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[Afrique du Sud] L’or rouge des hauts plateaux africains

Cultivé et commercialisé en Afrique du sud depuis le début des années 1930, le rooibos connaît un véritable engouement, jusqu’en Europe, où il est exporté depuis 2004. Face aux grands propriétaires terriens qui pratiquent l’agriculture intensive, de petits fermiers se sont regroupés en coopérative pour exploiter des plantations plus modestes. Le rooibos produit par ces fermiers a obtenu, il y a dix ans, la certification biologique et intégré la filière du commerce équitable.

Le rooibos, espèce endémique d’Afrique du Sud, ne pousse nulle part ailleurs. 15 000 tonnes y sont ainsi produites chaque année et exportées vers plus de 30 pays. Sur les hauts plateaux de la province du Cap Nord, deux modes d’agriculture s’affrontent. D’un côté, les grandes plantations de plusieurs milliers d’hectares, dirigées par des fermiers blancs, héritiers des colons boers, qui pratiquent une agriculture intensive. De l’autre, des petits producteurs noirs ou métis, qui cultivent des surfaces modestes (de 1 à 5 hectares) de manière traditionnelle. Il s’agit souvent d’anciens ouvriers agricoles qui louent leur terre ou sont devenus propriétaires grâce à la réforme agraire. Cependant, leur petit morceau de terrain est généralement insuffisant pour leur assurer un revenu décent tout au long de l’année. Lors de son accession au pouvoir en 1994, une des promesses du parti de Nelson Mandela (ANC) était la redistribution des terres en faveur des communautés noires, victimes de la discrimination raciale pendant la colonisation et sous l’apartheid. Mais 16 ans plus tard, à peine 5% de la surface agricole a effectivement changé de mains, laissant plus de 80% des terres à quelque 50 000 propriétaires blancs. Pour faire face à ces grands exploitants, dans le bourg rural de Nieuwoudtville, douze petits producteurs de rooibos se sont regroupés pour fonder, en 2000, la coopérative Heiveld. Celle-ci compte aujourd’hui 60 membres et produit de 50 à 80 tonnes de thé rouge par an, appellation erronée puisque le rooibos ne comporte pas de caféine. Les méthodes d’agriculture restent familiales et écologiques. « Dans ma famille, on m’a toujours dit : protège la terre, et la terre te protégera, témoigne Hannes Koopman, un des fondateurs de la coopérative. Je n’utilise pas de pesticides, j’aurais l’impression de blesser le sol ». Soutenue par une ONG locale, dès 2001, Heiveld obtient ainsi la certification biologique d’Ecocert. Elle s’inscrit également dans la filière du commerce équitable, et commence à exporter son rooibos. En 2004, les fermiers d’Heiveld deviennent les fournisseurs privilégiés de la société française Alter Eco, qui distribue leur thé rouge en grandes surfaces. La récolte du rooibos se déroule au début de l’année, durant l’été austral. Les buissons sont coupés à la faucille, à environ 30 cm du sol. La tâche demeure difficile pour les cultivateurs, mais le temps où ceux-ci s’échinaient du matin au soir, sous un soleil de plomb, pour un salaire de misère, est révolu. « Avant, nous n’y connaissions rien en commerce et en marketing, raconte Barry Koopman, un des membres de Heiveld. Nous amenions notre récolte à un acheteur qui fixait un prix. Et nous n’avions pas d’autre choix que d’accepter ». Aujourd’hui, le rooibos de la coopérative Heiveld est exporté vers l’Europe, les États-Unis, l’Australie… et revendu à un prix « commerce équitable ». Heiveld est une des coopératives les plus fructueuses d’Afrique du Sud. Depuis sa création, les petits producteurs ont multiplié par dix leurs revenus, ce qui leur permet d’être totalement indépendants. Ils ont ainsi pu acheter leurs propres équipements, tels qu’une machine à broyer les feuilles de rooibos, ou un tracteur, ce qui leur évite d’avoir recours au matériel des grandes exploitations. Ils obtiennent une plus forte plus-value en prenant en charge eux-mêmes le conditionnement final du thé rouge.

Les avantages du commerce équitable

Par ailleurs, les producteurs sont assurés en cas de perte d’une partie de la récolte. « La sécheresse peut affecter grandement les cultures. En 2008, par contre, il y a eu beaucoup de pluie, et une partie du rooibos a pourri. Il y a encore peu de temps, cela aurait été une catastrophe pour nos familles. Mais grâce aux avantages du commerce équitable et à l’assurance que nous avons souscrite, nous avons pu récupérer les pertes », ajoute Hannes Koopman. Depuis dix ans que la coopérative existe, Lestie, une jeune productrice, a vu la vie de sa famille s’améliorer. « Enfant, je marchais vingt kilomètres dans la brousse pour aller à l’école. Et mes repas se résumaient à du pain et de l’eau, se souvient-elle. Aujourd’hui, nous mangeons à notre faim et, avec l’argent gagné par la coopérative, les producteurs ont organisé le transport des enfants par bus scolaire et financé l’installation de l’eau courante dans le village ». Les femmes sont les premières bénéficiaires de l’essor des coopératives et du commerce équitable. Heiveld, qui compte une vingtaine de femmes parmi ses membres et fonctionne sur base d’un système d’élections démocratiques internes, encourage leur promotion dans son organisation. Par ailleurs, un groupe de femmes de la communauté tient un modeste écolodge Logement destiné à l’accueil des touristes.., symbole de leur émancipation, qui leur permet de créer un revenu supplémentaire. La prime de développement commerce équitable contribue, en outre, à préserver la biodiversité de la région. La culture intensive a détruit le rooibos sauvage et d’autres espèces endémiques. Et, s’il n’est pas protégé, le rooibos cultivé risque lui aussi de disparaître, menacé par le réchauffement climatique. Dans les régions du Cap Nord et du Cap occidental, on a enregistré une réduction sensible des précipitations ces dernières années. Dans les champs, des roseaux sauvages ont été plantés par les cultivateurs : ils forment un brise-vent naturel pour lutter contre la désertification. Heiveld a aussi mis en place un plan pour assurer la sauvegarde des arbres de rooibos sauvage. « Si le rooibos de culture pousse rapidement et produit de nombreuses graines, nous avons réalisé que la variété sauvage résistait bien mieux aux changements climatiques », affirme Bettina Koele, géographe et directrice de l’ONG Indigo, qui soutient Heiveld. Face aux grands producteurs qui leur disputent le marché, les petits cultivateurs de la région doivent, eux aussi, se montrer résistants.