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Affront fait aux francophones

AFFRONT FAIT AUX FRANCOPHONES: Sans grand risque de se tromper, on peut soutenir que les dernières élections législatives se sont soldées par une radicalisation communautaire très marquée en Flandre et par un glissement à droite de l’électorat en Wallonie, à Bruxelles et davantage encore en Flandre. Par la suite, l’interminable crise politique sera lue par les médias en termes exclusivement communautaires. Tout comme lorsqu’il s’agit de la presse sportive qui supporte toujours ses champions nationaux, la presse prendra fait et cause pour les thèses de sa propre communauté. Les francophones suspecteront en permanence un agenda caché flamand: leur réforme de l’État cacherait un projet séparatiste. Le vote flamand de la scission de BHV en commission parlementaire, unanimement réprouvé du côté francophone, sera dénoncé par Elio Di Rupo comme un AFFRONT FAIT AUX FRANCOPHONES qui, à ce titre, exige réparation. Si le communautaire peut rendre compte de la crise politique, il n’est pas pour autant la seule grille de lecture possible. La «droitisation» de l’électorat flamand permet la mise en œuvre d’une politique néolibérale et sécuritaire. Jusqu’ici, les Flamands voyaient dans le poids socialiste au Sud du pays l’obstacle majeur d’une telle orientation devant conduire la Flandre à devenir la région d’Europe la plus compétitive. Si bien que le succès libéral en Wallonie et à Bruxelles («une vraie réforme de l’État») avait conforté, au lendemain des élections, l’enthousiasme de Didier Reynders pour une «orange bleue» enfin débarrassée des socialistes. La constitution d’un vrai gouvernement de droite désamorcerait, pensait-il, le nationalisme flamand. Or les réticences du CDH sur le plan socio-économique et communautaire, d’une part, et le nationalisme de la NVA, d’autre part, ont rendu la formule hypothétique pour ses propres partisans. La crise politique est donc le résultat de l’incapacité de la droite, flamande et francophone, sortie gagnante des élections, de former un gouvernement. Ainsi «l’agenda caché» des Flamands, à savoir la partition du pays, peut également se lire de manière inversée. L’exigence de réformer l’État ne serait qu’un moyen pour développer en Flandre une politique néolibérale, favorable aux entreprises, supprimant les entraves (protections sociales) pour libérer le marché, diminuer les dépenses publiques, la fiscalité, les cotisations sociales (autant de «charges» pour les entreprises) de manière à doper la compétitivité de la région. La réforme de l’État fédéral serait exigée par les Flamands pour permettre justement la mise en compétition des régions en son sein. Ce ne serait donc pas le séparatisme qui serait l’agenda caché de la réforme de l’État, mais le démantèlement de l’État social. Dans une perspective de gauche, le président du PS a bien raison de ne pas voler au secours d’une coalition parmi les plus à droite possibles. Si les associations patronales flamandes (Voka et Unizo) voient dans le séparatisme la possibilité de réaliser leur propre programme, il en va tout autrement des composantes flamandes des syndicats. La FGTB et la CSC ont d’ailleurs dénoncé avec constance, même si personne ne les a écoutées, le sort fait aux salariés et aux allocataires sociaux par le programme de l’orange bleue. Pour Rudi De Leeuw, président de la FGTB, la ceinture qui pose problème est moins celle autour de Bruxelles que celle qui étrangle le budget des ménages. En tant que socialiste, et pour se faire entendre au Sud comme au Nord du pays, Elio Di Rupo n’aurait-il pas pu dénoncer la mise en compétition des salariés, la fragilisation de la protection sociale, la détérioration de la qualité des emplois et la politique sécuritaire en matière de justice plutôt que l’AFFRONT FAIT AUX FRANCOPHONES? En d’autres termes, la dénonciation d’une coalition très à droite n’aurait-elle pas dû prendre le pas sur celle des Flamands?