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La publicité et l’audiovisuel public

«Dis moi qui te finance et je te dirai quelle télé tu fais» : l’adage reste plus vrai que jamais. Le financement conditionne la nature même de la télévision. Quand dans les années nonante, le budget de France 2 dépendait pour plus de 50% des ressources publicitaires, la chaîne ne pouvait plus être réellement de service public. Dès lors, l’annonce surprise par Nicolas Sarkozy, en janvier dernier, de la suppression de publicité sur les chaînes publiques françaises a provoqué des réactions en sens divers. Les adversaires de la publicité — et quelques beaux esprits — se sont félicités de cette audace que, disaient-ils, dans sa frilosité et sa mollesse, la gauche avait négligée. On allait redonner au service public sa vraie vocation loin de la course à l’audimat. Rapidement on s’est rendu compte que la situation était plus complexe et les intentions du président plus ambiguës, sinon perverses. Au lendemain même de cette déclaration, plusieurs dirigeants de la droite française préconisaient, dans la foulée la privatisation d’une ou plusieurs chaînes publiques. Et on apprenait que le groupe TF1 avait déposé un dossier à l’Elysée, fin 2007, réclamant précisément la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public. La plupart des praticiens du service public et leurs défenseurs (auteurs, réalisateurs, producteurs) dénonçaient la manœuvre et s’opposaient, eux, à la suppression de la publicité, du moins tant qu’un financement équivalent ne serait pas garanti. Ce qui est loin d’être le cas. Bien entendu, le risque fondamental est bien celui-là : au nom d’un retour aux sources on supprime la publicité sans contrepartie budgétaire simultanée et on transforme définitivement le service public en chaîne minoritaire. Il en gagnera en pureté, il en mourra en audience. Ce qui permettra ensuite de justifier de diminuer sa dotation publique. En Belgique, deux camps, alliés de circonstances, ont profité du débat français pour relancer le débat de la publicité à la RTBF. Les opposants à la publicité, au non du refus de la course à l’audimat et des méfaits globaux de la publicité, ont dynamisé une campagne qui ne date pas d’hier. Et l’on ne peut qu’appuyer la pétition signée par 16 organisations d’éducation permanente et de défense des consommateurs qui réclament «une étude approfondie de type scientifique sur les possibilités de financement d’une RTBF sans pub, et ce sans toucher à l’équilibre budgétaire de la Communauté française (…). Débarrasser la RTBF de la pression commerciale est une condition sine qua non pour revaloriser le service public audiovisuel, outil démocratique majeur et acteur social indispensable pour faire face aux défis.» Carte Blanche publiée dans Le Soir du 31 janvier 2008, pétition : http://petitions.agora.eu.org/etudertbfsanspub/index.html.. Dès 1984, quand les adversaires de l’introduction de la publicité à la RTBF – qui devait initialement servir à la production de nouvelles émissions culturelles – eurent perdu la partie, il apparut clairement qu’il serait très difficile de revenir en arrière. Depuis lors, le sous-financement de la RTBF, l’absence d’un pouvoir fiscal de la Communauté française, la suppression ou la transformation de la redevance radio-tv, le manque général de volonté politique, l’apparition d’une génération de managers le plus souvent étrangers à la philosophie du service public et l’inscription globale de celui-ci dans la logique de marché ont rendu la chose encore plus délicate. La restauration d’une redevance dont le produit serait totalement et réellement affecté à la RTBF Ce qui ne fut jamais le cas, la redevance fut de fait transformée de taxe affectée en impôt déguisé, destiné à financer d’autres secteurs publics permettrait effectivement à celle-ci de se passer de la publicité mais l’air du temps antifiscal et les rapports de force politiques actuels ne permettent guère de se faire d’illusions. De son côté le MR, singeant Sarkozy, veut, lui aussi, envisager la suppression de la publicité à la RTBF qu’il refusait pourtant jusqu’ici. Les intentions sont pour le moins douteuses. Le redéploiement d’un service public assurant réellement ses missions suppose un refinancement et non une diminution de ses ressources. Oui donc à la suppression de la «pub» si un financement alternatif est garanti simultanément. Faute de quoi, on transforme la télévision publique généraliste en chaîne de «niche» destinée à un public réduit, ce qui ne correspond pas à sa vocation. Si l’on ajoute à cela que la Commission européenne a lancé une consultation publique sur le cadre futur du financement étatique des services publics de radiodiffusion, visant à assurer «le maintien des conditions de concurrence équitable» et qui peut aboutir à mettre en question précisément certains financements étatiques, on peut imaginer les menaces qui pèsent globalement sur l’audiovisuel public. Enfin si la suppression de la publicité ou sa régulation — insuffisante actuellement — constitue un des éléments essentiels pour redonner un sens au service public, elle n’est pas le seul problème. Loin de là. L’inscription de l’audiovisuel — y compris public — dans la logique de marché et de la concurrence à tout crin est plus profonde. La BBC est toujours citée exemple par les adversaires de la publicité. Peut-on rappeler que la BBC — chaîne effectivement sans publicité — a inventé, diffusé et commercialisé dans le monde entier «Le maillon faible» «The Weakest Link».., le pire des jeux télévisés basé sur l’exclusion et l’élimination de l’autre…