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La peine des mères

Vous rêvez d’une soirée animée entre copines, vous en avez marre de vous écharper sur le foulard ou la prostitution ? Le thème de dispute est tout trouvé : entre la poire et le fromage, glissez dans la conversation le dernier bouquin d’Elisabeth Badinter E. Badinter, Le conflit. La femme et la mère, Flammarion, 2010. Ambiance garantie ! — Oui, c’est extraordinaire, chacune a un avis tranché, même – et peut-être surtout ! – celles qui ne l’ont pas lu… — Il est vrai qu’elle soulève une vraie question : le retour d’une certaine «naturalisation» des femmes, qui seraient mères avant tout, poussées par un instinct irrépressible… Des mères idéalisées, non seulement parfaites mais heureuses de l’être, ne ressentant ni frustration ni sacrifices… la servitude volontaire dans toute sa splendeur ! — Robert Badinter a aboli la peine de mort, Elisabeth Badinter voudrait abolir la peine des mères… — C’est vrai, médiatiquement c’est un beau succès, mais en même temps, il y a quelque chose de méprisant dans le ton employé pour présenter son livre : des «histoires d’allaitement et de couches-culottes»… Autrement dit : des histoires de bonnes femmes, sans intérêt pour l’humanité ! — Ou alors, on lui reproche une vision caricaturale de l’écologie, qui remettrait en question une série d’«acquis», des couches jetables à la contraception, en passant par l’accouchement sans douleur, au nom d’une nature qui serait, elle, pure et bonne… Moi, il y a autre chose qui me gêne : sa façon d’opposer la maternité aux «contraintes de plus en plus dures du monde économique» et aux aspirations de notre société où l’individualisme, l’égoïsme régneraient en maîtres – les termes sont d’elle ! Or, elle ne remet jamais en question ni ces contraintes du travail, ni cet individualisme forcené. Si vous n’aimez pas cette société-là, on dirait que vous n’avez plus qu’une échappatoire : la maternité, justement ! Le contraire de ce qu’elle voulait démontrer… — Moi, c’est quand je lis ses détractrices que j’ai envie de jeter mon bébé avec l’eau du bain ! Le reproche principal étant qu’elle nierait les différences biologiques et voudrait faire des femmes des hommes comme les autres voir par exemple ici. Inisister sur la différence des sexes a toujours servi à justifier les inégalités, ne serait-ce qu’au nom d’une chimérique « complémentarité », dans laquelle le fameux instinct maternel en remet une couche… jetable, j’espère! — Tant qu’à parler de couches jetables… même si ce n’est effectivement pas le centre de sa démonstration, je ne peux oublier que Mme Badinter est présidente du Conseil de surveillance et principale actionnaire de Publicis, qui a parmi ses clients Nestlé (laits en poudre) et Procter et Gambler (couches jetables)… Dans d’autres circonstances, on parlerait pour le moins de conflit d’intérêt. D’autant qu’elle est beaucoup plus discrète quand on l’interroge sur la façon dont la publicité renforce les stéréotypes sexistes, y compris en magnifiant les femmes comme mères.voir le très intéressant article .sur le site Rue89… Elle nous avait déjà fait le coup avec Fausse route, où elle dénonçait un «féminisme victimaire» en minimisant notamment les violences faites aux femmes : Badinter soulève des questions intéressantes, mais elle a des indignations très sélectives !