Politique
À Bénédicte, au nom de nos divergences…
18.12.2007
Sortie de scène presque sur la pointe des pieds. Jusqu’au dernier souffle, Bénédicte Vaes aura surpris son monde. Professionnellement, la discrétion n’était pas son registre… Vaincue par la glaciale injustice d’une maladie fulgurante, elle laisse orpheline une presse nationale dont elle raffolait donner le ton. Pour le confrère que je fus et pour le syndicaliste wallon que je reste, c’était énervant. L’hommage qu’elle mérite m’impose de préciser d’emblée avoir rarement partagé sa longueur d’onde. Je pense l’avoir toujours lue avec curiosité. Bénédicte comptait parmi les rares journalistes à bien connaître les structures complexes de la FGTB. Mais aussi à ne pas les aimer. Elle était pourtant affiliée au Setca. Autre paradoxe, elle en maîtrisait parfaitement les dynamiques de rapport de force et savait à quel porte frapper pour tout apprendre de… ce qu’il eût fallu taire. Elle a aussi largement contribué à l’idée selon laquelle la structure du syndicat ne serait plus adaptée à son temps. Notamment en la comparant systématiquement à un modèle ne correspondant ni à son histoire, ni à ses valeurs… La FGTB est quasi en permanence jaugée à l’aune d’une CSC plutôt pyramidale et dont l’écrasante majorité des membres sont flamands. Le poids des centrales professionnelles est régulièrement stigmatisé comme un signe de faiblesse. Or il garantit une forme de décentralisation du pouvoir. Comment encore être d’accord avec cette BV qui dénonçait à intervalle métronomique les débats communautaires menaçant l’unité sacro-sainte de la rue Haute et par-delà du pays? Quelle responsabilité, soudain… Ces tensions sont la conséquence d’un réel équilibre entre les représentants des interrégionales. A la CSC, la minorisation des francophones relativise l’importance de ce clivage. Enfin, l’ancien rédacteur du journal d’André Renard et l’actuel travailleur du Centre d’éducation populaire André Genot que je suis ne pouvait suivre la chroniqueuse du Soir sur les questions institutionnelles. Vu de Bruxelles, la Wallonie est toujours une périphérie. Au-delà du ring, cette vision n’a plus cours. C’est la dénonciation militante d’un «nationalisme wallon» qui m’a cependant le plus souvent heurté sous la plume de Bénédicte. Comme s’il fallait un pendant wallon au VB… «Sont wallons, les gens de Wallonie», répètent depuis toujours les régionalistes du Sud du pays. N’est-ce pas le contraire d’une définition nationaliste ? En 1995, elle publie avec son futur époux un livre sur la tentation nationaliste du «cas Happart». Un réquisitoire à charge. Le «Hérisson» est soumis à la question «êtes-vous nationaliste wallon?» Réponse: «Pas du tout. Je suis régionaliste». Le Jourdain des Fourons faisait donc du nationalisme sans le savoir? Comment s’en défendre? Comme son journal, Bénédicte a opté pour un patriotisme linguistique tempéré par une volonté obstinée de jeter des ponts vers la Flandre et les Flamands. Ce néo-belgicanisme est honorable. Ce fut et reste manifestement le choix du président du PS, par exemple. Dans son chef, c’est aussi une erreur stratégique… Qu’il soit donc permis d’opter pour une identité différente de celle reçue en héritage par la langue. On peut être wallon, honnête, et ne pas vouloir renoncer à une solidarité avec Bruxelles et à des coopérations avec le Nord du pays! Au nom de ces divergences profondément enracinées, je m’autorise donc à saluer avec un grand respect le travail et la mémoire de Bénédicte Vaes. J’ai pu apprécier la sincérité de son engagement contre l’extrême droite et son ancrage dans des valeurs de solidarité et de justice, sa sensibilité à l’égard du sort des gens… Sur ces «fondamentaux»-là, nous étions en phase. Le Soir a perdu une diva, une plume, une grande professionnelle. Qu’elle reste, pour ceux qui l’ont connue, un de ces éclatants démentis à cette connerie monumentale qui prétend avec un mâle aplomb que la féminisation d’une profession en serait le signe de sa dépréciation! Quelques jours après sa disparition, la presse flamande, cette fois-ci, livrait en primeur les chiffres du Conseil central de l’économie sur l’évolution des salaires. J’ai mesuré à ce moment précis qu’elle nous avait vraiment quittés.