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On n’enferme pas un enfant. Point.

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21 juin 2018 : Des familles avec enfants seront enfermées. Peut-être*.
[Texte de la chronique intime de Delphine Chabbert, POLITIQUE 104, juin 2018]

Plus d’un an que c’est dans l’air. Des enfants et leurs parents sont menacés d’enfermement pour des raisons administratives. Est-ce l’intensité et la diversité de nos indignations qui freinent ce projet ? Dans le doute, ça vaut le coup de continuer à dénoncer.

L’intérêt supérieur des enfants est un principe essentiel ; ou plus exactement, il l’est devenu au fil d’un siècle de recherches en sciences humaines. Finie la conception passive de l’enfant comme « adulte en devenir ». Défini comme une « personne » âgée de 0 à 18 ans, l’enfant est reconnu dans nos démocraties modernes comme un sujet à part entière, digne de droits. La Convention
internationale des droits de l’enfant de 1989, qui leur reconnaît des droits fondamentaux (civils, politiques, sociaux, économiques et culturels) est le texte le plus ratifié au monde. Il est aussi le plus bafoué chaque jour, y compris en Belgique. Aujourd’hui, des enfants risquent l’enfermement parce qu’ils n’ont pas de papiers. Ils sont coupables d’être des étrangers illégaux. Or, partout dans
le monde et de tout temps, les familles migrent. Pour échapper aux guerres, à la violence, aux persécutions ou à la pauvreté, elles abandonnent leur foyer et cherchent asile ailleurs. Au XIXe siècle, 12 % des familles européennes ont émigré vers les Amériques (USA, Canada, Brésil, Argentine) pour fuir la pauvreté. Un siècle plus tard, à la veille de la Première Guerre mondiale, 5 % de la population mondiale fuyait notre continent dans l’espoir d’une vie meilleure. Aujourd’hui, dans l’autre sens, c’est 0,8 % de la population mondiale qui se déplace vers l’Europe. Seules 0,3 % de ces personnes obtiennent le statut de réfugié. En Belgique, 3800 personnes auraient reçu ce statut. Une goutte d’eau.

Une goutte d’eau quand on prend un peu de recul historique, et pourtant. Un centre de détention pour familles avec mineurs s’apprête à ouvrir. La Belgique, condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme, avait abandonné cette pratique en 2008. Retour en arrière : aujourd’hui, tout est
prêt pour que des enfants et leurs parents soient privés de liberté pour raisons migratoires. Les bâtiments sont construits, leur ouverture est imminente, avec tout le confort moderne. Le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, à l’origine de ce projet, nous l’assure : une jolie petite cuisine, des sanitaires, une chambre
fermée. De quoi se plaint-on ? Ah oui aussi, les bâtiments longent les pistes de l’aéroport de Zaventem. C’est bruyant mais les enfants sont résistants et résilients, ils oublieront vite ces désagréments. Vraiment ?

Enfermer un enfant est inacceptable. L’Office de la naissance et de l’enfance, le Délégué général aux droits de l’enfant (comme ses homologues européens) et des dizaines de mouvements le dénoncent. Le HCR et Ban Ki-Moon, ancien secrétaire général des Nations Unies, aussi. Il appelle les États membres à « s’engager à
examiner des alternatives à la détention de réfugiés et de migrants, et de faire en sorte que les enfants, par principe, ne soient jamais détenus, pour des raisons de politique migratoire ». On ne transige pas avec la primauté de la Convention internationale des droits de l’enfant. La Chambre devrait toute entière faire barrage à un tel projet. Mais non. Aujourd’hui, la dignité est davantage du côté des
citoyen·ne·s que de certains de nos responsables politiques.

* Voir la campagne « On n’enferme pas un enfant« .