Retour aux articles →

L’énergie des pauvres

Les hausses des prix énergétiques et une libéralisation ratée pèsent plus que proportionnellement sur les ménages précaires. Et ce pour six raisons : 1. La part de leurs revenus consacrée à l’énergie consommée directement est élevée et répond davantage à des besoins incontournables (chauffage, cuisine…), rendant d’autant plus pénibles les hausses des prix de l’énergie Voir Ph. Defeyt, «Indice des prix, indexation et pouvoir d’achat des ménages à petits revenus», Institut pour un Développement durable, novembre 2007. 2. Les modes de tarification leur sont en général défavorables : le prix du mazout est supérieur pour les livraisons inférieures à 2000 litres, ils ont moins de chance – peut-on supposer – de bénéficier de réductions commerciales et les tarifs gaz et électricité sont de facto dégressifs C’est-à-dire que tenant compte des redevances et autres frais fixes, un gros consommateur paiera son KWh ou son m3 de gaz en moyenne moins cher qu’un petit consommateur. 3. Le mode de fixation du montant des factures intermédiaires (électricité et gaz) et le retard pris dans les relevés pour la régularisation font que beaucoup d’entre eux se trouvent avec des régularisations importantes ou, ce qui n’est pas mieux, dans la situation inverse (avoir payé de trop pendant une période qui peut durer plus d’un an). 4. Ils ne disposent pas toujours de moyens fiables pour connaître leur consommation en électricité (par absence d’un compteur propre) ou en chauffage (absence ou imprécision des «compteurs» de chaleur). 5. Les recours en matière de problèmes de facturation, raccordement… sont, dans les marchés libéralisés, insuffisants et difficiles à activer. C’est évidemment encore plus difficile pour les ménages précaires. 6. Quand ils sont propriétaires, il leur est difficile – malgré des efforts publics notoires pour contourner cette difficulté – d’accéder à des aides publiques pour les investissements immobiliers (ils ne profitent pas ou peu des aides fiscales, ils manquent de moyens d’investissement et de pré-financement). Locataires, ils n’ont aucun intérêt à faire des investissements qui bénéficieraient à leur propriétaire.

Mesures concrètes

Les mesures qu’il faut prendre sont évidentes, et en tout cas bien connues. La principale est d’instaurer une tarification progressive des prix de l’électricité et du gaz. Une formule simple serait ici de diminuer d’un montant forfaitaire – donc identique pour tous les consommateurs, éventuellement modulé en fonction de la taille du ménage – les factures, à charge pour les fournisseurs de répercuter le coût de ces réductions sur le coût moyen du KWh. Par exemple : une réduction moyenne de 100 euros par ménage et par an représenterait l’équivalent d’environ 500 KWh fournis gratuitement. Des règles devraient être instaurées, et effectivement appliquées, pour que les fournisseurs ne contournent pas cette logique à la fois redistributive (le coût du KWh des petits consommateurs s’en trouve allégé) et environnementale (le KWh marginal est rendu plus cher). Tous les logements ne disposent pas de compteurs. Ceci pose deux problèmes : le premier est que cela conduit des propriétaires peu scrupuleux à demander plus que nécessaire et le second que cela empêche une gestion éclairée de la consommation énergétique, ce qui va à l’encontre d’une véritable éducation énergétique. Il faut donner les moyens aux distributeurs pour que chaque logement bénéficie effectivement d’un compteur Bihoraire idéalement. On doit par ailleurs tendre vers des compteurs électroniques de nouvelle génération, moins coûteux et qui permettront également d’effectuer des diagnostics de consommation. Cependant, si le distributeur a l’obligation de mettre un compteur par logement, il ne pourra pas le faire si le propriétaire du ou des logement(s) résiste. Les pouvoirs publics devraient idéalement intervenir pour soutenir cette démarche. Avec ou sans compteur(s), les ménages paient souvent des avances (factures intermédiaires et/ou charges). Ces avances ne collent pas toujours à la réalité. On peut payer trop ou trop peu. Dans les deux cas le ménage est pénalisé. Un travail social essentiel est de mener à bien, en bonne entente entre les services sociaux et les fournisseurs, des démarches pour adapter au plus vite les factures intermédiaires et les charges (en tout cas dans le secteur du logement social). Par exemple : les consommateurs qui dépendent des intercommunales de distribution mixte (par exemple IDEG à Namur) peuvent téléphoner à Indexphone, à tout moment, pour indiquer leur nouvel index. Parfait. Mais encore faut-il que le consommateur le fasse (d’où toute l’importance d’un accompagnement social) et que le fournisseur adapte rapidement les factures intermédiaires. En outre, si un ménage le souhaite, et que cette démarche est accompagnée (guidance sociale énergétique), il faudrait qu’un compteur à budget puisse être mis gratuitement à sa disposition, même si c’est un consommateur dit non «protégé». Outre la meilleure mobilisation des dispositifs existants (on peut ainsi penser que plus de personnes sont dans les conditions du Fonds mazout que le nombre actuel de bénéficiaires), il faudra pour les ménages à petits revenus compléter l’indexation normale de leurs allocations par l’octroi d’un chèque-énergie, dont la valeur serait adaptée chaque année en fonction des évolutions des prix énergétiques et qui serait systématiquement accompagnée d’un audit énergétique simplifié qui permette à ces ménages une réduction immédiate de certaines consommations par des gestes simples et de petits investissements accompagnés très rentables, avec comme objectif le maintien de leur pouvoir d’achat hors consommation énergétique. Plus largement, des mesures de contrôle sur les prix, une meilleure garantie quant aux approvisionnements énergétiques, la fourniture de services publics de qualité (en matière de transports en commun par exemple) accompagneront les mesures proposées ci-dessus au bénéfice de tous les ménages et des ménages précaires en particulier. ■