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Statistiques ethniques

STATISTIQUES ETHNIQUES : Elles sont réclamées par les chercheurs avides de données pour leurs études et par des militants de « minorités ethniques » dans le but de « faire sortir les discriminations de l’invisibilité ». Des questions demeurent cependant entières. Instaurer dans les statistiques publiques une classification ethno-raciale ne conduit-il pas à imposer aux personnes une identification qu’ils n’ont pas choisie ? Est-il d’ailleurs nécessaire d’établir une telle catégorisation dans la statistique publique pour lutter contre les discriminations ? Cette façon de classer les individus ne créerait-elle pas dans la société un effet séparatif induit par la représentation ethnique du moment ? Les minorités sont d’ailleurs d’ordre divers. Faut-il recenser distinctement les minorités sexuelles ou religieuses et créer des fichiers d’homosexuels et de musulmans, autant de groupes susceptibles bien sûr d’être discriminés dans l’accès au logement ou à l’emploi par exemple ? Des enquêtes sérieuses ont bien montré, voire quantifié, la discrimination dont les personnes d’origine marocaine, turque et africaine étaient l’objet en matière d’emploi. Des recherches ponctuelles donnent des indications précieuses sur ces questions. Des mesures à l’encontre des discriminations à l’embauche ou encore de l’échec scolaire en termes de mixité (sociale, culturelle et de genre) peuvent être d’ores et déjà prises. Réclamer des recensements ethniques n’est-ce pas « ENSTATISTIQUER » les questions politiques dont l’effet pourrait être de les dévoyer plutôt que de les solutionner ? Le prisme ethnique, si l’on ne prend garde, renferme un effet pervers : comme il a véhiculé pendant la période coloniale une vision ethnocentrique de l’Afrique en lui renvoyant une image primitive du continent, il véhicule à présent une vision sociocentrique qui satisfait les nationaux « de souche» dans leur stigmatisation de l’immigration, réduite d’ailleurs pour l’essentiel aux « arabo-musulmans ». En se proclamant « indigènes de la République », ceux-ci se sont empressés d’inverser le stigmate. Quoi de plus flou et arbitraire que la catégorisation ethnique ? Le statisticien, par ses catégorisations, crée des frontières là où elles étaient vagues. Prisonnier de ses instruments, le chercheur se trouve lui-même assigné à mesurer avec précision ce qui est imprécis. À l’instar du test ADN censé prouver une filiation dont on connaît la dimension sociale par une mesure biologique, la statistique ethnique ambitionne de mesurer des comportements sociaux à l’aune d’un critère ethnique lui-même insaisissable. L’Afrique avait été, aux yeux de l’Occident, un magma de populations primitives qu’il s’agissait de civiliser. Les immigrés sont à présent perçus comme des « allochtones » parmi lesquels les sophistications statistiques permettraient de distinguer une ou des ethnies. Nous savons que les jeunes issus de l’immigration sont, plus souvent que les autres, confrontés au chômage, à la précarité et moins nombreux à poursuivre des études. Ce n’est cependant pas l’origine nationale ou religieuse qui nous permet de comprendre ces phénomènes mais le milieu socio-professionnel et l’assignation identitaire. La statistique ethnique, au lieu de dévoiler la discrimination, peut, au contraire, participer à l’assignation identitaire. Elle a en conséquence moins de chances de lutter contre les discriminations que de nourrir les représentations négatives qui les alimentent. Dans ce domaine aussi le principe de précaution ne doit-il pas prévaloir ? Contentons-nous des enquêtes qui tentent de repérer les discriminations que subissent les groupes minoritaires et évitons aux statistiques administratives d’assigner une identité ethnique aux personnes recensées.