriel essentiel

L’appel d’Élio Di Rupo en faveur de ce pôle des gauches, lancé le 1er mai dernier, peut certainement s’expliquer par des raisons de politique intérieure comme par le contexte international. Cela n’est pas indifférent mais ce n’est pas l’essentiel. Cet appel constitue d’abord une rupture dans le discours (et dans la pratique?) du PS. Pôle des gauches: le pluriel est essenteil. Il ne s’agit plus comme dans les appels lancés de Collard et Busquin — des années 60 aux années 80 — de permettre aux «bons chrétiens» ou à tous les progressistes «acceptables» de rejoindre la «grande famille». Même si ce réflexe continue de s’exprimer chez les dirigeants du PS, même si la tendance laïco-logearde ne peut s’empêcher de stigmatiser les «calotins» dès que l’occasion s’en présente Au moment même où Élio Di Rupo lançait son appel, Jean-Claude Van Cauwenberghe s’en prenait aux «calotins» (certes d’une autre obédience politique…) attirés par le MR , un pas a été franchi qui modifie la nature même du rassemblement potentiel qui doit déborder — et de loin — les appareils traditionnels pour s’affirmer comme une for politique innovante et progressiste. Le combat pour l’égalité sous toutes ses formes, la lutte pour une fiscalité plus juste, l’engagement en faveur de la consolidation de la solidarité sociale permettent de rassembler des courants très divers de la société, qu’ils soient organisés ou non. Chacune des composantes politiques «classiques» de la gauche (socialistes, écolo, chrétienne) peut décliner ces priorités sur son mode propre en en préservant sa spécificité qui assurera — légitimement — et avec plus ou moins de succès sa personnalité et son pré-carré électoral. L’important est sans doute ailleurs: c’est évidemment le rapport de force global qui compte avant tout. Faire exister un courant porteur des valeurs alternatives à la toute puissance du marché, assurer collectivement que les plus faibles ne sont abandonnés sur l’autel du profit et de la performance économique, c’est à la fois donner des chances à la gauche et contrer l’extrême droite. Car, bien évidemment, la proposition d’un «pôle des gauches» est à situer dans un contexte international qui voit toute à la fois une modification du rapport de force gauche/droite et l’émergence d’un courant national-populiste en Europe.

Le contexte international

Bien sûr, chaque pays connaît des conditions particulières mais ne tendance lourde imprime sa marque en Europe. La social-démocratie a gouverné (en alliance ou en coalition) jusqu’à 13 des 15 pays de l’Union. Peu à peu, un fil des scrutins, elle a été exlue du pouvoir ou minorisée. en moins de deux ans, l’Autriche, l’Espagne, l’Italie, le Danemark, le Portugal, la France et les Pays-Bas ont connu la même évolution. Avec plus ou moins de nuances, les partis socialistes de ces pays s’étaient profilés au centre. Sous la pression des vents dominants et au nom des «contraintes» du marché, ils ont peu ou prou intégré les politiques libérales. Le centre de gravité de la vie politique s’est déplacé vers la droite dans toute la société européenne. l’exemple le plus frappant étant évidemment le «blairisme» qui reprenait non seulement une part de l’héritage thatchérien rapidement rebaptisé «troisième voie» mais qui de surcroît construisait un nouvel axe politique européen avec Berlusconi et Aznar. Il est vrai que rarement depuis la fin de la guerre froide, la pression idéologiques a été aussi forte sur la gauche même si on assiste depuis quelques années à l’émergence d’un mouvement qui conteste cette hégémonie et met à mal la mondialisation libérale. Cette course au centre a pour conséquence systématique le développement d’une extrême droite ou d’une droite populiste Les mots ont un sens et la qualification précise des mouvements politiques est importante quand on veut les combattre efficacement. L’utilisation à tort et à travers de l’appellation «néonazi» pour qualifier, par exemple, certains ministres du gouvernement italien est à la fois aberrante et dangereuse du point de vue politique qui peut apparaître aux yeux des exclus et des citoyens les moins politisés comme la seule vraie alternative au «système» Bien entendu, la monté de l’extrême droite ou de la droite populiste a également d’autres origines qui ne sont pas abordées ici. L’extrême gauche, sous ses différentes formes et appellations, s’accaparant le reste des votes protestataires parmi lesquels les votes d’opposition les plus politisés. Voilà pourquoi Lionel Jospin est exclu du deuxième tour des présidentielles en France. Voilà comment les socialistes hollandais sont rejet dans l’opposition.

L’arc-en-ciel est concerné

Les gouvernements de coalition abritant gauche et droite sont évidemment concernés au même titre que les exécutifs d’alternance. Sinon davantage. La cohabitation de la gauche et de la droite au sein d’une même équipe entraîne la confusion des valeurs et la domination idéologique quasi systématique de la droite. la coalition arc-en-ciel n’échappe pas à cette logique. On peut être d’accord — pour une fois — avec Louis Tobback quand il déclare: «une coalition arc-en-ciel ou à la hollandaise, violette (rouge-bleu), provoque des bleus à l’âme. une coalition dont le seul ciment est l’exclusion des “calotins” du pouvoir, occulte toutes les différences. Elle ne laisse comme alternative que l’extrême droite» Le Soir, 15 mai 2002… Et Louis Tobback d’ajouter que les socialistes hollandais ont capitulé devant l’exigence des libéraux de baisser les impôts et cela, sans être capable d’epliquer en quoi cette mesure menaçait des services publics déjà malmenés. En matière fiscale, la même question est posée en Belgique aux socialistes et aux écolos. Le problème de la réduction des impôts sur les sociétés sera un teste important pour la capacité de la gauche de s’unir concrètement sur des objectifs et sur des possibilités d’aller plus loin dans les «convergences».

Une occasion unique

Élio Di Rupo a le mérite d’avoir anticipé cette analyse. Certes la conversion est récente. les critiques socialistes à l’encontre des Verts accusés de complaisance vis-à-vis des libéraux ont été dures et fréquentes. Les uns et les autres ont eu de bonnes raisons de se méfier et de se démarquer (ambiguïtés écolos, volonté hégémonique socialiste, etc.) mais hors des règlements de comptes du passé, le pôle des gauches offre la possibilité d’une clarification à la fois au sein de la gauche et vis-à-vis de la droite. La vie démocratique a tout à y gagner. La rénovation du PS est une réalité dont on peut encore mettre en cause la réelle profondeur, notamment dans ses bastions les plus traditionnalistes mais qui se manifeste par l’apparition d’une nouvelle génération de cadres et de militants et par une ouverture incontestable aux autres courants progressistes dans le respect de leur spécificité. Le rapprochement entre le MOC et le PS est un fait concret qui s’est matérialisé depuis plusieurs mois par des contacts réguliers et des initiatives communes. Les étapes de l’ouverture, les réponses aux appels répétés de François Martou en faveur d’un rassemblement des progressistes ont été menées de concert. De ce côté, les préventions sont tombées et les perspectives n’ont jamais été aussi favorables. Écolo n’a évidemment pas été tenu à l’écart de ces prémisses. on peut certes comprendre les interrogations des Verts qui, ces dernières années, ont incarné l’espoir et l’esprit du renouveau de la gauche, tout en maintenant chez une partie d’entre eux un doute sur la volonté de cet ancrage. D’une certaine manière, chacun doit encore rassurer ses partenaires sur ses intentions véritables et sa bonne foi. Mais l’enjeu est de taille et doit permettre de dépasser les réserves compréhensibles, fruits de l’histoire et des légitimes intérêts partisans. L’occasion est unique d’offrir une alternative au modèle libéral. Pour les militants, les sympathisants, les électeurs et les citoyens de gauche, cette promess-là dépasse tous les intérêts particuliers. 3 juin 2002