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Manifeste masculiniste

« Devinette : quel est le document, récemment révélé, qui mentionne plus de cent fois les termes « féminisme » et « féministe »… ? — La Bible ? — Le prochain Houellebecq… ? — Une nouvelle biographie de Simone de Beauvoir, vue de dos ? Pour les plus jeunes : allusion à la couverture du Nouvel Observateur (janvier 2008) qui consacrait un numéro en hommage à Simone de Beauvoir, représentée les fesses nues. Des féministes ont alors demandé que l’hebdo fasse de même pour Sartre ou pour Jean Daniel, directeur du Nouvel Obs.. — Vous n’y êtes pas ! C’est le fameux manifeste d’Anders Breivik, le serial killer d’Oslo Merci à Martin Dufresne pour la traduction en français. Car l’islam n’est pas son unique obsession : le féminisme est bien placé pour lui disputer le statut d’ennemi public numéro un de la civilisation européenne ! — Oh, il a encore bien d’autres idées fixes : ce qu’il dénonce, c’est le « marxisme culturel », responsable d’une « révolution tranquille propageant une idéologie de haine de l’Europe (…) anti-Dieu, antichrétienne, anti-famille, antinationaliste, antipatriote, anti-conservatrice, anti-ethnocentrique, anti-masculine, anti-tradition et antimorale ». Reprenez votre souffle… — Et le féminisme, là-dedans ? — En gros, il lui fait deux reproches. D’une part, d’avoir déconsidéré les « valeurs masculines », entraînant une « féminisation de l’Europe » et une « émasculation » de l’homme blanc hétérosexuel. D’autre part, d’avoir détourné les femmes de leur fonction « naturelle », à savoir la maternité, en les encourageant à revendiquer l’égalité avec les hommes ; et moins d’enfants, c’est la porte ouverte aux hordes étrangères ! D’où ce reproche qui peut paraître assez farfelu, quand on connaît les tensions entre une partie du mouvement féministe et les revendications d’un islam « visible » : « L’agression féministe radicale actuelle .est. menée par le biais d’un appui à l’immigration musulmane de masse ». — Il écrit aussi que « les médias .sont. totalement sous l’emprise du féminisme ». Faites le test : tapez sur Google « manifeste Breivik », vous trouverez quelques centaines de milliers de références. Affichez les premiers résultats et faites une recherche sur les termes « féminisme » ou « féministe » : vous avez de grandes chances d’obtenir pour seule réponse « texte introuvable ». Le manifeste de Breivik est présenté comme fascisant, islamophobe, obsédé par le « marxisme culturel » ou le multiculturalisme… mais de son masculinisme, pas un mot ! À quelques rares exceptions près, comme Le Monde du 27 juillet 2011 — Ou en tout cas, cette menace-là n’est pas prise au sérieux. Le racisme, on le sait, ce ne sont pas que des idées, mais aussi des actes, des discriminations, des agressions, des tueries. Mais le sexisme ? On oublie que le « masculinisme rampant » peut être tout aussi dangereux et criminel. Souvenons-nous comment, le 6 novembre 1989, un certain Marc Lépine, armé d’un fusil et d’un couteau, entrait dans l’école Polytechnique de Montréal, faisait sortir les garçons d’une classe et tuait 14 jeunes femmes, au nom de sa haine des féministes. Comme pour Breivik, on a parlé de « déséquilibre » et de « délire » : et s’il s’agissait d’une affreuse logique poussée à son terme ? — Ne pas oublier cette vérité : le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours ».