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A-t-on éteint les Lumières au MR ?

Maria Camila Tobon. Unsplash
Maria Camila Tobon. Unsplash

Le « plus vieux parti de Belgique » aurait donc troqué l’héritage des Lumières pour un conservatisme aux accents polémiques. Selon le collectif Le Ressort, la réponse passe par un contre-discours populaire et un projet politique ambitieux.

Régulièrement, les déclarations et prises de position du président du MR font polémique. Si c’est clairement le but recherché par l’intéressé, qui a bien compris le fonctionnement des réseaux sociaux et des médias en ce premier quart de XXIe siècle, ces controverses successives posent question tant sur le fond que sur la forme. Elles interrogent aussi le positionnement de ce parti, dont la communication est quasi totalement monopolisée par son président.

Cette omniprésence s’inscrit clairement dans une volonté assumée de conquérir l’espace médiatique, de gagner la bataille culturelle pour, au-delà de la question électorale cruciale de 2024, enfoncer le clou de l’offensive amorcée dès la fin des années 1970 par le duo Thatcher-Reagan contre les conquêtes obtenues de haute lutte par la gauche au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Si on ne peut exclure un pur calcul d’opportunisme politique, nous sommes persuadé·es que la dérive droitière extrême qui est impulsée est plus profonde.

Et donc bien plus dangereuse. Par conséquent, cela requiert et impose une réponse différente de la part de la gauche, assumant clairement et offensivement la confrontation entre deux projets de société, entre des intérêts divergents voire antagoniques.

Trumpisation et extrême droitisation

Car la ligne que le président actuel du MR impulse à son parti, et qui ne fait qu’épisodiquement et très mollement l’objet de contestation en interne, n’est pas seulement droitière. Elle reprend, principalement et plus clairement sur X/Twitter, mais avec des accents présents aussi dans les très (trop) nombreuses interviews données dans la presse, non seulement des éléments de langage, mais même parfois des points de programme de l’extrême droite. On assiste en fait à une trumpisation du langage du MR via son président qui, en plus, joue la carte viriliste : tatouages, look décontracté loin de l’éternel costume cravate, sport automobile, football… et parfois «catastrophique» téléréalité… Rappelons-nous en effet que Donald Trump s’est lui aussi fait connaître par une émission de téléréalité. Mais l’image qui en était ressortie était plus à son avantage… Quoi qu’il en soit, l’objectif est de plaire à un électorat en demande d’un message simpliste. Peu importe si ce message est plein de contradictions et vise surtout l’effet d’annonce. Ou s’il comporte et colporte des fake news, comme certains médias l’ont relevé à plusieurs reprises.

Être de gauche ne doit pas être une manière cool d’être de droite.

Outre des formules à l’emporte-pièce comme « menace wokiste », « khmers verts »1, « terrorisme intellectuel », « assistanat », etc., ce message recèle aussi des attaques systématiques contre les corps intermédiaires que sont les mutuelles et les syndicats, une vision uniquement sécuritaire des problèmes sociaux, la négation totale de la question des violences policières et la défense sans nuance des forces dites « de l’ordre », la dénonciation des médias qui osent émettre des avis critiques envers lui, et on en passe. Et ce n’est même pas tout, puisqu’une des dernières sorties de G.-L. Bouchez remettait en cause le principe même de l’éducation permanente et sa mission éminemment politique d’éducation aux débats et à la citoyenneté. Les propos du président du MR trahissent souvent une méconnaissance des lois et des règles en vigueur. Citons ainsi l’exemple du décret sur l’éducation permanente, qui finance notamment… les ASBL liées au MR telles que le Centre Jean Gol ou Âgo2. Ou, plus fort encore, l’épisode du casting ministériel wallon où G.-L. Bouchez avait voulu recaser D. Ducarme à un poste de ministre, en infraction avec le décret wallon qui garantit la présence d’un tiers de femmes au minimum au sein du gouvernement.

Bref, au-delà d’un positionnement (extrême) droitier, le souci est également celui de la grande liberté prise avec les faits, les règles, les lois, parfois même lorsque celles-ci ont été adoptées avec le concours du MR lui-même. Il s’agit là d’une manière de faire de la politique délétère pour la démocratie. Que cette menace sur la démocratie soit consciente ou pas ne change d’ailleurs rien à la dangerosité et au résultat final. G.-L. Bouchez pense-t-il vraiment tout ce qu’il dit ? On peut légitimement en douter, au vu des contradictions, parfois dans la même journée, entre certaines de ses déclarations, faisant penser à la « double pensée » du roman 1984 de George Orwell. Ou bien joue-t-il avec le feu par pur opportunisme politique ? Son calcul pourrait être que les électeurs plus centristes, sensibles au libéralisme social, sont déjà captés par Défi et Les Engagés, voire par le PS et Ecolo. Dès lors, le réservoir de voix disponibles pour atteindre son nirvana des 30% ne pourrait se trouver que plus à droite, voire à l’extrême droite, ce qui expliquerait les dérives de ses positionnements et déclarations. Si cela échoue, le MR aura ouvert un boulevard à la « vraie » extrême droite. Si cela fonctionne, il n’y aura effectivement pas d’élus de partis d’extrême droite du côté francophone en 2024, mais les idées et le programme de cette dernière auront été repris, de manière plus ou moins assumée, par le MR. Pour tout démocrate, ces scénarios ne représenteront nullement une victoire. Se pose dès lors la question du nécessaire isolement d’un MR soumis à la stratégie et à la ligne politique de son seul président.

Il est possible d’employer un discours clair, qui n’a pas peur de son ombre, qui ose la radicalité, donc qui prenne les choses à la racine.

Ce glissement du parti libéral ne date cependant pas des quelques derniers mois. Déjà lors des précédentes élections, G.-L. Bouchez avait assumé une proximité idéologique et politique avec Theo Francken, représentant de la frange de la N-VA qui souhaite une rupture du cordon sanitaire et une alliance avec les fascistes du Vlaams Belang, et qui s’affiche de longue date comme tenant d’une politique très dure en matière de migration, empreinte de certaines formes de racisme – comme l’éclairent les distinctions que l’intéressé faisait, quand il était secrétaire d’État, entre les Syriens chrétiens et les autres Syriens fuyant leur pays. Et l’on se rappellera également la fermeté des déclarations de Charles Michel concernant l’incompatibilité à gouverner avec la N-VA… avant d’entrer avec son parti comme seule formation francophone dans un attelage très à droite. Le prix à payer pour le 16 rue de la Loi. On se rappellera aussi, par exemple, de son positionnement durant la campagne électorale de 2019, consistant à défendre la possibilité d’enfermer des enfants dans les centres fermés pour étrangers. À cette aune, on ne peut être qu’inquiet du bradage qu’accepterait G.-L. Bouchez pour satisfaire son aspiration au pouvoir. Notons toutefois avec joie que cette stratégie ne semble pas porter ses fruits : les sondages ne montrent pas un décollage du MR en Wallonie et son président reste dans le peloton de tête des politiques que les gens « ne verraient pas comme assumant des responsabilités ».

Retrouver un langage populaire

Il faut d’abord reconnaître que les médias mainstream, soumis à des rédactions focalisées sur la course à l’audimat et des actionnaires friands de rentabilité aiment, voire vivent, de cette communication clash, simpliste, tranchée, sans nuance. Dès lors, sans verser dans le poujadisme, la gauche se doit de retrouver un langage populaire qui n’hésite pas à être clivant. Un contre-populisme de gauche qui n’est ni simpliste ni vulgaire mais qui s’assume vulgarisateur et populaire. Il est possible, sans mentir aux gens, de tenir un raisonnement simple et accessible. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément », cette phrase de Boileau, remontant au XVIIe siècle, reste à notre sens une balise pour la gauche.

Il serait opportun de critiquer le coût du capital plutôt que le soi-disant coût du travail.

Oui, des capsules vidéos humoristiques peuvent, doivent, être utilisées. Non, les nouveaux moyens de communication ne doivent pas être abandonnés à la droite. Il est possible d’employer un discours clair, qui n’a pas peur de son ombre, qui ose la radicalité, donc qui prenne les choses à la racine. Un discours clair et polarisant, visant l’exploitation des émotions positives, créant ainsi de l’adhésion. Un discours clair dont le cadrage viserait à imposer ses mots plutôt qu’à répliquer à ceux imposés par l’adversaire. Ainsi, il serait opportun de critiquer le coût du capital plutôt que le soi-disant coût du travail.

Car le premier est un pur parasite sur ce que rapporte le second qui est seul créateur de richesse. En cela, l’expression « trop perçu », qu’utilisaient les coopératives socialistes pour désigner les bénéfices et dividendes, mériterait une réhabilitation au-delà de cette sphère économique particulière.

Ne plus avoir le cœur qui saigne

Mais plus encore que sur la forme du discours électoraliste, c’est sur le fond – l’idéologie, la mise en œuvre rigoureuse et obstinée d’une société porteuse d’égalité et d’équité – que la gauche doit marquer sa différence. Après un demi-siècle de reculs, d’acceptation des exigences du capitalisme et de détricotage de plus en plus rapide et profond des conquêtes s’étant incarnées dans le « pacte social » de 1944, il est plus que temps d’acter que « nos reculs sont faits de leurs avancées ». Et donc que « nos avancées seront faites de leurs reculs ». En cela, la course derrière les thématiques avancées par la droite fait le jeu de cette dernière.

Cette ligne choisie par la social-démocratie au nom d’un pseudo « sans nous ce serait pire », qui démontre surtout « qu’avec nous, ce n’est pas mieux », voire que c’est quand même pire, a démontré toutes ces limites et les dégâts dans la confiance de l’électorat de gauche qui, par conséquent, considère de plus en plus qu’il ne sert plus à rien d’aller voter, et surtout pas pour des partis qui disent le défendre mais prennent des mesures de régression sociale.

En clair, être de gauche ne doit pas être une manière agréable, cool, d’être de droite en déplorant « avoir le cœur qui saigne » à chaque abandon de ses valeurs fondamentales.