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10 mois, 10 erreurs : comment le MR a raté la formation d’un gouvernement bruxellois
19.05.2025

Dix mois sans vrai gouvernement bruxellois, et pour cause : comme le pauvre « formateur » David Leisterh le dit lui-même, les négociations devant aboutir à la formation de ce gouvernement n’ont pas même débuté. Une analyse de John Pitseys.
Pourquoi tant de surplace du côté des bleus ? Une négociation réussie requiert quelques conditions : préparer ses dossier à l’avance, aménager un fond de respect entre les futurs partenaires et apprendre à connaitre leurs lignes rouges, piloter la discussion avec un peu de recul et de discrétion…
Si le PS a consacré une énergie certaine à savonner chaque centimètre carré de la planche de David Leisterh, la méconnaissance de ces conditions est d’abord la responsabilité du MR. En dix mois, dix erreurs au moins ont conduit au fiasco politique. Tour d’horizon.
1. Crier victoire
Première erreur : penser que la victoire électorale augure d’une négociation réussie. De l’avis de tous les acteurs, le MR s’est avancé en juin dernier sans la moindre méthode, sans le moindre agenda politique, sans la moindre préparation technique. Les libéraux avaient gagné : que l’intendance suive et que les autres partis se soumettent. Le parti des ingénieurs s’est assis à la table comme à l’école buissonnière.
2. Crier « #%!*?! »
Deuxième erreur, découlant de la première : penser qu’une négociation se gagne en insultant ses partenaires. Passer deux mois à pointer l’illégitimité d’Elke Van den Brandt ou le caractère intrinsèquement malfaisant du PS allait-il contribuer à un climat de discussion ? Aussi bizarre que celui puisse paraître, on s’assoit plus facilement à une table quand on se sent respecté en tant que convive.
3. Ne pas savoir avec qui discuter
Troisième erreur découlant des deux premières : ne pas comprendre qui est le partenaire principal. A Bruxelles, la composition d’un gouvernement exige la rencontre de deux majorités, la majorité francophone et la majorité néerlandophone. A ce titre, le partenaire principal du MR est donc le premier parti néerlandophone, Groen. Pas parce que le MR doit se sentir proche de Groen mais pour des raisons de mécanique institutionnelle. Georges-Louis Bouchez a bien sûr cru préférable d’opter pour une stratégie d’humiliation dans la presse francophone.
4. Avancer sans feuille de route
Quatrième erreur : laisser le PS imposer son agenda. Tout le monde, dans le milieu politique bruxellois, savait depuis depuis plus d’un an que le PS ferait tout pour que le gouvernement régional ne soit pas formé avant les élections communales. La gestion de la Région exigera sans doute de prendre des décisions impopulaires et le PS déteste être le parti des mauvaises nouvelles. Le MR s’est fait imposer le timing imposé par le PS, et d’autant plus facilement (retour à la première erreur) que les libéraux n’avaient aucune feuille de route à opposer aux socialistes.
5. Se faire dicter une ordonnance
Cinquième erreur : laisser le PS pourrir la dernière chance d’obtenir un gouvernement avant décembre, en acceptant de se faire dicter par lui la rédaction de l’ordonnance repoussant l’extension de la LEZ (zone de basse émission). Indépendamment de son contenu, le dépôt de ce texte était un casus belli pour Groen, qui a pris l’épisode pour une déclaration de guerre : retour à la troisième erreur.
6. Ne pas comprendre autrui
Sixième erreur : ne pas comprendre le vocabulaire d’Ahmed Laaouej. Quand le président de la fédération bruxelloise PS dit fin juillet qu’il sera « très difficile » de gouverner avec la N-VA, cela veut dire deux choses. La première, c’est que ce « très difficile » veut dire « non ». Et la seconde, c’est que ce « très difficile » est une invitation à croire qu’il ne s’agit pas d’un « vrai non » – et qu’il y aura toujours moyen de trouver une solution entre négociateurs. Il s’agissait d’un piège et le MR est bien sûr tombé dedans.
7. Attaquer les partis avec lesquels on prétend discuter
Septième erreur : croire que l’irrespect (retour à la deuxième erreur) convaincra d’autres partis à former une majorité, à défaut du PS. Inviter Defi en passant la moitié de son temps à débaucher ses représentants n’est pas une bonne idée. Inviter Ecolo en lui transmettant par voie de presse une liste de convergences faites de politiques déjà adoptées – ah tiens, si on permettait des consultations populaires ? – et de capitulations vertes n’en est pas une non plus.
8. Confondre l’action et la communication
Huitième erreur : croire avec obstination qu’il suffit de communiquer pour agir. Depuis la sorte de table du PS, quatre mois ont passé. Le MR a multiplié les initiatives en carton et les interviews farfelues dans la presse. La presse fait semblant de prendre tout ça au sérieux. Mais concrètement, le temps passe et rien ne se passe. Cette crise est aussi l’histoire d’une grande négligence : retour à la première erreur.
9. Faites ce que je dis, pas ce que je fais
Neuvième erreur : reprocher aux autres partis leurs vetos et exclusives politiques tout en les multipliant de son côté. Le PS ne veut pas de la N-VA, c’est une contrainte objective pour former une majorité. Le MR veut absolument de la N-VA et du VLD et exclut de ses compte la Team Fouad Ahidar : ça fait trois contraintes objectives pour former une majorité, et c’est une luxe politique qui coûte cher. Georges-Louis Bouchez assénait en juillet 2024 que Bruxelles n’appartenait pas au PS. Après dix mois d’échecs, puisse-t-il convenir que le MR ne sera jamais en mesure de gouverner seul. On sait qu’il le voudrait. Il ne se rend pas compte qu’il ne le pourra point.
10. Confier les responsabilités à des « outsiders »
Dixième erreur, la plus grave sans doute : négocier le sort de Bruxelles à partir de Mons et d’Anvers. Bart De Wever veut imposer la N-VA à Bruxelles, en dépit de ses mauvais résultats électoraux dans la région. Georges-Louis Bouchez veut imposer sa vision de Bruxelles aux Bruxellois, sans réaliser qu’il n’en a pas les moyens. Le deux se fichent au fond de ce que la région devient, tandis que David Leisterh avoue candidement qu’il n’a jamais été vraiment formateur du gouvernement bruxellois.
Dix mois, dix erreurs. On m’a souvent expliqué que le MR avait engagé toute son énergie et toute sa bonne volonté dans le processus de formation, et je le crois. On connaît la loi de Hanlon : ne jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer.
Edit: la députée régionale Latifa Aït-Baala quitte le MR pour rejoindre le PS. On se remémore ici les mâles déclarations du président du MR s’engageant à trouver dans les dix jours un gouvernement minoritaire…