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La vraie révolution de Donald Trump

« Je vous le promets, en ce qui concerne l’emploi, je serai le plus grand président que Dieu ait jamais créé ! » « On ramènera les emplois de Chine et du Mexique. » Voilà plus d’un an que Donald Trump répète le même refrain, depuis l’annonce de sa candidature à la présidence des États-Unis l’été dernier. Et si, au-delà du racisme et de l’entertainment politico-médiatique, le succès inattendu de l’homme à la mèche blonde trouvait son explication dans le simple fait qu’il tient un discours sur l’économie qui parle au peuple, aussi simpliste soit-il ?

Au début du mois de mars, six électeurs républicains sur dix pensaient que Donald Trump était le plus apte en matière d’économie ou d’emploi. Marco Rubio et Ted Cruz ne franchissaient pas la barre des 20%. L’homme d’affaires a depuis défait ses adversaires et, lorsque l’on interroge les Américains sur ce sujet aujourd’hui, Donald Trump bat Hillary Clinton de douze points. À n’en pas douter, Donald Trump séduit les cols bleus. Sa rhétorique anti-délocalisations pourrait même faire du milliardaire l’homme providentiel que tous les conservateurs attendaient au sein de la working class américaine. Ils aiment son indépendance et veulent croire que son art de la négociation permettra de faire revenir l’emploi au pays. On pourrait même pousser l’explication plus loin. Si Trump reste si populaire malgré ses propos racistes et injurieux, malgré son manque d’expérience au niveau politique, malgré l’absence de toute référence à la religion dans son programme, c’est probablement parce que les conservateurs voient quelque chose en lui de particulier. Quelque chose d’inédit au Grand Old Party : un discours social. Il faut dire que les propositions de Donald Trump en matière d’emploi tranchent nettement avec la doxa économique conservatrice qui prévalait il y a encore un an chez les Républicains, quand le trublion de la Fifth Avenue passait pour un amuseur public. La réalité, bien embarrassante il faut avouer, c’est que Donald Trump a un discours social. Un discours qui se situe même à la gauche d’Hillary Clinton et ressemble davantage au discours anti-inégalités de Bernie Sanders. Après tout, le bouillonnant new-yorkais n’était-il pas un démocrate de 2001 à 2009 ? La vraie révolution de Donald Trump, ce n’est pas de demander la construction d’un mur à la frontière mexicaine. Ce n’est pas son profil d’outsider. (Il n’a jamais exercé de fonction élective). Non, le tour de force de Donald Trump c’est de tourner le dos au libéralisme économique de Ronald Reagan, jusqu’ici pilier du conservatisme aux États-Unis.

Même chez les conservateurs le libéralisme ne fait plus recette

Avant Trump, le message économique servi par le Parti républicain aux classes ouvrières des régions sinistrées était celui de la responsabilité individuelle, du gouvernement minimum et de la main invisible d’un certain Adam Smith. C’était aussi la chasse aux profiteurs, les fameuses Welfare Queens. Bref, si l’on jouait selon les règles, que l’on se concentrait sur ses études ou que l’on voulait travailler, le rêve américain était là… Pour ceux qui se levaient le matin. Mais visiblement ces « règles du jeu » ne se sont pas appliquées aux grandes banques responsables de la crise des subprimes de 2008, que le gouvernement a renfloué en achetant leurs actifs toxiques. Le contribuable américain, à juste titre, s’est senti trahi par ses élites politiques. Pour exprimer cette colère à l’égard du gouvernement, deux mouvements politiques distincts sont nés. Le Tea Party à droite. Occupy Wall Street à gauche. Malgré cela, en 2012, chez les Républicains, l’argumentaire était essentiellement le même. « Si vous n’avez pas réussi, ne rejetez pas la faute sur Wall Street ou sur les grandes banques. Non. Vous n’avez qu’à vous en prendre à vous-même ! » déclarait Herman Cain. Le gouvernement ne vous aidera pas. Le gouvernement n’est pas la solution. Et puis, « il y a 47% de profiteurs dans ce pays ! » Pas vrai Mitt Romney ?

2016 : les candidats républicains changent de registre

L’arrivée de Donald Trump a tout bousculé. À bien y regarder cependant, les prémices de ce grand revirement se retrouvent déjà dans les nouveaux thèmes de campagne de Rick Santorum et Mitt Romney qui se jettent à l’eau quelques mois avant le grand blond. Assez curieusement, l’expression « populisme économique » fait son entrée assez tôt dans la campagne. En janvier 2015, Mitt Romney annonce son intention de sauver l’Amérique du fléau de la pauvreté ! Mais la réincarnation de l’ex-gouverneur du Massachusetts en leader populiste (Fortune Magazine) ne convainc personne. Réaliste, il n’annonce pas une réelle candidature à la présidence. En mai, c’est au tour de Rick Santorum de se réinventer. Fini la défense du mariage traditionnel et la lutte sans fin contre la pratique de l’avortement. L’ex-sénateur de Pennsylvanie axe son discours sur l’économie en proposant une augmentation du salaire minimum. Ces deux tentatives de reprendre la Maison-Blanche font très rapidement naufrage. Les deux hommes appartiennent au passé. Pourtant, le message économique a radicalement changé ! Les leçons de 2012 – mettre les sujets religieux de côté, être plus proche des électeurs – auraientelles été retenues ? Si Romney et Santorum ne sont pas les hommes de la situation, ils ont pourtant misé sur le bon message. Et quel message ! C’est un virage à 180° par rapport au discours économique traditionnel de leur parti.

Ted Cruz propose une « flat tax »

Tous les candidats républicains ne tournent pas le dos au libéralisme économique. Au contraire. Pour certains comme Ted Cruz, sénateur du Texas depuis 2013, on n’a même jamais vraiment essayé. Son propre plan comprend une flat tax. Les conservateurs ont toujours flirté avec l’idée d’une flat tax, un impôt sur le revenu à taux unique et non pas progressif. Une flat tax qui taxerait les plus riches au même taux que les plus pauvres. Un grand rêve libéral de simplicité administrative et de diminution drastique des impôts sur le revenu pour tous. Mais en pratique, un grand cadeau fiscal pour les millionnaires et les milliardaires américains. Ted Cruz, lui, a franchi le pas en proposant une flat tax fixée à 10%, avant de se retirer de la course à l’investiture de son parti. Cette taxe uniforme et généreuse ferait gagner 29,6% de revenu à un milliardaire mais, pour quelqu’un qui a des petits revenus, l’augmentation ne serait que de 2,7%. Sans compter l’augmentation de TVA, partie intégrante du plan, qui touche davantage les plus faibles revenus. Pourtant, Ted Cruz affirme sans broncher se situer du côté des travailleurs et pas du Big Business. Même si ce genre de réforme doperait l’initiative individuelle qui se trouverait ainsi libérée (d’une partie) de l’entrave du Big Government, on peut tout même raisonnablement douter que cette flat tax profiterait aux cols bleus, même indirectement. Comment les électeurs républicains issus de la classe ouvrière sont-ils restés fidèles à un parti qui visiblement ne représente pas leurs intérêts ?

La révolution Trump : le protectionnisme social

En juin 2015, Donald Trump se lance à son tour. Le milliardaire a une approche bien différente de celle de son parti. Diamétralement opposée même. Il compatit avec les travailleurs désoeuvrés, blâme les multinationales américaines coupables de trahison économique et le gouvernement américain, forcément incompétent. Le chômeur habitant une région sinistrée ne se dit plus que c’est de sa faute s’il n’a pas de travail. Aux sans-emploi, il dit que ce ne sont pas eux les profiteurs mais bien le Mexique et la Chine (« Ils nous arnaquent !!! »). Ce discours-là on le retrouve certes chez les Démocrates. Mais le pétulant New-Yorkais répond à la peur du barbu et l’anxiété économique des travailleurs américains de race blanche pour qui le Parti démocrate accorde une place démesurée aux minorités. C’est d’ailleurs son discours sur l’immigration et la sécurité qui va, très vite, passer à l’avant-plan et soulever un tollé mondial, occultant au passage son programme économique. En bref, pour résumer grossièrement, le discours du GOP avant Donald Trump c’était « Salauds de pauvres ! ». Pas étonnant que des milliers de personnes « à qui on ne parlait pas » se soient enthousiasmés pour sa campagne et aient participé pour la première fois de leur vie au processus politique austère des élections primaires. Cela fait des décennies que les démocrates se demandent pourquoi les classes populaires ne votent plus pour eux depuis Roosevelt. Parti coupé des masses ? Gauche « caviar » qui pêche par excès d’intellectualisme ? Pour tous les observateurs de la vie politique américaine, particulièrement les Européens, la vraie énigme cependant c’est de comprendre pourquoi les ouvriers votent traditionnellement conservateur alors que ce parti ne semble pas se préoccuper plus que ça de leur sort. Faut-il s’étonner dès lors que la campagne d’un candidat, mêlant pour la première fois conservatisme traditionnel et populisme économique, obtienne un succès fulgurant ?

Duel avec Paul Ryan

Peu avant la convention de Cleveland qui s’est tenue fin juillet, le speaker de la Chambre a tenté d’accorder ses violons avec Donald Trump afin que le parti puisse se mettre d’accord sur un programme-cadre. Paul Ryan a longtemps annoncé qu’il n’était pas encore prêt à soutenir Donald Trump. Et pour cause, le représentant du Wisconsin est un libéral convaincu, un adepte du laissez-faire de la première heure. Le candidat Trump est aux antipodes de ses propres convictions en matière économique. Cependant, après avoir longtemps résisté, le Speaker a finalement accordé son soutien au candidat rebelle. Sa justification à elle seule indique un manque patent d’enthousiasme : Il faut battre Hillary et surtout ne pas la laisser nommer les prochains juges de la Cour suprême. Trickle Down Economics de Ronald Reagan, défend un libéralisme chimiquement pur. C’est aussi un lecteur avide des romans teintés de darwinisme social de Ayn Rand, une romancière star pour tout conservateur qui se respecte. Cette dernière a une conception assez binaire des sociétés humaines qui pourrait se résumer de la façon suivante : « Dans la vie, il y a les entrepreneurs, créateurs de richesses, et puis il y a les profiteurs. » Et d’imaginer de quelle classe chaque lecteur d’Ayn Rand aime se réclamer. Ce discours-là, particulièrement apprécié des milieux Tea Party, est recevable dans une économie qui tourne où chacun aime se percevoir comme le réel bâtisseur de son propre avenir. Il est nettement moins bien accueilli dans un contexte de crise économique où les emplois se font rares et où les salaires stagnent.

L’Amérique « qui perd » votera Donald Trump

Trump – qui, il est vrai, tente de contenter tout le monde avec des propositions contradictoires, généreuses et encore plus radicales que celles de Bernie Sanders – est néanmoins le premier et l’unique candidat républicain à dire « Les riches doivent payer leur part » et le seul à demander l’augmentation du salaire minimum. « Quand il sera temps de négocier, je me soucierai moins des riches que de la classe moyenne » a-t-il dit au micro de la NBC. Une déclaration banale a priori. Mais jusqu’à présent, ce genre de propos était systématiquement dénoncé chez les conservateurs comme un « discours lutte des classes » et vaut toujours, en temps normal, à n’importe quel élu démocrate une volée de bois vert. Mais le fougueux candidat ne se limite pas à courtiser les travailleurs américains. Il est clairement antilibéral. Après sa victoire décisive en Indiana, il a déclaré qu’il empêcherait les grandes entreprises américaines de quitter le territoire national. Rien de moins. Par ailleurs, s’il est élu, President Trump sortira de l’Accord de libre-échange nord-américain et instaurera une taxe de 35% sur toutes les pièces produites au Mexique. Le magnat de l’immobilier compte même mettre en place une politique de grands travaux à la Franklin Delano Roosevelt. Si Reagan savait, il se retournerait dans sa tombe. La fracture est là. L’antilibéralisme de Donald Trump remet en cause toute la doctrine économique du parti. Et bien que Ted Cruz se soit opposé à lui en refusant de lui apporter son soutien durant la convention du parti, il n’a rien pu y changer. Le Grand Old Party n’a pas implosé devant les caméras du monde entier ce 21 juillet comme certains commentateurs avaient pu le prédire. Selon de nombreuses enquêtes d’opinion, l’économie est de loin le sujet numéro 1 sur lequel les Américains basent leur choix au moment de voter. Ce sera le 8 novembre prochain. Il est fort probable que le gagnant ne sera pas connu avant cette date fatidique mais, ce que l’on sait déjà, c’est qu’un vote en faveur de Donald Trump c’est un vote antilibéral.